Analyse détaillée des 61 mesures du rapport Badinter |29 janv. 2016 par Gerard Filoche dans son blog sur Médiapart

mercredi 3 février 2016

Le rapport remis le 26 janvier par la commission Badinter signe la condamnation à mort du code du travail construit depuis un siècle.

Bien que le président de la commission, Robert Badinter, ait cru sans modestie devoir écrire qu’il s’agissait d’une « difficile entreprise » et d’une « mission complexe qui n’aurait pu être réalisée dans les brefs délais impartis au comité si ses membres n’avaient pas fait preuve d’une ardeur égale à leur compétence reconnue », un élève de terminale aurait pu sans difficulté opérer en moins de temps ce qui, pour l’essentiel, n’est que le copier-coller des 50 articles « fondamentaux » déjà écrits par le tandem Badinter/Lyon-Caen il y a plus de six mois.

Adapter l’homme au travail… à la place d’adapter le travail à l’homme. L’analyse des 61 mesures du rapport Badinter.

A l’époque, cette tentative de ré écrire le code en 50 points était déjà prétentieuse et dérisoire, mais on comparera et on notera que le copié-collé du « rapport » induit encore plus de reculs pour plaire aux commanditaires du rapport, Valls, Macron. Gattaz venait de dire que l »e code du travail etait l’ennemi n°1 des patrons ». C’est fait il est exécuté.

Pour être juste, les désormais 61 articles censés poser les principes fondamentaux du droit du travail ont tout de même été expurgés des scories qui exposaient trop au grand jour le nouveau missel patronal, du type « Le salarié exécute avec diligence la prestation convenue », mais c’est pour aggraver le contenu en l’ajustant mieux encore à la commande de la ministre du travail qui avait insisté pour qu’il y ait une parfaite harmonie avec le texte de loi qui va bientôt supprimer de fait la durée légale du travail.

On caractérisera le rapport comme une tentative pour en finir avec un « code du travail » spécifique et le remplacer par un mixte avec le code civil, où les contrats commerciaux et les statuts d’indépendants sont mis sur le même plan que l’ex contrat de travail. La « personne » » remplace le salarié. Le salarié est traité comme l’indépendant. Uber peut s’y retrouver, Attali et Macron sont passés par là.

La notion de subordination est disparue, remplacée par une « soumission librement consentie ». Le patron est le seul agent actif de droit quasi divin mais, comme il se doit chez les libéraux, hypocritement masqué. Et les contreparties à la subordination sont noyées dans un salmigondis d’improvisations d’inspiration libérales. Les deux parties inégales au contrat de travail sont remplacées par deux parties co contractantes mises artificiellement à égalité.

La hiérarchie des préoccupations commence aussi par la « personne », les libertés individuelles, pas par la santé, l’hygiène ni la sécurité ce qui illustre le degré d’extériorité conceptuelle qui préside à l’approche de cette casse d’un siècle de droit du travail. Le code du travail historiquement était construit autour de la réduction légale du temps de travail : la notion de durée légale est supprimée. Entre autres, la mensualisation, la médecine du travail, les prud’hommes, l’indépendance de l’inspection du travail, les institutions représentatives du personnel, sont supprimés. Il n’y a même plus d’âge plancher pour le travail des enfants.

Décidément il faut être prétentieux et ignorant à la fois, petit et planant, cet essai le prouve, pour se lancer, avec une poignée de technocrates déracinés du travail réel, dans la ré écriture d’un siècle de droits vivants du travail produit de luttes sociales.

Le code du travail depuis 1910 était fait de sueur et de sang, de luttes et de larmes, c’état l’expression des rapports de force sociaux à travers des décennies, une co-construction historique exceptionnelle, salariés et patrons, propre à notre pays, depuis 1906, la terrible catastrophe de Courriers, 1910 la naissance juridique du code, les grèves de 1936, de 1945, de 1968, de 1995 et les lois qui en étaient issues…

Là, ce rapport Badinter, c’est un bricolage médiocre fait de neurones badins et de préjugés aristocratiques , de discussion de salon et de sotte expertise, déconnecté de la réalité, de l’histoire, et surtout soucieux de plaire au maitre du moment, le Medef.

Ni historique, ni matérialiste, ni social, ce rapport est un assemblage aléatoire de soucis opportunistes qui provoque un grand haut le coeur de mépris aux familiers du droit des salariés, tels que nous avions pu réussir à les bâtir et à des défendre jusque là.

En détail :

Article 1  : désormais « Les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail » mais des limitations à ces libertés fondamentales peuvent être apportées « si elles sont justifiées… par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ».

Le bon fonctionnement de l’entreprise au-dessus des libertés fondamentales, ceux qui continuent à penser qu’avec l’artisan de l’abolition de la peine de mort, on n’avait rien à craindre pour les libertés fondamentales devraient relire cet article.

Dans cet article et dans tous les autres, il n’est jamais question « des » salariés (sans parler des travailleurs) mais toujours « du » salarié et de « la » personne. Le choix ne doit rien au hasard : l’article correspondant du Code du travail, par exemple, parle « des » personnes.

Articles 2, 3, 4, 7, 15, 17, 18, 19, 23, 31, 37, 38, 42, 43, 44, 48, 49, 50, 53, 61 : déclarations de principes existants, de nul effet sur la responsabilité de l’employeur. Concernant par exemple la protection des données personnelles (article 3), elle est déjà piétinée par la mise en place du « Compte Personnel de Formation », du « Passeport d’orientation, de formation et de compétences » et l’élaboration en cours du « Compte Personnel d’Activité » prévu par la loi Rebsamen du 17 août 2015, « Passeport » et « Comptes » centralisés sur une application numérique nationale.

Article 5 : « Les discriminations sont interdites dans toute relation de travail ».

Lesquelles ? Les principes fondamentaux Badinter/Lyon-Caen de juin 2015 les détaillaient, conformément à la loi actuelle (« à raison de l’origine, des opinions, de la religion, de l’âge, du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’état de santé ou du handicap physique »). Certes, ils oubliaient déjà une partie non négligeable des discriminations interdites : les mœurs, la situation de famille, la grossesse, les caractéristiques génétiques, l’appartenance ou la non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, l’apparence physique, le nom de famille. Ici plus rien. Les libertés fondamentales ne méritaient-elles pas ce rappel ?

Article 6 : L’inquiétude induite par la rédaction de l’article 5 grandit quand on voit à l’article 6, à l’heure où la discrimination antisyndicale se déchaîne avec le soutien gouvernemental, que la seule discrimination indiquée est celle relative aux « convictions religieuses ». En outre, il est difficile d’y voir autre chose qu’une arme supplémentaire en actualité dans l’incessante croisade contre les personnes de religion musulmane quand on lit que cette liberté fondamentale peut être réduite si cela est justifié « par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ».

Article 8 : L’interdiction d’employer des mineurs de moins de 16 ans pourra désormais être contournée par des « exceptions prévues par la loi ». Il y a 6 mois, le premier rapport Badinter/Lyon-Caen rappelait plus strictement la seule exception possible : « si le...

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