A Orléans, le barreau discipliné, par tradition - par Mourad GUICHARD (mai 2005) Publié dans Libération, jeudi 26 mai 2005.

Ici a été décidée l’incarcération de l’avocate France Moulin. Sans provoquer d’indignation

C’est une décision prise dans le petit tribunal d’Orléans qui a mis le feu aux poudres, avec le placement en détention de l’avocate toulousaine France Moulin pour avoir « divulgué des informations à une tierce personne susceptible d’être inquiétée ». Elle a passé plus de trois semaines derrière les barreaux. Mesure qui continue de provoquer l’indignation de ses confrères, et leur contestation dans tous les barreaux de France. A l’exception – assez paradoxale – d’Orléans. Ici, l’ambiance dans la salle des pas perdus du palais de justice reste d’une étonnante convivialité. Le ton est donné par la substitut générale en charge du dossier Moulin, Dominique Puechmaille : « Sur Orléans, les avocats connaissent bien leurs magistrats. Ils ont confiance en eux. Ils ont naturellement compris que nous traitions cette affaire comme n’importe quelle autre, sans chercher à faire un exemple. Notre rôle est d’appliquer la loi, pas de la commenter ou d’en tirer parti. Si demain, un texte discuté et voté à l’Assemblée réprimait plus sévèrement les larcins par temps de pluie, je l’appliquerais sans sourciller. »

« Bonne entente ».

Le petit barreau de la ville, 151 avocats, semble s’être plié à la philosophie de cette parquetière. La majorité d’entre eux ne se dit pas hostile à la loi Perben 2. « Il existe sur Orléans une tradition de bonne entente entre avocats et magistrats », tente d’expliquer l’une des robes noires de la ville, François Tardif. Au nom de la « tradition », les contestataires de la loi Perben 2 se comptent sur les doigts d’une main. A Paris, lorsque France Moulin a été incarcérée, les avocats se sont mis à parler de « déclaration de guerre », ont dénoncé l’« ignominie ». A Orléans, l’un des rares avocats contestataires, Pierre-François Derec, use de termes mesurés : « Je crois que dans cette affaire, certains magistrats locaux ont confondu ou sciemment entretenu un regrettable amalgame entre une complicité avérée de l’avocate, fait gravissime, et quelques bavardages peut-être maladroits. »

Bien que prudente, cette voix reste isolée : les réactions solidaires des avocats orléanais envers leur consoeur toulousaine se font encore attendre. Tentative d’explication de l’un d’entre eux : « Je pense que mes confrères ne voulaient pas se mouiller pour un dossier qu’ils jugeaient sans doute plombé. » Certes, mais au-delà du dossier Moulin, le problème des grands principes de la loi Perben 2 reste patent. Partout, les barreaux estiment que cette loi lèse les droits de la défense. Ici, on n’en est pas mécontent. Témoin, un tout jeune membre du barreau qui sait trop bien qu’il devra plaider ses dossiers devant les mêmes magistrats chargés d’appliquer la loi : « Si je ne mords pas le trait, il n’y a aucune raison que je sois inquiété, dit ce jeune homme. Et franchement, la plupart des dispositions existaient déjà dans des textes bien plus anciens. » Ce qui est faux. Du côté de l’accusation, on en a pourtant bien repéré les intéressantes nouveautés. Dominique Puechmaille, encore : « Avant cette loi, les délinquants avaient une longueur d’avance. Aujourd’hui, nous pouvons plus facilement procéder à des écoutes téléphoniques, par exemple. »

« Menace ».

En fin de compte, le seul avocat qui mesure les enjeux de Perben 2 sur la défense, ou du moins qui en parle publiquement, c’est le bâtonnier, Bruno Stoven. Certes, celui-ci se réjouit du bon climat qui règne dans sa ville : « Le barreau continue d’entretenir d’excellents rapports avec le président du tribunal. Il m’a même écrit pour se féliciter de l’attitude responsable des avocats orléanais durant ce conflit. » Mais lui, du haut de la présidence de l’ordre, ose dire que la défense est désormais en danger : « Ceci n’empêche pas cette véritable menace de perdurer. Un jour ou l’autre, un autre avocat pourrait être embastillé pour des faits similaires. »