La politique commerciale de l’UE : un moteur de la mondialisation libérale

, par Colette

La politique commerciale de l’UE : un moteur de la mondialisation libérale


Frédéric Viale

Les accords de libre-échange ont mis les peuples en concurrence et les ont soumis à la règle du moins disant social et environnemental ; ils ont facilité le pillage et le saccage des écosystèmes, la crise des agricultures familiales et l’accaparement des terres par les multinationales ou les fonds spéculatifs. Ils sont directement responsables de la marchandisation, voire de la destruction, des systèmes de fourniture des services de base (santé, éducation, eau, transports publics...) dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud.

De nombreux travaux d’ONG, de syndicats, d’associations de droits de l’Homme... ont montré, à la lumière d’études de cas et d’analyses approfondies des processus de libéralisation commerciale passés, que la libéralisation profite sans aucun doute aux grandes firmes multinationales, leur ouvre de nouveaux marchés, leur garantit un approvisionnement constant en matières premières peu coûteuses et tend finalement à accroître leurs bénéfices. Mais elle ne bénéficie en aucun cas aux travailleurs, aux petits producteurs, aux populations plus vulnérables (femmes des zones rurales, chômeurs et travailleurs peu qualifiés...) pas plus qu’aux écosystèmes locaux.

L’UE, moteur de l’OMC

Les négociations de l’OMC se sont largement enlisées, du fait de l’impossibilité notamment de conclure sur les questions agricoles qui ont un impact direct sur un nombre considérable de personnes dans le monde. Cependant, l’OMC continue de jouer un rôle clé dans la formulation des cadres et des normes régissant le commerce mondial.

L’Organe de règlement des différends (ORD) occupe une fonction centrale dans l’énonciation de la justice « commerciale » et l’Union européenne est impliquée, par exemple, dans au moins une dizaine des procédures en cours de traitement à l’ORD (contre l’Argentine suite à l’annonce de restrictions à l’import au premier semestre 2012, contre la Chine dans le dossier des restrictions à l’export de ses matières premières, contre le Canada dans le cadre de la politique de soutien domestique au secteur des énergies renouvelables défini par l’État d’Ontario ...).

L’OMC poursuit également son élargissement géographique, la Russie et Vanuatu ont porté le nombre de membres de l’organisation à 157 à l’été 2012, et un groupe de travail spécifique s’active sur l’accession des Pays les moins avancés (PMA) à l’organisation (33 sont membres à ce jour, 10 autres négocient), avec le soutien actif de l’Union européenne.

Si les négociations formelles relatives au Cycle de Doha "pour le développement" - cycle de négociations entamé lors de la Conférence ministérielle de Doha en 2001 - ont été suspendues en 2008, des discussions informelles se poursuivent sur la question des services (négociation d’un accord plurilatéral entre « les amis » des services – UE, États-Unis, Australie), sur la « facilitation du commerce » (harmonisation des formalités légales, publication et transparence de tous les règlements nationaux...) ou encore sur le commerce des technologies de l’information.

L’ UE accroît son offensive par la multiplication des accords bilatéraux et régionaux.

Dans ce contexte de crise du multilatéralisme commercial, l’intensité et la diversité des négociations commerciales n’ont pas faibli pour l’UE ; bien au contraire elle a choisi, tout en restant moteur du travail de l’OMC, de s’orienter vers la multiplication des négociations bilatérales et régionales.

Le choix récent de l’UE d’entrer dans une nouvelle phase historique de sa stratégie d’expansion commerciale et de se doter d’instruments juridiques approfondis à cette fin procède en réalité de différents facteurs.

Quoique demeurant la zone du monde la plus développée, la concurrence des pays émergeants est ressentie comme un défi. Depuis les années 2000, les « BRICS »(Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont bâti la modernisation et la mondialisation de leur économie sur l’articulation entre des coûts de main d’œuvre très bas et une insertion croissante sur les marchés financiers internationaux, associés dans certains cas à des politiques très volontaristes dans le domaine de la formation et de la recherche, voire à un certain usage de l’autoritarisme et de la violence politique et sociale. Moins chers, plus flexibles, leurs opérateurs ne posent que peu de conditions politiques et économiques à leurs investissements, voire, dans le cas de la Chine acceptent de traiter avec des gouvernements très mal en cour en Occident. Ils menacent donc directement à la fois l’accès des entreprises européennes à des matières premières et des terres très peu coûteuses et l’écoulement de leurs productions sur les marchés du Sud.

L’UE mène également une politique commerciale agressive car les décisions politiques sont très largement inspirées par les lobbies des entreprises transnationales, elles-mêmes assimilées à un intérêt général européen, comme s’il allait de soi qu’il était nécessaire de renforcer les positions de ces entreprises pour répondre à la crise économique et sociale que connaît l’UE. La crise actuelle donne des arguments supplémentaires aux lobbies des ETN qui se présentent comme la solution (par l’exportation et le renforcement de la compétitivité) aux problèmes traversés par les pays membres de l’UE.

