Le droit du travail deviendrait-il le droit du capital ? par Jean-Marie Harribey blog d’Alternatives Economiques

lundi 29 février 2016

Le rapport Badinter dont j’avais rendu compte ici le 25 janvier 2016 (« Rapport Badinter : le diable est dans les détails » a bien rempli son office : préparer et justifier le projet de loi présenté par Myriam El Khomri sur le Code du travail.[1] L’article 1er du rapport Badinter le laissait entendre clairement : le « bon fonctionnement de l’entreprise » peut être mis au même rang que le respect des libertés et des droits fondamentaux. Le projet de loi le reprend en préambule et il s’apprête à parachever toutes les remises en cause du droit du travail qui ont été faites depuis maintenant plus de trois décennies, et dont les idéologues libéraux appelaient la poursuite ces derniers mois : précédant le rapport Badinter, celui de Jean-Denis Combrexelle remis le 9 septembre 2015 accompagnait l’offensive menée sans relâche par le Medef. L’étape supplémentaire que constitue la loi El Khomri marque ainsi la victoire du patronat des grandes entreprises et de leurs actionnaires.

Les principales dispositions contenues dans cette loi bafouent le principe même du droit du travail fondé sur la primauté de la loi sur la convention d’entreprise et vont à l’encontre de l’objectif affiché, celui de favoriser le dialogue social. En distinguant les « règles d’ordre public » applicables à tous du « champ renvoyé à la négociation collective », on peut fixer les « règles supplétives applicables en l’absence d’accord » (Art. 3). Pour que l’on comprenne bien, Manuel Valls explique sur Facebook : « Il n’y aura plus de règles s’appliquant à tous – et donc nécessairement rigides, dictées d’en haut […]. Les règles seront au contraire fixées par ceux les mieux à même de connaître les réalités de l’activité, les contraintes de leurs marchés, les attentes de leurs clients. »[2]

Le temps de travail : travailler plus pour gagner moins

Depuis l’aube du capitalisme industriel au XIXe siècle, la réduction du temps de travail est l’objet de la haine la plus tenace des patronats car ils y voient une modalité d’affecter la progression de la productivité du travail aux travailleurs. Et ils ont raison ! Aussi, ils applaudissent la loi El Khomri qui prévoit de donner la possibilité de porter la durée de la journée de travail de 10 à 12 heures (Art. 3 pour L.3121-18 du code du travail). La durée hebdomadaire du travail, actuellement limitée à 48 heures, pourra aller jusqu’à 60 heures « en cas de circonstances exceptionnelles et pour la durée de celles-ci » (L.3121-21), et la durée moyenne calculée sur 16 semaines pourra atteindre 46 heures (L.3121-23). Ce n’est pas tout : des dépassements au-delà de 46 heures peuvent être autorisés par décret « à titre exceptionnel dans certains secteurs, dans certaines régions ou dans certaines entreprises » (L.3121-25). Mais les salariés peuvent se rassurer : « Le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, s’ils existent, sont informés des autorisations de dépassement demandées à l’autorité administrative en application des articles L. 3121-24 et L. 3151-25 ». (L.3121-26). Et le temps d’astreinte est compté comme temps de… repos ; dans le cas où le salarié avait une période de non-intervention avant son intervention pendant le temps d’astreinte, ce « temps de repos » sera compté dans celui donnant droit à 11 heures de compensation (L. 3121-9).

La durée légale hebdomadaire reste fixée à 35 heures, seuil de déclenchement du paiement d’heures supplémentaires. Pour les 8 premières heures, la majoration oscillera vraisemblablement entre 10 et 25 % au gré des accords d’entreprise, et elle sera de 50 % au-delà de 8 heures.

Le pouvoir de licencier : flexibilité sans sécurité

Avec la possibilité d’augmenter le temps de travail, celle de licencier sans entraves faisait partie des principales revendications du Medef. L’emploi deviendra vraiment la variable d’ajustement de « la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires » si elle se produit pendant « plusieurs trimestres consécutifs », des « pertes d’exploitation pendant plusieurs mois », d’une « importante dégradation de la trésorerie », des « mutations technologiques », d’une « réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité » (Art. 30-bis pour L.1233-3).

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