Grèce : le bras de fer est engagé par Michel Husson Publié par Alencontre le 8 - février - 2015

mardi 10 février 2015

La Banque centrale européenne (BCE) vient de prendre une décision d’une brutalité inouïe : à partir du 11 février, elle n’acceptera plus les titres publics grecs en contrepartie des liquidités accordées aux banques grecques [1]. C’est une déclaration de guerre ouverte contre le gouvernement Tsipras : soit il renonce à sa politique, soit les banques grecques font faillite. La BCE choisit ainsi une stratégie du chaos aux conséquences absolument imprévisibles

Super-Mario : la fin des illusions

La nomination de Mario Draghi à la tête de la BCE était en soi une provocation. On se souvient que l’entrée de la Grèce dans la zone euro en 2001 a été rendue possible grâce au maquillage de ses comptes, mené sous l’égide de la banque Goldman Sachs. Celle-ci avait conseillé le gouvernement grec pour qu’il utilise des produits dérivés afin de réduire l’ampleur de son déficit budgétaire. Depuis, la supercherie a été reconnue et les comptes corrigés. Mais Mario Draghi a exercé de 2002 à 2005 les fonctions de vice-président pour l’Europe chez Goldman Sachs et, à ce titre, il est difficile de croire qu’il n’était pas au courant de ces manipulations, ni des 300 millions de dollars qu’elles avaient rapportés à sa banque. Après qu’il ait succédé à Jean-Paul Trichet à la tête de la BCE, ce dernier avait opposé un silence pesant et révélateur [2] à une question d’un journaliste sur le passé de Draghi chez Goldman Sachs.

« Tout ce qu’il faudra pour sauver l’euro » : par cette forte formule proférée dans un discours du 26 juillet dernier, Draghi a fait croire que la Banque centrale européenne allait, sous son égide, mener une politique plus accommodante. Son annonce ultérieure d’un Quantitative Easing à l’européenne, autrement dit des achats massifs de titres publics sur le marché secondaire, a eu deux effets. En signifiant aux marchés financiers que leurs attaques spéculatives seraient systématiquement contrées, elle a permis de dégonfler un peu les taux d’intérêt consentis aux pays en difficulté. En marquant une prise de distance avec le dogme merkélien, elle donnait l’impression que la zone euro faisait un petit pas vers une gestion plus solidaire de la crise des dettes souveraines. L’annonce du plan Juncker d’investissement, pouvait confirmer cette impression que la politique européenne était en train de se réorienter.

Ces illusions avaient déjà été dissipées, par exemple par Pierre Khalfa [3] qui pointait les limites de « Super Mario » et les faux-semblants du plan Juncker. Mais la décision de la BCE siffle la fin de la récréation et on redécouvre que les principes de l’austérité européenne n’ont pas varié d’un pouce. Le premier principe est que les dettes doivent être payées. Dans le cas grec, la leçon de choses est particulièrement claire. En 2012, la dette grecque a bénéficié d’un haircut, autrement dit elle a été restructurée. Mais cette restructuration était plutôt modeste, puisque, selon les statistiques mêmes de la Commission européenne, la dette publique grecque est passée de 356 milliards d’euros fin 2011 à 305 milliards fin 2012, soit une réduction effective de 51 milliards, ou encore de 14 % du total. En réalité, il s’agissait surtout d’une restructuration des créances des banques privées : moyennant une décote modeste, elles se sont débarrassées de ces créances devenues douteuses qui ont été reprises dans leur grande majorité par des institutions européennes. Dans l’esprit de ces dernières, c’était le dernier effort consenti pour alléger le fardeau de la dette. Mais celle-ci représente fin 2014 (toujours selon les données officielles) 175,4 % du PIB. L’objectif imparti à la Grèce est de faire baisser ce ratio à 120 %, soit une baisse démesurée et impossible sans décimation du peuple grec.

Le second principe est celui de la conditionnalité, qui est omniprésent aussi bien dans le Quantitative Easing de Draghi que dans le plan Juncker : toutes les aides monétaires ou financières sont conditionnées à la mise en œuvre des fameuses « réformes structurelles », dans la continuation des injonctions de la Troïka. Il faut consulter ses documents officiels (par exemple le bilan du programme d’ajustement grec [4] dressé par la Commission européenne en avril 2014) pour comprendre à quel point de détail et de brutalité les envoyés spéciaux de la Troïka pouvaient aller dans leurs prescriptions.

Quelle renégociation de la dette grecque ?

Les évènements s’accélèrent et la décision unilatérale de la BCE est une riposte à la tactique du nouveau gouvernement grec. Le ministre des finances grec, Yanis Varoufakis, est un économiste hétérodoxe brillant et un critique original de la financiarisation où il fait jouer un rôle central à l’aspiration des surplus (et des profits) par les Etats-Unis, ce qu’il appelle Le Minotaure planétaire. Mais il est aussi l’auteur, avec Stuart Holland puis James Galbraith, d’une « modeste proposition pour surmonter la crise de l’euro » [5] qui était une variante – habile – de l’idée d’euro-obligations permettant de mutualiser les dettes souveraines (à hauteur du seuil fatidique de 60 % du PIB de chaque pays) et de recycler les fonds ainsi obtenus pour financer un programme européen d’investissement, via la Banque européenne d’investissement. Il s’agissait effectivement d’une proposition modeste, compte tenu de l’ampleur des déséquilibres structurels de la zone euro, et elle s’appuyait sur une volonté de rendre compatibles ces nouveaux dispositifs avec les règles du jeu européennes.

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