Grand Marché Transatlantique : lettre ouverte à Nicole Bricq, Ministre du Commerce Extérieur. Réponse de la ministre et Commentaires de Frédéric VIALE

A l’occasion de la 2ème séance de négociations du traité UE-Etats-Unis, Geneviève Azam d’ ATTAC et Amélie Canonne de l’AITEC ont adressé sur MEDIAPART une lettre ouverte à la ministre concernée :

Madame la Ministre,

Alors que s’ouvre aujourd’hui la deuxième session de négociation d’un Pacte transatlantique sur le commerce et l’investissement (PTCI) entre les États-Unis et l’Europe, nos organisations expriment les inquiétudes les plus vives quant aux risques qu’implique un tel accord pour les droits fondamentaux des citoyens d’Europe et d’Amérique.

Nous vous demandons, Madame la Ministre, d’engager le gouvernement français à l’ouverture d’un véritable débat public, à la publication de tous les documents de négociation, et à la communication de toutes les positions françaises défendues dans ces négociations. Pour l’heure, il n’est pas acceptable que le gouvernement français poursuive ces négociations dénuées de toute légitimité démocratique.
[ SUITE>http://blogs.mediapart.fr/blog/attac-france/121113/traite-transatlantique-lettre-ouverte-nicole-bricq]

Réponse de Madame la Ministre Nicole Bricq

Le 13 novembre dernier, vous avez publié une lettre ouverte qui m’était adressée par Mesdames Cannone et Azam, respectivement présidente de l’AITEC-Ipam et porte-parole d’Attac France, à propos du partenariat de commerce et d’investissement entre l’Europe et les Etats-Unis.
Les deux auteures y réclament plus de transparence dans la négociation du traité transatlantique et manifestent leur inquiétude quant à plusieurs des clauses du mandat confié à la Commission européenne le 14 juin dernier par les Etats membres pour discuter les conditions de cet accord.

Comme la lettre a soin de le rappeler, j’ai moi-même dénoncé à plusieurs reprises l’opacité des négociations en cours et continuerai de le faire autant que nécessaire. Disposer d’une information suffisante sur toutes les questions qui tiennent à l’avenir économique de notre continent et de notre pays constitue un droit non-négociable. Les préoccupations des deux signataires sont sur ce point les miennes.

Elles oublient toutefois de mentionner que j’ai reçu les ONG intéressées à ce traité de libre-échange pour qu’elles puissent me faire part de leurs attentes et de leurs inquiétudes en amont du lancement de la négociation, et que mon cabinet demeure à la disposition de toute ONG qui souhaiterait m’exprimer ses doutes ou ses interrogations quant au projet lui-même. Je proposerai d’ailleurs avant la fin de l’année une rencontre aux organisations issues de la société civile, pour les informer du déroulement et de la nature des discussions en cours, après deux sessions de négociation.

Je constate également qu’un certain nombre des craintes formulées par les auteures sur le contenu des négociations recoupe les positions que j’ai moi-même pu faire valoir publiquement à diverses reprises. J’ai plusieurs fois eu l’occasion d’alerter les élus et l’opinion sur le fait que le traité UE-Canada constituait un test pour la négociation avec les Etats-Unis. J’ai également obtenu que le mandat de négociation avec les Etats-Unis, adopté le 14 juin 2013, soit précis sur la protection de l’environnement, des travailleurs et des consommateurs. Les grands principes de nos législations communautaires ne seront pas remis en cause par cet accord et nos standards alimentaires seront préservés. J’y veillerai, tout comme les Parlements européen et nationaux qui devront également ratifier l’accord. De même, j’ai œuvré à ce que le mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les Etats soit encadré et que la décision finale sur l’inclusion même d’un tel mécanisme soit renvoyée ultérieurement.

Les auteures saluent ma défense ferme de l’exception culturelle, et je les en remercie. Qu’il me soit toutefois permis de préciser que, contrairement à ce que laisse entendre leur courrier, le mandat exclut toute négociation en matière d’investissement dans le domaine audiovisuel. Je serai particulièrement vigilante à ce que les termes du mandat soient strictement respectés.

Le traité auquel aboutiront les négociations devra ensuite être ratifié par le Parlement européen et les Parlements nationaux pour être adopté. En attendant, vous pouvez compter sur ma détermination pour mener à bien la mission qui a été confiée à mon ministère : contribuer à la croissance et à l’emploi par le développement des échanges et l’insertion réussie de la France dans l’économie internationale, tout en affirmant nos valeurs de justice sociale et de respect de l’environnement.

Je pense sincèrement que le traité transatlantique peut contribuer à ces objectifs en démultipliant les partenariats entre nos deux continents, et en facilitant le développement des PME et des entreprises de taille intermédiaire, au cœur de la stratégie pour l’emploi du gouvernement.

Dans la partie difficile qui se joue, chacun doit pouvoir faire valoir ses volontés et ses craintes. C’est ce qu’ont fait les auteures de la lettre ouverte. Je suis pour ma part à la fois confiante et vigilante.

Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur

Commentaires de Frédéric Viale, membre du conseil scientifique d’ATTAC, spécialiste du commerce extérieur

Un point très intéressant : la ministre écrit qu’elle a conscience que "le traité UE-Canada constituait un test pour la négociation avec les Etats-Unis". Il serait utile d’approfondir le sens de cette affirmation.

Par ailleurs, vous remarquerez que la ministre ne lève aucune des incertitudes dénoncées par la lettre initiale d’Attac et de l’Aitec.

Sans reprendre chacun de ses éléments de réponse, la ministre ne fait que "dénoncer" l’opacité des négociations, comme si la France n’avait sur ce point ni sur les autres, pas voté le mandat donné à la Commission.

Elle écrit que, suite à la demande de la France, la Commission a reçu un "mandat précis sur la protection de l’environnement, des travailleurs et des consommateurs". Cela n’est pas exact : je vous invite pour le vérifier à lire une publication récente, écrite à l’initiative de CEO, une Déclaration transatlantique des droits des multinationales, notamment les annexes reprenant les articles faussement rassurants du mandat de la Commission.
> > http://www.france.attac.org/articles/une-declaration-transatlantique-des-droits-des-multinationales

Par ailleurs, et sur un élément essentiel, la réponse de la ministre est pour le moins floue lorsqu’elle dit : "De même, j’ai œuvré à ce que le mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les Etats soit encadré et que la décision finale sur l’inclusion même d’un tel mécanisme soit renvoyée ultérieurement". Par définition, ce type de mécanisme n’est pas encadrable et les multiples exemples que nous donnent les différends surgissant entre Etats et investisseurs à l’occasion de l’application de l’ALENA et des accords bilatéraux d’investissement nous en montrent à satiété le danger. Il s’agit tout simplement de laisser aux entreprises le soin de délimiter le périmètre de l’exercice de la démocratie, il n’est pas possible "d’encadrer" un tel mécanisme.
Par ailleurs, il serait intéressant de savoir ce que ce renvoi ultérieur veut dire pour la ministre : on imagine mal un accord signé par bribes.

Sur le fond, aucune réponse n’est apportée au fait que cet accord n’est pas seulement, ni même principalement, un accord de commerce mais un traité visant à harmoniser les normes intérieures et donc les préférances collectives des Etats c’est-à-dire leurs choix politiques.

D’autres questions ne sont pas traitées, notamment pas la question de l’influence déterminante des lobbies dans l’élaboration et la négociation du projet de traité, mais ni la question des OGM, e l’agriculture etc.