Jeux policiers 3 : quand Force Ouvrière Police fait Calais anti-migrant

Samedi 3 septembre 2016

Le 10 mai 2014, Calais Migrant Solidarity met en ligne une vidéo qui fait le buzz. On y voit des policiers sortir violemment des exilés d’un camion, les frapper et les jeter par-dessus la rambarde l’autoroute. Ce n’est ni la première ni la dernière fois que les militants témoignent ainsi des violences policières.

Au cours de l’été 2014, un policier, délégué syndical de Unité SGP Police Force Ouvrière, met à son tour en ligne des groupes d’exilé-e-s, notamment lors de tentatives de passage dans le port, avec un commentaire en voix off qui dit ce qu’il faut voir. Au cop-watching succède le migrant-watching.

La différence est que le cop-watching est l’activité de citoyen-ne-s qui surveillent l’activité d’un service public dans un contexte où celui-ci risque de dysfonctionner, et notamment lorsqu’il y a des abus, des violences ou des violations de la loi commis par les agents qui sont censés empêcher les abus et les violences et assurer le respect de la loi. Et que la police, si elle assiste à des actes délictueux est censée intervenir, c’est son rôle, elle n’a pas besoin de mettre des vidéos sur internet, sauf à considérer qu’elle est une bande en confrontation avec une bande rivale à laquelle elle réplique ainsi.

La mise en ligne de ces vidéos s’est accompagnée de contacts fréquents avec les médias. Un travail a ainsi été fait pour un retournement d’image, les exilé-e-s n’étant plus montré-e-s dans le dénuement des campements, sur un mode compassionnel, mais dans la dynamique du passage et des actions de groupe, avec un discours développant l’imaginaire de l’assaut, de l’attaque, de l’invasion, légitimant une action de type militaire, au besoin violente, pour y faire face.

Le relais de cette production d’images et de la mise en ligne de vidéos a été pris par les groupes d’extrême-droites qui se sont constitués autour de pages facebook comme Calaisiens en colère ou Calais libre, lorsqu’ils ont commencé à faire des vigiles au côté de la policeaux alentours du bidonville et à patrouiller sur l’autoroute et la rocade portuaire.

Le 13 octobre 2014, le syndicat Unité SGP Police Force Ouvrière organise une manifestation anti-migrants
manifestation anti-migrants, avec des commerçants, des agriculteurs, des tenanciers de bar, des chasseurs, appelant la population à se mobiliser. On peut lire dans le tract d’appel que « les migrants continueront inexorablement à s’amasser aux portes de l’eldorado britannique » ou « le flux continuel de migrants entraine l’économie locale dans une crise sans précédent et les entreprises sont menacées. »

Cette manifestation a été un moment important, dont l’onde de choc s’est propagée à plusieurs niveau. Elle a été suivi d’une focalisation médiatique sur le « ras-le-bol des Calaisien-ne-s », avec des éléments de langage récurrents sur le nombre de « migrants » devenu trop grand, et le fait « qu’ils aient changé », « avant ils étaient polis, maintenant ils sont agressifs ».

À l’automne 2014, les autorités municipales et gouvernementales avaient déjà décidé d’expulser les exilé-e-s des campements situés dans la ville et ses approches immédiates,pour les concentrer sur le terrain actuel, de l’autre côté de la rocade de contournement. Cette médiatisation du « ras-le-bol des Calaisien-ne-s » arrive à point nommé pour légitimer la séparation des populations.

Au quotidien, un nombre croissant de bars, et dans une moindre mesure de commerces, refusent l’entrée ou refusent de servir les personnes identifiées comme « migrants », voire « no-border » ou « pro-migrants ». Le discours médiatique, au moins localement, fonctionne de plus en plus en « pro » et « anti ».

Le 24 janvier 2016, des acteurs économiques du Calaisis organisent une manifestation de promotion de la ville, avec pour slogan « mon port est beau, ma ville est belle ». Les organisateurs parlent peu des exilé-e-s, et surtout pour dire qu’il faut mettre en place des conditions dignes pour en finir avec cette image de misère accolée à la ville et passer à autre chose. La veille à lieu une manifestation de soutien aux exilé-e-s, à la fin de laquelle certain-e-s entrent dans le port et montent sur en ferry. La maire de Calais rafle la vedette à la manifestation du 24 avec un discours violemment xénophobe, le ministre de l’intérieur en rajoute dans le spectaculaire à propos de la manifestation du 23, la presse oppose les deux actions en « pro » et « anti-migrants ». Ce qui est retraduit, la manifestation du 23 ayant eu lieu à l’initiative de collectifs parisiens, en une opposition entre « les Calaisiens » et « les gens d’ailleurs », « migrants », Parisiens » et « activistes étrangers ».

Le travail fait au niveau des acteurs économiques s’est continué, rendant inaudible toute parole plus nuancée, et débouchant le blocage de l’autoroute annoncé pour le 5 septembre, unissant des organisations de transporteurs routiers, la CGT des dockers, la FDSEA (Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles), des commerçants et d’autres, pour exiger la destruction du bidonville de Calais. Ce qui a provoqué la descente éclair du ministre de l’intérieurvenu pour ne rien annoncer, mais légitimant par sa venue et donnant un écho national au mouvement.