Vandana Shiva : « L’idée que nous sommes maîtres de la nature n’est qu’une illusion » | Propos recueillis par Julien Bouissou (New Delhi, correspondance) LE MONDE | 03.09.2016

lundi 5 septembre 2016

Elle est l’auteure de plusieurs livres dénonçant les organismes génétiquement modifiés (OGM) et l’agriculture intensive. L’Indienne Vandana Shiva a fondé en 1991, dans le nord de son pays, le mouvement Navdanya (« Neuf semences ») qui enseigne l’agriculture biologique et a donné naissance à plus d’une soixantaine de banques de semences destinées à préserver les variétés locales.

Agée de 64 ans, lauréate du prix Nobel alternatif en 1993, elle discutera, lors du Monde Festival – le 18 septembre à Paris – avec l’astrophysicien Etienne Klein, des relations entre science et progrès.

Un débat au Monde Festival : La science peut-elle aller contre le progrès ?

D’ici à la fin du siècle, 10 milliards d’humains vivront sur Terre. Or la superficie des terres cultivées ne peut plus être augmentée, ou seulement marginalement. Comment nourrir la planète sans avoir recours aux biotechnologies et à la science ?

Avant de se lancer dans une grande avancée, on doit se poser les questions suivantes : est-ce nécessaire ? Existe-t-il d’autres moyens, plus faciles ou plus sûrs, que, par exemple, le recours aux pesticides pour que les plantes résistent mieux aux parasites et aux maladies ?

Les partisans de l’agriculture intensive ont tort sur un principe au sujet duquel je travaille depuis trente ans : à savoir que l’on pourrait produire davantage de nourriture avec des produits chimiques. La révolution verte en Inde a permis de produire davantage de blé, bien sûr, mais en faisant disparaître les légumineuses et certaines semences !

L’Inde, qui était le plus grand producteur de graines d’oléagineux et de légumineuses, est devenue le plus grand importateur d’huile de palme, au prix de la destruction de forêts entières en Indonésie, et achète désormais des pois jaunes du Canada de médiocre qualité. Leur teneur en protéine est de 7 % contre 35 % chez ceux que l’on cultivait en Inde.

Le contrôleur général national a expliqué que ces importations massives entraînaient de la corruption. Quand je cultive des produits de bonne qualité dans mon jardin, aucun homme politique ne peut prendre de l’argent, mais quand du soja et des légumineuses sont importés en grande quantité, alors les pots-de-vin sont énormes. Pourquoi ne pas raconter l’histoire dans sa totalité ?

Mais est-il possible d’augmenter les rendements sans recours à l’agriculture intensive ?

La diversité des récoltes permet de produire davantage de nutriments par hectare. Si le blé est cultivé avec de la moutarde, par exemple, il contiendra davantage de nutriments que s’il est cultivé seul. Or l’agriculture intensive, c’est la monoculture, et les monocultures sont des systèmes à faible productivité.

En sortant de ce système, le paysan n’est pas obligé de dépenser de l’argent pour acheter des semences ou des engrais à [l’entreprise américaine] Monsanto, il n’a pas à s’endetter. Et, au final, il produit des aliments sains, pas des denrées que les marchés du monde entier achètent à bas coût.

L’agriculteur n’est plus aujourd’hui qu’un acheteur de produits chimiques. Il est passé du statut de producteur à celui de consommateur. Dans le langage de l’industrie, le maïs et le blé ne sont définis que comme des matières premières.

Faut-il pour autant rejeter toutes les avancées scientifiques et technologiques ? Les OGM ne permettent-ils pas, par exemple, de limiter la consommation de pesticides ?

La capacité d’incorporer des gènes dans différentes espèces est apparue dans des programmes publics de recherche menés aux Etats-Unis. Les scientifiques concernés ont organisé une conférence en Californie et demandé un moratoire en disant : « Nous n’irons pas plus loin tant que nous n’aurons pas une meilleure compréhension des enjeux. »

C’est à ça que doit ressembler la vraie science. Einstein avait coutume de dire que, si vous ne portez pas la responsabilité de ce que vous faites, vous n’êtes pas un bon scientifique.

Puis les spéculateurs, les fonds de capital-risque, ont commencé à faire des promesses à Wall Street. Les fabricants de produits chimiques, qui sortaient de la guerre, se sont dits : on va se doter de cet outil et, à travers lui, acquérir des semences. Car, pour dégager des profits à partir des semences, on doit posséder celles-ci et faire en sorte que les fermiers ne puissent pas en conserver d’une année sur l’autre.

L’ingénierie génétique ne constitue-t-elle pas pour autant une avancée scientifique ?

Prétendre que déplacer un gène d’un organisme à un autre – puisque c’est tout ce qu’ils savent faire ? revient à créer un organisme, ce n’est pas ma conception de la science. Ils inventent pour se permettre de réclamer des royalties. Qu’ont-ils apporté à la science ? Les récoltes aux herbicides, les récoltes résistantes au Baccillus thuringiensis (Bt) ?

Le coton Bt [provenant de cotonniers modifiés génétiquement] était censé résister aux parasites ; les herbicides permettre de lutter contre les mauvaises herbes. Or, aux Etats-Unis, la moitié des superficies agricoles sont envahies de mauvaises herbes qui ne peuvent pas être éliminées. En Inde, le coton Bt a créé de nouvelles résistances chez les parasites. Cette technologie a échoué. Or, l’efficacité des outils doit être mesurée à l’aune de leurs résultats.

Répéter aveuglément : « Je suis le maître, devenez mes serfs, abandonnez votre Constitution, abandonnez votre démocratie », ce n’est pas de la science, c’est une forme de dictature. L’ingénierie génétique est un système de contrôle de la propriété intellectuelle et des droits de propriété. Une entreprise ne peut pas prétendre posséder une semence en y insérant un gène toxique.

Il faudrait donc protéger la nature de l’arrogance de la science ?

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