Réformes des retraites : quelle alternative à la logique du marché ? Par Nicolas Cléquin (juin 2010)

(juin 2010)

Il est impossible de traiter d’un point comme celui des retraites sans prendre son temps et replacer cette question dans son double contexte. D’une part, celui du tournant libéral et de l’inversion du rapport de force en faveur des détenteurs de capitaux dans les années 70. D’autre part celui de la mondialisation de la concurrence, des échanges, de la finance.

Depuis les années 70, une révolution conservatrice

Durant les 30 glorieuses, la croissance des pays de l’OCDE est forte. Autour de 5 à 6 %/an en France ; supérieure à 8% au Japon dans les années 60. Les grandes entreprises peuvent donc en moyenne assurer une croissance rapide de leurs profits et des dividendes qu’ils reversent à leurs actionnaires.

A partir du début des années 70, la donne change. Le choc pétrolier et la saturation de certains marchés font ralentir la croissance économique qui tombe à 3%/an, puis à 2% dans les années 80. La compétition s’accroît, les revendications salariales sont très importantes. L’inflation est élevée. La logique aurait voulu que les dirigeants des grandes entreprises décident de diminuer la croissance des dividendes qu’ils versent aux actionnaires. Il n’en fut rien car le nouveau contexte politique (affaiblissement des organisations salariales, effondrement des partis communistes, chômage…) leur permettait de maintenir un rythme de profits élevé alors même que la croissance de leurs ventes se ralentissait. Pour y parvenir et sans entrer dans les détails, il y a trois moyens :

 Diversifier ses activités (la concentration horizontale) et notamment se mettre à faire à la place des Etats - ce que les Etats faisaient en situation de monopole. Il suffit d’obtenir d’un gouvernement complaisant qu’il ouvre un secteur public à la concurrence (banques, assurances, eau, poste, transports, télécommunications, médias…). Ainsi une entreprise comme la Générale des Eaux peut diversifier ses activités et accroître son chiffre d’affaire (CA) en se mettant à faire des activités nouvelles (télévision, transports publics…). Chacune de ses activités connaît une croissance lente (c’est « la crise ») mais comme ses activités sont de plus en plus nombreuses, le CA augmente vite, le volume des profits disponibles augmente donc lui aussi à un rythme élevé.

 Racheter ses concurrents par le jeu de fusions-acquisitions, OPA... En premier lieu, on rachètera les entreprises que les Etats privatisent après avoir ouvert leurs domaines à la concurrence. Ce petit jeu continue à plein régime avec l’ouverture de l’énergie et de la poste à la concurrence et la vente du capital d’EDF et de GDF. De même, 2006 aura connu un record historique pour le volume des fusions-acquisitions (3610 milliards de dollars à l’échelle mondiale, l’équivalent de plus de 340 entreprises de la taille d’Air France qui ont changé de main ; l’utilité collective de ces investissements gigantesques étant loin d’être démontrée). Le résultat est le même que précédemment : hausse du CA, donc du volume des profits et des dividendes distribuables.

 Baisser la part des salaires (le salaire global, c’est-à-dire le salaire net plus l’ensemble des cotisations sociales qui lui sont liées) dans le passif des entreprises. Cette solution a l’avantage d’accroître la compétitivité par les prix, surtout en période d’ouverture des frontières et de concurrence accrue. Pour cela, les méthodes sont nombreuses : briser les syndicats et leurs moyens d’action, mécaniser et robotiser la production, geler la croissance des salaires (politique de rigueur et suppression de l’échelle mobile des salaires en 1984), licencier, délocaliser la production vers les pays à bas coût de main-d’œuvre, avoir recours aux contrats précaires et ajuster au plus juste la main d’œuvre aux besoins de la production…Ces moyens sont connus. Il faut en rajouter un autre : cesser petit à petit de participer aux dépenses de protection sociale et obtenir des réductions de cotisations de la part de gouvernements complaisants (22 milliards d’euros/an de baisse par rapport à 1993 en France). Dans les années 80, la part de la valeur ajoutée produite qui va aux salaires a diminué de 8% au profit de la rémunération du capital. Depuis, le partage salaires/capital s’est stabilisé ; soit une perte pour les salariés français de 150 milliards d’euros par an.

