le témoignage d’Aïda Touma-Suleiman

Le témoignage d’Aïda Touma-Suleiman, chrétienne de Nazareth, militante politique, féministe de choc, membre du Parlement israélien, élue sur la « liste arabe unie »

Poursuite de l’occupation, oppression des femmes, solution à deux États, « modèle » sécuritaire israélien, autant de sujets qu’aborde Aïda Touma-Suleiman, membre du Parlement israélien, dans un entretien exclusif avec Orient XXI.

Le regard espiègle derrière les lunettes austères vous saisit de prime abord, et cet air juvénile malgré la chevelure poivre et sel. Puis le contraste entre la fougue qui s’exprime volontiers avec les mains et la voix, grave et posée. Une langue arabe fluide. Un accent indéfinissable. C’est Aïda Touma-Suleiman, chrétienne de Nazareth, militante politique, féministe de choc, membre du Parlement israélien, élue sur la « liste arabe unie », qu’Orient XXI a interviewée à l’occasion de son passage à Paris.

Nada Yafi. – Outre votre combat proprement politique, et le métier de journaliste que vous avez exercé pendant quatre ans comme rédactrice en chef du seul journal israélien en langue arabe, Ittihad, vous êtes une militante féministe de longue date. Vous avez dirigé le mouvement des femmes démocratiques de Saint-Jean-d’Acre, vous avez fondé en 1992 l’association Femmes contre la violence, participé avec des femmes de toutes nationalités à la création de la Commission internationale des femmes pour une paix juste entre Israéliens et Palestiniens. Vous êtes la première femme à siéger au Haut Comité arabe de suivi des droits des citoyens arabes d’Israël. Vous avez enfin été élue présidente de la Commission sur l’égalité des genres à la Knesset, une première pour un(e) élu(e) arabe israélien(ne) (Les « Arabes israéliens » s’appellent eux-mêmes — et sont nommés — souvent « Palestiniens d’Israël » ou « Palestiniens israéliens ». Nous conserverons ici le terme « Arabes » utilisé par Aïda Touma-Suleiman).

Être femme arabe en Israël aujourd’hui, qu’est-ce que cela représente ?

Aida Touma-Suleiman. — C’est une situation singulière. La femme arabe en Israël appartient à une minorité nationale dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est marginalisée dans un État qui a été bâti sur les ruines de la Nakba, le désastre qui a frappé son peuple. Un État dont le gouvernement poursuit à l’égard de son peuple une politique répressive, un État militarisé avec une hiérarchie machiste, un État théocratique, qui n’a pas réalisé sa séparation d’avec la religion puisque le statut personnel relève toujours des tribunaux religieux, qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans… et tout le monde connaît le statut des femmes dans ces tribunaux. Un État, enfin, où règne un capitalisme sauvage qui fragilise les plus démunis. Cela se répercute forcément sur tous les détails de la vie quotidienne des femmes.

Le premier étau est celui qui emprisonne la femme arabe en même temps que l’homme, à savoir la politique de discrimination raciale. Celle-ci entrave tout développement de la communauté arabe : encerclement géographique, confiscation des terres, pénurie de logements, moindres chances en matière d’éducation. Le budget des écoles pour enfants juifs est neuf fois plus élevé que celui consacré aux enfants arabes. La femme arabe, tout comme son compagnon, rencontre des problèmes de recrutement, reçoit un salaire moindre pour un même emploi, est bien plus touchée par le chômage.

L’autre étau est celui de son environnement social immédiat, actuellement travaillé par certains courants religieux rigoristes..