Cédric Herrou et les mots présidentiels, ou l’assaut du doute…

29 JUIL. 2017 PAR HIPPOLYTE VARLIN BLOG : LE BLOG DE HIPPOLYTE VARLIN

Une sixième garde à vue depuis 2016, 30 000 € d’amende et 5 années de prison comme perspective, un sursis déjà, une surveillance permanente, des perquisitions musclées du domicile et d’autres humiliations… Et si la solidarité déployée par Cédric Herrou et la Roya Citoyenne en faveur de ces échoués d’un monde tourmenté s’accrochait... ou mettait à rude épreuve un discours désormais fameux ?

A l’occasion de la 75e commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, le 16 juillet 2017, le Président de la République, Emmanuel Macron, s’est inscrit dans les pas de ses proches prédécesseurs en honorant et des victimes de l’obscure France de Vichy, et des Justes qui en constituent les plus belles lumières insoumises. Manifestement ému, le Chef de l’État a tenu, en outre, à tirer les leçons d’une période honnie, celle de la montée des fascismes et de la seconde guerre mondiale… oubliant au passage, ce qui a éventuellement étonné, leur puissant et déterminant terreau qu’est la crise économique et sociale des années 1930… Il n’a, en effet, évoqué que « le racisme et l’antisémitisme », et il fallait le marteler, ces « vices » qui « entachaient la IIIe République » déjà et qui avaient été promus par des « dirigeants politiques », mais aussi des « fonctionnaires » et des « journalistes français ».

Puis les mots ont fait leur effet, et leur vocation à constituer leçon s’est avérée à saisir.

L’histoire ne se répétant pas dans les mêmes termes (on pourra ne pas s’empêcher de noter que la crise de 2007 relève du podium de celle de 1929, et que nationalisme et racisme se déploient dans des sphères tout aussi caractérisées et fertiles), il nous faut donc, et sans hésitation, les replacer dans le contexte actuel, celui d’une planète à vif. Et les causes n’échappent ou pourraient n’échapper à personne, leurs interactions non plus :
 le changement climatique qui rit des frontières et jette hors de leurs terres des flux croissants d’êtres désormais reconnus comme réfugiés climatiques (les Français et Européens que nous sommes, sensiblement redevables au passage, étant tout sauf à l’abri, ici ou là, d’un impératif de départ à plus ou moins long terme)

 la globalisation, dont la « crise » et les inégalités sont consubstantielles, qui s’organise dans les salons feutrés et autres sommets barricadés (l’Union Européenne, premier marché mondial, en est un acteur central, sans oublier les leviers onusiens et autres FMI, G7 ou G 20 de plusieurs de ses membres… et les Français et Européens que nous sommes, étant toujours plus exposés aux tensions en raison même de cette mondialisation)

 les dictatures et autres egos surdimensionnés de tels potentats ainsi que les conflits qui redessinent cartes et alliances, dans un monde où tout circule aisément sauf les populations (seul un conteneur sur mille est contrôlé à l’entrée de l’UE, quelques clics suffisant à déplacer opinions, images et capitaux), et qui poussent des hommes sur les routes de l’exil où prédateurs de tous genres sévissent (et les Français et Européens que nous sommes, savons, ou devrions encore savoir, la terreur lorsque l’État de droit disparaît)

 les élans nationalistes et racistes qui sont réactivés, redorés même, par des sphères qui devraient s’abstenir de manipuler ces ficelles redoutablement criminogènes (autre enseignement de l’Histoire, dont les Français et Européens que nous sommes, ne sauraient s’affranchir…).
Le tableau est sombre et s’il altère, il doit aussi revigorer, toujours et encore, les aspirations et résolutions de la Charte des Nations Unies (1945), de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948), de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (1989) ou de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne (2000)… Soit autant de textes de référence qui auraient trouvé leur place dans l’éminent discours présidentiel, élargissant aux autres victimes du mitan du siècle écoulé l’hommage de la nation. Pour dire avec plus de force encore l’insulte faite à l’Homme. Mais cela aurait sans doute prolongé l’allocution.

Ainsi, les facteurs déterminant la recherche d’un salut dans les années évoquées par le Président de la République sont-ils éloignés de ceux qui justifient les mobilités actuelles ? Assurément non, si l’on résume cette esquisse par quelques mots communs aux deux situations : misère, oppression, xénophobie, quête d’une vie meilleure… Et si les camps de la mort nazis ne forment plus leur ignominieuse constellation (d’ailleurs, qu’en savaient précisément ceux qui se sont illustrés par leur humanité, tels André et Magda Trocmé au Chambon-sur-Lignon ?), fuir Issayas Afewerki et les vautours qui jalonnent les sentiers et flots de la migration se conçoit aisément. Sinon s’impose. Comme les déluges de fer et de feu terrassant des villes comme Alep. Et voilà que les mobilités humaines atteignent de nos jours des sommets, la Grande bleue qui caresse nos côtes ensoleillées faisant office de plus grand cimetière marin de la planète… 25 000 âmes englouties en quelques années… Dans des éclairs d’effroi et de douleurs qui n’ont rien à envier aux saignées infligées sur les terres traversées (ne citons que l’exemple des marchés aux esclaves en Libye…).

Et pourtant, la France aux « 36 000 » communes ne s’apprête pas à accueillir 36 000 de ces « autres ». Beaucoup moins, dix fois moins dit-on, car elle se raidit… D’ailleurs, qui est ce « elle » ? « Dirigeants politiques », « fonctionnaires » et « journalistes français » disait Emmanuel Macron ? Et les autres mots du Président de la République parlent-ils de Cédric Herrou et de la Roya Citoyenne ? Ou ne s’agit-il que de mots « qui chantent » ?

Alors, saisissons quelques passages, et voyons, si oui ou non, l’homme qui incarne la nation française envisage l’extraordinaire mobilisation de Cédric Herrou et des siens :

« Dans le monde tel qu’il va où les guerres de religion renaissent, où les conflits ethniques ressurgissent, où l’intolérance et le communautarisme se donnent la main, tout doit être fait pour que l’humanité ne consente pas à s’avilir ».

Oui ! Cédric Herrou et la Roya Citoyenne œuvrent à la concorde et à la grandeur de l’humanité ! Leurs bras sont ouverts à tous, indistinctement, et ils le revendiquent, quand d’autres pratiquent avec une application d’un autre temps le délit de faciès.

« Parce que notre République, c’est justement ce projet d’une humanité constamment réinventée, en quête du meilleur d’elle-même par la solidarité, par la culture, par l’éducation ».

Oui ! Cédric Herrou et la Roya Citoyenne participent de cette humanité qui se crée sans cesse, à l’ombre des oliviers de la Roya ou des abris improvisés pour tels mineurs égarés, autour de tables garnies comme par enchantement, devant cartes et autres téléphones pour rassurer, mettre en lien tel enfant et tel parent, donnant le meilleur d’eux-mêmes par solidarité en particulier et humanisme en général ! Et c’est une autre appréhension du monde présent qui se construit, si éloignée de celle des financiers qui s’appliquent à le régenter…


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