C’est dans ce contexte qu’il faut lire et analyser les différentes réformes de la protection sociale en France, et plus particulièrement celles sur les retraites. Elles s’inscrivent dans cette révolution conservatrice qui tend à individualiser et privatiser les risques liés à la santé, au vieillissement, au manque d’emploi… Individualiser, afin que les entreprises se déresponsabilisent des problèmes qu’elles engendrent et de leur devoir de financer la protection sociale (devoir que le Conseil National de la Résistance leur avait enjoint en 1945). Privatiser, afin que la gestion des ces risques passe au privé et soit source de profits et d’activités nouvelles. Coup double pour le patronat. Non seulement il dépense de moins en moins en salaires, mais cela peut éventuellement rapporter gros (notamment pour les compagnies d’assurance, investisseurs institutionnels, banques…). Depuis que ces réformes ont été engagées, les profits des entreprises de ces secteurs ont pulvérisé tous les records. Ce phénomène est mondial. Ce qui est extraordinaire, c’est que la crise que les fonds privés et les banques ont provoqué aurait dû se retourner contre ceux qui l’ont provoqué ; en réalité, elle a tétanisé les gens et paralysé les organisations syndicales. Désormais, les banques et le patronat se servent de la crise et des déficits publics qu’elle entraîne pour enfoncer le clou (baisse des pensions en Grèce, en Italie, en Espagne....).

La situation est-elle catastrophique ?

Le problème qui nous est vendu en France pour justifier pareilles réformes tient à ce qu’on appelle « le vieillissement de la population ». Terme impropre puisqu’il s’agit de l’élévation de l’espérance de vie (qui se ralentit mais continue lentement à augmenter) et de l’augmentation de la part des plus de 60 ans dans la population. Ce qui est un immense progrès est donc présenté comme une contrainte (ah, le bon temps où les salariés avaient le bon goût de mourir avant d’être en âge de faire valoir leur droit à la retraite…). Ici, tout repose sur des prospectives à 40 ans. On nous annonce que le vrai problème commence maintenant et sera à son comble vers 2025 pour une situation intenable en 2040. Pourquoi ? Parce que les générations du baby-boom (démarré en 1942 et achevé vers 1970) seront toutes en âge de percevoir leur retraite. Le rapport actif/inactif calculé sur la base d’un départ en retraite à 60 ans passerait donc de 4 inactifs pour 10 actifs à la fin des années 90, à 8 pour 10 en 2040. La France comptait 13 millions de retraités en 2003. En intégrant la réforme Fillon, nous en compterions 20 millions en 2040 avec un Français sur trois qui aura plus de 60 ans. Sans nier le phénomène dans son ensemble, que penser de ces chiffres ?

Tout d’abord qu’avec de tels raisonnements, la société des 30 glorieuses n’aurait jamais vu le jour. Parce qu’entre 1945 et 2000 la part des dépenses de protection sociale dans le PIB a augmenté de 20 points. Les créateurs de la Sécu l’auraient-ils créée s’ils l’avaient su ? Ce qu’ils n’avaient pas imaginé, c’est la croissance économique et la croissance de la productivité qui ont permis de consacrer une part moins importante aux autres budgets (alimentation, vêtements, transports…). D’autre part, les prospectives sur 40 ans ne sont jamais vraies. Le général de Gaulle annonçait au milieu des années 60 que la France connaîtrait sûrement 100 millions d’habitants en l’an 2000 voire 150 millions… Au début des années 80, on annonçait qu’en 2000 Mexico serait la plus grande ville du monde avec 30 millions d’habitants. Dans un cas le vieux général n’avait pas prévu la fin du Baby Boom et la révolution des contraceptifs. Dans l’autre cas, les dirigeants mexicains ont pris des mesures qui ont changé la donne (en 2000 Mexico comptait 16 millions d’habitants, soit deux fois moins qu’annoncé). A 40 ans on ne peut pas prévoir. Imaginez un démographe vivant en 1910. Il pouvait difficilement prévoir sur 40 ans les deux guerres mondiales, le krach de Wall Street de 1929 - et passons sur la grippe espagnole de 1919 qui a fait quelques millions de morts ; tous totalement imprévisibles. Attention, ici il ne s’agit pas de nier le principe d’un « vieillissement de la population » : il s’agit de dénoncer le phénomène comme devant nécessiter le bouleversement de notre système de protection sociale, sur la base de prospectives plus que douteuses intégrant des dizaines de paramètres (espérance de vie, croissance économique, immigration, indice de fécondité, taux de chômage, part des emplois à temps partiel…). Ceux qui agitent ces peurs sont les mêmes qui, régulièrement, sont incapables de prévoir la croissance économique d’un trimestre l’autre sans une marge d’erreur atteignant les 20 ou 30%. Ne nous y trompons pas : le piège est trop gros car les conclusions trop attendues. Il s’agit de libéraliser le système. Dans des tas de pays il n’y a pas de « Papy boom », pas de vieillissement de la population, pas de peurs agitées pour 2040. Mais dans ces pays, les élites trouvent d’autres arguments qui aboutissent à des réformes que doivent engager d’urgence leurs systèmes de protection sociale. Réformes qui sont comme par hasard… les mêmes que celles proposées en France. La France a l’indice de fécondité le plus élevé d’Europe, nous gagnons 100 000 immigrés par an, mais on a les mêmes réformes que les pays baltes ou la Pologne. (voir la Thaïlande).

