Retraites : résister au cynisme * par Jean-Marie Harribey

publié dans L’Humanité Dimanche du 28 janvier 2010
vendredi 29 janvier 2010

Parmi les multiples atteintes aux droits des travailleurs dont s’est rendu coupable le
capitalisme néolibéral, il y a la remise en cause de la protection sociale, en particulier
l’assurance vieillesse. Les gouvernements français se sont illustrés dans le démantèlement des
retraites par répartition en maniant deux paramètres : l’allongement de la durée de cotisation
et la modification du mode de calcul des pensions.

Le résultat est net : la baisse des pensions
peut atteindre 20% depuis les réformes Balladur (1993) et Raffarin-Fillon (2003). Beaucoup
de pays se sont engagés dans des voies analogues, harcelés par les recommandations
expresses de la Banque mondiale, du FMI et de l’OCDE faisant la propagande des fonds de
pension. La première marque de cynisme – ou de bêtise, on ne sait – est là : la capitalisation
ne serait pas soumise aux contraintes démographiques.

De nouvelles attaques se préparent en France. L’une, classique, émane du Medef :
abroger l’âge légal de départ à la retraite, ou tout au moins le reculer. Elle vient de trouver un
soutien dans une déclaration assassine de Martine Aubry : « Je pense qu’on doit aller, qu’on
va aller très certainement vers 61 ou 62 ans. » Par ailleurs, le Conseil d’orientation des
retraites réfléchit à la proposition de faire basculer notre système de retraite dans un système
par points ou par comptes notionnels. L’idée serait d’obtenir la baisse des pensions en se
débarrassant de la contrainte d’avoir à assurer un taux de remplacement minimal du salaire.
Cet objectif serait atteint dans un système par points en jouant sur la diminution de la valeur
du point, et, dans un système par comptes notionnels, en neutralisant l’effet de l’âge de départ
à la retraite puisque la somme perçue par le retraité pendant tout son temps de retraite serait
répartie en fonction de son espérance de vie.

Ces projets sont cyniques pour au moins sept raisons.
- 1. Toutes les déclarations annonçant les futures réformes imputent l’aggravation des
déficits des caisses de retraite à l’évolution démographique, alors qu’elle n’est due qu’à la
crise et que la perspective démographique pour les retraites s’est au contraire améliorée.
- 2. Les études préalables aux nouveaux projets programment ouvertement une nouvelle
baisse des pensions de 15 à 20%, une fois le système par comptes notionnels en place.
Jusqu’ici, on jurait aux salariés que les réformes visaient à sauver leur retraite.
- 3. Au nom de l’égalité par le bas, le statut de la fonction publique sera encore rabougri
en supprimant la relation entre la pension et le dernier salaire.
- 4. Les travailleurs précaires, notamment ceux effectuant les travaux les plus pénibles et
les femmes aux carrières discontinues et aux salaires minables, seront obligés de travailler le
plus tard possible, bien loin de la liberté individuelle proclamée.
- 5. La justification avancée est de faire coïncider les cotisations versées par chacun tout
au long de l’activité et la totalité de sa retraite, afin de vider le système de son caractère
légèrement redistributif et d’en faire un système d’épargne individuelle.
- 6. Le mirage des fonds de pension est toujours présent, même après une débâcle
financière, notamment celui du Fonds de réserve des retraites dont Thomas Piketty, auteur
d’un projet sur les comptes notionnels, demande le provisionnement pour passer la bosse du
baby-boom.

* L’Humanité Dimanche a titré « Retraites : se battre point à point ». Cela pourrait laisser croire à une
approbation du système par points, ce qui n’est pas le cas.

Article du site de Jean-Marie Harribey


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