L’UE entend, pour sortir de la crise, se forger un nouvel « avantage comparatif » sur le grand marché mondial. Alors que ses coûts de production sont infiniment supérieurs à ceux proposés dans les pays du Sud, elle ne pourra rivaliser avec les prix pratiqués par les entreprises chinoises et indiennes qu’à condition d’obtenir des matières premières à vil prix, un accès renforcé aux marchés émergents et en développement dans le cadre d’accords préférentiels, et un renforcement des régimes de protection des droits de propriété intellectuelle.

Dans ce contexte, la logique de négociation de l’UE est simple : un maximum d’avantages pour ses entreprises, le mépris des droits économiques, sociaux et environnementaux des peuples et une pratique de l’opacité et du secret au prix du déni de tous les cadres démocratiques existants.

Les documents « Global Europe : competing the world » (2006) et « Trade, growth and world affairs : Trade policy as a core component of the EU’s 2020 strategy » (2010) expriment la stratégie menée par l’UE : suppression de toutes les barrières tarifaires et non-tarifaires aux produits et services européens, sécurisation accrue de l’accès à l’énergie et aux matières premières pour ses entreprises, ouverture des services et des marchés publics à ces dernières, libéralisation des marchés financiers, facilitation des conditions d’investissement des acteurs privés, protection accrue des investisseurs, etc. Dans le document de 2006, le lien est fait entre libéralisation du marché intérieur de l’UE et les exigences de libéralisations des marchés que visent l’UE pour renforcer les positions des ETN dont elle se fait le fer de lance.

La grande priorité de l’UE : la protection de l’investissement

Dans quelques semaines sera signé un accord entre l’UE et le Canada, mais ce volet est aussi présent dans les négociations avec Singapour, l’Inde, ainsi qu’avec les pays du Sud de la Méditerranée. Ils instaurent des mécanismes d’arbitrage des différends État/Investisseur, qui donnent droit à un acteur économique privé de poursuivre un État, auprès de juridictions spécifiques hors du droit commun, en cas de supposée violation de ses droits d’investisseur par cet État mettant en œuvre une régulation publique.
Il s’agit d’un dossier majeur pour l’UE, aux implications politiques et financières considérables : les différends État/investisseur se sont multipliés en dix ans, et remettent directement en cause la souveraineté des gouvernements dans la définition de leurs politiques économiques, sociales, énergétiques ou environnementales.

Les autres priorités

 La protection des droits de propriété intellectuelle, à travers ACTA (rejeté en juin par le Parlement européen ; mais la Commission attend un avis de la Cour européenne de justice et entend présenter un nouveau texte amendé dès que possible), mais aussi en consacrant une attention spécifique à l’inclusion de clauses de protection des indications géographiques dans les accords et ententes qu’elle négocie (comme avec la Chine par exemple).

 Les marchés publics, domaine dans lequel l’UE considère jouir d’un avantage comparatif important. L’accès aux marchés publics est également un volet important des négociations avec les pays du Sud-Méditerranée et les pays asiatiques et nord-américains (le Canada en particulier).

 L’accès durable à des matières premières et à l’énergie au meilleur marché est une priorité de l’UE et des Etats membres.

Conclusion

L’accord UE-Canada est très symptomatique des problèmes auxquels le mouvement social doit faire face : Canadiens demandent l’accès aux ressources naturelles (pétrole), l’affaiblissement de REACH et se trouvent prêts à accepter, en contrepartie, un accès à leurs services publics pour les grandes entreprises européennes demandeuses. Le Canada, et surtout le Québec, compte beaucoup de services publics non encore privatisés, contrairement à l’UE. De leur côté, les entreprises de services européennes seront ravies de mettre la main sur les services publics d’un pays à la population solvable.

Cet accord est une régression démocratique puisqu’il laisse aux entreprises la possibilité de placer les Etats sous un chantage permanent, celui de les poursuivre et d’obtenir leur condamnation s’ils réglementent les activités que ces entreprises convoitent.

Cet accord aura des conséquences sur les questions d’environnement en facilitant la perpétuation d’un système productiviste et extractif dont nous savons qu’il est un échec.

Par ailleurs, le Canada fait partie de l’ALENA avec le Mexique et les Etats-Unis. Cet accord exige que tous les engagements internationaux des Etats partenaires soient compatibles avec lui.

Autrement dit, l’accord UE-Canada ouvre la voie à l’instauration, à terme, d’une vaste zone de libre échange entre les Etats-Unis, l’Union européenne, le Canada et le Mexique.

Jusqu’ici, les mobilisations n’ont absolument pas été à la hauteur, en dépit des alertes. Les mouvements français ont un rôle à jouer déterminant.