La Sécurité sociale a réussi en 40 ans à supporter une hausse de l’espérance de vie de plus de 15 ans, la retraite à 60 ans, les chocs pétroliers et un taux de chômage passant de 2% à 13% sans jamais connaître de déficit vertigineux (au pire 4% de ses dépenses quand le déficit de l’Etat atteint 30% en 2009 ; ce qui n’empêche pas de réduire sans arrêt l’impôt sur le revenu).

En réalité, le déficit est lié au chômage. Entre 1998 et 2002 le chômage a baissé de 4 points, on s’est retrouvé avec une cagnotte. En 2007 on avait un déficit ridicule (2 milliards). En 2010, on a un déficit de 32 milliards à cause du chômage et de la baisse de certains salaires (4 millions de chômeurs, 600 000 chômeurs partiels : mais on ose dire aux gens de travailler plus et plus longtemps).

Tableau évolution dépenses retraites

Y-a-t-il urgence ? (voir tableau chiffré ci-dessus). Comme nous pouvons le constater, même le pire des scénarios n’annonce pas un péril insurmontable, et l’effort qu’il nous faudra faire à l’avenir est dans tous les cas moins important que l’effort que nous avons dû faire ces dernières années. En volume, la masse de capital nécessaire est impressionnante ; mais en pourcentage des richesses totales (PIB), elle l’est beaucoup moins. En réalité et comme vu plus haut, il faudra consacrer une part importante du PIB aux personnages âgées. Que la dépense soit privée et individualiste, ou bien collective et solidaire n’y changera rien.

Quid de la réforme Fillon ?

Elle complète la réforme Balladur de 1993 concernant les salariés du privé :
 passage de 150 trimestres à 164 en 2012 pour une retraite à taux plein.
 retraites calculées sur les 25 meilleures années et non sur les 10 meilleures dans le privé
 augmentation des retraites sur l’inflation et non plus les salaires
 fixation d’une décote de 5 % par annuité manquante après 2015 à concurrence de 5 ans et annulable si le salarié poursuit son activité jusqu’à 65 ans..

Soit une baisse assez considérable des conditions d’accès à une retraite décente.

La loi Fillon devait aligner les salariés du public sur ceux du privé en passant après 2012 à 168 trimestres. Cette mesure s’accompagne d’une décote de 5% par annuité manquante : cela revient à supprimer de fait la retraite à 60 ans, qui de toute façon devrait être reportée à 62 ou 63 ans. Cela aboutit surtout à une baisse générale des pensions. En 1993, la retraite nette moyenne s’élevait à 78 % du salaire moyen net. En 2000, ces dernières n’étaient plus que de 70% du salaire moyen. En 2030, elle ne s’élèvera plus qu’à 59 % de ce salaire moyen net si on en reste en l’état, car la durée moyenne de cotisation aujourd’hui est de 36,5 ans sans augmentation depuis 15 ans. L’objectif qui était de sauver un système en péril revient, en fait, à diminuer sensiblement les retraites. Le système de la retraite par répartition devient un minimum, que chacun devra compléter par de l’épargne privée.

