Si le Ceta passe, l’accord de Paris sur le climat trépasse Par Un collectif d’ONG* dans Libération |20 septembre 2016|

jeudi 22 septembre 2016

Ratifier le traité commercial entre l’Europe et le Canada reviendrait à clamer haut et fort que la COP21 n’a rien changé et que la transition énergétique n’est pas pour demain.

Si le Ceta passe, l’accord de Paris sur le climat trépasse

Alors que les dirigeants de la planète se réunissent à l’ONU, à New York, pour accélérer le processus de ratification de l’Accord de Paris sur le climat adopté à la COP21, nous lançons l’alerte. Si les pays européens signent en octobre l’accord de commerce UE-Canada (appelé Ceta), ils porteront un grave coup à l’Accord de Paris. Importations de pétrole des sables bitumineux, agriculture industrielle et frilosité accrue des responsables politiques sur le climat : le Ceta et l’accord de la COP21 sont tout simplement incompatibles.

Précurseur politique du Tafta (l’Accord UE-Etats-Unis), le Ceta est un accord de libéralisation des échanges et de l’investissement entre l’UE et le Canada. Bruxelles souhaite que ce traité, conclu fin 2014, soit validé par les Vingt-Huit le 18 octobre, puis officiellement signé lors de la venue du Premier Ministre Justin Trudeau le 27 octobre. Accepter le Ceta reviendrait à clamer haut et fort que la COP21 n’a rien changé et que la transition énergétique n’est pas pour demain.
Encourager l’investissement dans les sables bitumineux

Comment respecter l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement planétaire si l’on continue à extraire et importer massivement du pétrole issu des sables bitumineux du Canada ? Ce carburant est 49 % plus émetteur de CO2 que le pétrole conventionnel. Or, le Ceta ne fait aucune différence entre énergies sales et renouvelables. Un de ses objectifs est de libéraliser les échanges d’énergie entre le Canada et l’Europe. Il va encourager l’investissement privé dans l’extraction et le transport d’énergie, dont le pétrole tiré des sables bitumineux. Il ne prévoit aucune exception qui permettrait à un gouvernement de limiter l’exploitation ou l’importation d’énergies fossiles.

D’après les scientifiques, rester sous la barre des 1,5°C ou 2°C de réchauffement par rapport à la période préindustrielle suppose de laisser 80 % des réserves connues d’énergies fossiles dans les sous-sols. Et d’éliminer d’abord les plus polluantes d’entre elles.
Un risque grave de frilosité politique

On ne peut pas sortir des énergies fossiles d’un claquement de doigts. Nos lois et politiques publiques doivent commencer à évoluer. Il faut changer notre système fiscal, encore trop favorable à ces énergies sales, réduire la pollution de l’air, baisser la consommation énergétique des bâtiments, des véhicules ou des appareils électroniques et soutenir le développement des énergies renouvelables. Il faut aussi aider les ménages, les collectivités et les entreprises en difficulté, qui ne peuvent enclencher cette transformation sans soutien public.

Le Ceta risque de sanctionner les responsables politiques décidés à prendre ces mesures indispensables. En cause : son mécanisme d’arbitrage privé entre investisseurs et Etats. Une instance qui permettrait aux seuls investisseurs d’attaquer un État qui prendrait des mesures contraires à leurs intérêts ; l’inverse étant impossible. Une instance qui dépendrait d’un organe juridique privé, avec des « juges » étant en fait des avocats pour moitié payés à l’honoraire, plutôt qu’une cour de justice relevant d’une administration publique.

Ainsi, le droit d’un Etat à adopter de nouvelles réglementations, notamment énergétiques ou climatiques, serait constamment menacé par d’éventuels recours des entreprises. De multiples cas liés à d’autres accords de libre-échange contenant des dispositifs similaires l’ont déjà prouvé (par exemple l’Alena entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique).
L’augmentation des émissions agricoles

L’agriculture représente déjà 24 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle de la planète. Accepter le Ceta serait engager sur la mauvaise voie le modèle agro-alimentaire européen, loin d’être cohérent avec les engagements de la COP21. Comment atteindre les objectifs de l’Accord de Paris si l’on encourage une agriculture industrielle, très émettrice de gaz à effet de serre car gourmande en engrais azotés et en pesticides ? C’est pourtant ce que le Ceta propose : une convergence des normes entre l’Europe et le Canada, notamment dans le secteur agro-alimentaire. Celle-ci risque de se traduire par une course à l’industrialisation agricole, allant à l’opposé du modèle agroécologique qu’il faudrait promouvoir pour stabiliser le réchauffement climatique.
Un obstacle à l’acceptabilité sociale de la transition

La transition écologique est un formidable moteur de changement social, pour créer une société plus économe, plus respectueuse du climat et l’environnement, plus juste. A condition qu’elle se fasse avec et par les citoyens et qu’elle apporte des bénéfices locaux : emplois non délocalisables, qualité de l’air, alimentation saine, baisse de la facture énergétique, etc. Or, cette capacité d’action locale est remise en cause par le Ceta. Il empêcherait les pouvoirs publics de demander aux investisseurs de respecter des seuils minimaux de produits locaux, ou de donner préférence à des produits ou services locaux dans leurs commandes publiques (productions de technologies d’énergie renouvelable, de trains, alimentation, etc).

Le Ceta viendrait enfin creuser le fossé entre l’Europe et les citoyens, parce qu’il renforcerait encore l’influence des lobbies industriels et financiers sur les décisions réglementaires. Alors qu’une étude d’impact du Ceta menée par Bruxelles en 2008 concluait à un gain de 2 euros par mois et par Européen, une étude indépendante d’une université américaine indique qu’il détruirait 200 000 emplois en Europe, dont 45 000 en France. Est-ce vraiment ainsi que la France imagine reconstruire l’Europe ?

Le gouvernement français répète que le Ceta n’a rien à voir avec le Tafta, que c’est un bon accord, compatible avec la COP21. Pourtant, tout indique le contraire. Nous demandons haut et fort à la France, qui a piloté, signé et ratifié l’Accord de Paris, de rejeter le Ceta. Nous demandons également à tous les parlementaires français, qu’ils soient au parlement européen ou français, de prendre position contre ce texte, en cohérence avec leur avis quasi unanime en faveur de la ratification de l’Accord de Paris.

*Signataires :

Amélie Canonne, Présidente de l’AITEC (Association internationale de techniciens, experts et chercheurs) ; Philippe Catinaud, co-président du Réseau semences paysannes ; François Chemillier, président de PowerFoule.org ; Florent Compain, président des Amis de la terre France ; Clémence Dubois, chargée de campagne pour 350.org ; Michel Dubromel, vice-président de France nature environnement ; Cécile Gondard Lalanne & Eric Beynel, porte-paroles de l’Union syndicale Solidaires ; Brieuc Guinard, président du Mouvement rural de jeunesse chrétienne ; Bernadette Groison, secrétaire générale de la Fédération syndicale unitaire (FSU) ; Gérard Halie, co-secrétaire national du Mouvement de la Paix ; Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France ; Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France ; Bruno Lamour, président du Collectif Roosevelt ; Cécile Ostria, Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme ; Laure Pascarel, porte-parole du Mouvement Utopia ; Pierre Perbos, président du Réseau action climat ; Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne ; Aurélie Trouvé & Dominique Plihon, porte-paroles d’Attac ; Jessica Zeganadin, porte-parole d’Alternatiba.

Un collectif d’ONG

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