De toute façon, ces solutions n’en sont pas comme le dit le rapport du COR de mai 2010 :
 15 milliards d’euros économisés en 2050 si on allonge la durée de cotisation à 43,5 ans ;
 24,9 milliards économisés si on recule à 63 ans l’âge légal et à 68 ans l’âge du taux plein, avec une durée de 41,5 ans de cotisation ;
 37,1 milliards économisés si on cumule les deux dispositifs précédents sur l’âge et la durée, c’est-à-dire seulement le tiers du déficit annoncé.

Or le déficit annoncé pour 2050 par ce même rapport varie selon les hypothèses de croissance entre 65 et 115 milliards d’euros.

L’autre solution fréquemment avancée est de compléter avec de l’épargne privée. Cette solution n’en n’est pas une non plus. Car de deux choses l’une : ou bien l’économie française produit suffisamment de richesses, et ans ce cas on peut redistribuer du salaire et donc des cotisations sociales élevées permettant de financer les dépenses de retraite par répartition. Ou bien la production de richesse est insuffisante, et dans ce cas si on ne peut pas verser de salaires élevés ou de cotisations élevées, on ne voit pas comment les salariés pourront mettre de l’argent de côté. De plus, pour percevoir un complément de revenu digne de ce nom des rentes d’un placement, il faut que celui-ci soit considérable. Cette solution de l’épargne individuelle est particulièrement dangereuse pour le salariat. Elle transformera chaque salarié en un petit capitaliste soucieux de la garantie de la profitabilité de ses placements. Elle le transformera en un schizophrène ambulant. Ceci est très important : en tant que salarié, il aura intérêt à une hausse régulière de son salaire et à une relative faiblesse des profits redistribués aux actionnaires. En tant que petit capitaliste, il aura intérêt au contraire. Le patronat et les détenteurs de capitaux attendent beaucoup de cette situation pour casser les revendications salariales et dégrader le rapport capital/travail. En revanche, avec un système fondé sur les cotisations assises sur le salaire, salariés et retraités ont des intérêts communs (l’augmentation continue du salaire) contre les actionnaires.

Ces réformes handicaperont d’abord les catégories les plus fragiles, en commençant par les femmes (qui ont rarement des carrières aussi complètes que les hommes, et donc des retraites inférieures de 40% à celles des hommes), les salariés ayant eu des carrières interrompues par le chômage, les ouvriers… Arrêtons-nous sur cette dernière catégorie. Le meilleur complément de retraite étant l’accession à la propriété avant 60 ans, pour ne plus avoir à payer son loyer après, il est bon de savoir qu’en 2004 le taux de propriétaire était de 73.8% chez les cadres mais seulement de 34.9% chez les ouvriers non qualifiés à 60 ans. De plus, pour épargner ou souscrire des plans de retraite, encore faut-il avoir des capacités d’épargne. Les cadres, professions libérales et chefs d’entreprise épargnent en moyenne entre 15 et 18% de leurs revenus. Pour les employés et ouvriers (plus de 50% de la population), les chiffres sont compris entre 1 et 3% : d’où une extrême vulnérabilité à la retraite de base par incapacité à se constituer un patrimoine.

Les propositions d’ATTAC

Les revendications d’ATTAC sont extrêmement simples et ne partent pas d’une réalité comptable pour fixer des objectifs sociaux. Elles fixent des exigences sociales et cherchent à adapter la logique comptable à ces impératifs. Il est donc essentiel de revenir au principe d’une retraite complète pour 150 trimestres cotisés avec suppression de la décote. La retraite doit rester indexée sur l’évolution des salaires, et doit s’en tenir à 75% des meilleures années ; le minimum vieillesse devant compléter jusqu’à hauteur du SMIC les pensions qui n’atteindraient pas ce minimum (le SMIC étant jugé indispensable pour les salariés, pourquoi ne le serait-il pas après 60 ans ?). La retraite à 60 ans sera maintenue, et la possibilité de percevoir sa retraite avant 60 ans facilitée pour ceux qui ont démarré très tôt et ont déjà leurs annuités complètes (reconnaissons à la loi Fillon d’avoir avancé sur ce point, mais avec 160 trimestres qui pourra vraiment en profiter ?).

Comment financer ?

L’ensemble de ces revendications portent en elles-mêmes des solutions de financement.

En réalité, la solution numéro 1 de financement est le retour à une situation de plein emploi. 10 % de chômeurs, c’est 10% de cotisants en moins et des dépenses en plus pour la protection sociale. De même, les 16% de salariés qui travaillent à temps partiel (dont un tiers souhaitent travailler à temps plein) cotisent à temps partiel. Enfin, seul un tiers des salariés qui font valoir leurs droits à la retraite à 60 ans sont encore en activité. Les autres ont été licenciés avant, se sont arrêtés d’eux-mêmes, ont été mis en pré-retraite… Quelle hypocrisie de la part du patronat de réclamer que le salariat travaille après 60 ans, alors qu’il fait tout pour s’en débarrasser dès 55 ans. La première mesure à prendre pour réduire le chômage est de ne pas inciter les salariés à travailler au-delà de 60 ans. Lorsque le taux de chômage sera inférieur à 2%, on pourra éventuellement réfléchir à une hausse de la durée de cotisation. Pour l’heure, toute politique allant dans ce sens est un crime contre l’emploi des jeunes et donc contre le financement des retraites.

 Augmenter les salaires. Un retour au partage capital/travail de 1980 augmenterait les salaires de 150 milliards d’euros dont 40 % de cotisations (60 milliards). Les salaires finançant la protection sociale bien plus que les profits, il y a des gisements de recettes considérables à attendre de cette solution. De plus, cette solution n’augmente pas les prix de vente et donc ne détériore pas la compétitivité puisque le coût du capital diminue. Enfin, une redistribution de la sorte entraînerait un redémarrage considérable de l’activité économique par la demande.
 Inciter les salariés à quitter leur emploi à 60 ans, c’est permettre à des générations nombreuses de libérer des emplois au profit de jeunes générations. Malgré les réformes Balladur et Fillon, ce phénomène se fait déjà sentir depuis 2003 et expliquait l’essentiel de la baisse du chômage d’avant le krach de 2008 (avec les radiations des Assedic....).
 Lutter contre toute forme de rétribution des salariés qui ne soit pas du salaire socialisé (avec cotisations). La lutte contre le travail au noir doit être une priorité, de même que l’augmentation des moyens de l’inspection du travail. Enfin les primes sous forme de participation au capital des entreprises (ex : les stocks-options) doivent être interdites ou fortement taxées. Elles sont du salaire déguisé sans cotisations sociales.
 Revenir sur les facilités accordées aux entreprises (notamment les plus grandes) de verser leurs cotisations avec retard. Cela oblige la Sécu à emprunter et alourdit ses dépenses. Enfin, il convient de s’interroger sur les différentes réductions de cotisations accordées au patronat depuis 1993. Elles sont compensées pour la plupart par l’Etat, mais creusent du coup le déficit de ce dernier sans régler le problème du chômage. Elles reposent sur l’idée que le chômage provient d’un coût du travail français trop élevé. Cette hypothèse est fausse : le coût du travail en France n’est pas trop élevé. En réalité, les entreprises embauchent lorsque la demande est élevée et l’investissement dynamique, jamais pour faire plaisir, même aux copains du gouvernement qui viennent d’accorder une baisse de « charges ». Que d’ingratitude… Ces réductions atteignent, on l’a vu, 22 milliards d’euros - soit l’équivalent de 800 000 emplois au salaire net médian (1400 euros), cotisations comprises. Les différentes baisses de l’impôt sur le revenu depuis 1986, représentent 24 milliards ; les niches fiscales 70 milliards.

On le voit : derrière la réforme des retraites et du système de protection sociale se cache l’envie de mettre en place un véritable projet de société fondé sur l’individualisme et le chacun pour soi. En détricotant la retraite par répartition, il s’agit d’affirmer, y compris pour les risques les plus fondamentaux de l’existence, la logique du marché en assurant la rentabilité du système financier pour le plus grand profit de ceux qui ont du capital. C’est l’ensemble de l’édifice bâti par les Résistants pendant la guerre qui est ici remis en cause par une droite décomplexée. Mais décomplexée de quoi ? Sinon des concessions faites pendant 60 ans par le gaullisme aux revendications sociales et au désir de tout un peuple d’assurer un système de solidarité intergénérationnel avec pour principe : chacun finance à la hauteur de ses moyens et reçoit à la hauteur de ses besoins. Bref, une droite débarrassée du gaullisme...

Nicolas Cléquin
Attac 45.

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