DECENTRALISATION AU SERVICE DE QUI OU AU PROFIT DE QUI ?

lundi 23 juin 2003

Les données, les implications et les ramifications de l’actuel projet de décentralisation sont tellement nombreuses qu’il ne sera pas bien sûr possible d’en faire le tour pendant ces 10 minutes. Ce sont essentiellement des pistes que je livre là afin d’amorcer le débat qui suivra.

UN RAPPEL DU PROCESSUS EN COURS

- En mars, le congrès inscrit la décentralisation dans la Constitution,
- Le 14 mai, deux projets de loi sont adoptés par le conseil des ministres :
 - L’un précisant les modalités d’organisation de référendums locaux,
 - L’autre expliquant comment les collectivités pourront lancer, si elles sont volontaires et pendant une période limitée, des expérimentations sur l’exercice de compétences nouvelles.

D’ici fin 2003-début2004 : deux autres lois seront soumises au Parlement, sur les nouvelles ressources financières et fiscales des collectivités et sur les transferts de compétences de l’Etat vesr les régions et les départements.
Ces transferts de compétences touchent plusieurs secteurs :
éducation nationale (le département assurerait la gestion et recrutement de certains personnels non enseignants et aurait en charge la formation professionnelle) mais aussi la santé, l’environnement, les transports et la culture, avec entre autres le transfert de services d ’études patrimoniaux et la cession de monuments historiques appartenant à l’Etat.

Il ne s’agit pas d’entreprendre ici un débat pour ou contre LA décentralisation en général, d’opposer « jacobinisme » et « girondisme », tel que veut nous le faire croire Raffarin mais de se demander pour qui ? ou au profit de qui ? est faite CETTE décentralisation. Et de la replacer au sein d’un vaste projet de libéralisation de l’économie.

Il ne s’agit pas de simples mesures techniques présentées sous le masque séduisant et consensuel de la « démocratie de proximité », mais d’un véritable choix idéologique, politique, du passage à un autre type de société, et ceci sans qu’un véritable débat démocratique soit institué. Et surtout pas lors des « assises des libertés locales », qui se sont déroulées d’ocobre à janvier, et qui n’ont été que des simulacres de concertation.
Au passage, on peut signaler que ce processus est en fait en marche depuis 1989, avec les lois Joxe puis Chevènement et le rapport Mauroy en 2000.

Cette décentralisation s’inscrit dans l’offensive d’ensemble du capitalisme néo-libéral principalement sous deux angles :
1) Il s’agit, à la demande de l’Union européenne, et selon les besoins de la mondialisation libérale, de procéder à une recomposition territoriale où les régions deviendraient les nouvelles entités « chef de file ». Des régions gérées comme des entreprises et aptes à engager la compétition économique.
2) Et par voie de conséquence, cette décentralisation participe au dogme libéral de l’affaiblissement de l’Etat social, l’Etat comme instrument de régulation grâce aux acquis des luttes sociales, cet Etat qui est considéré comme un frein à la libre circulation des capitaux et à la libre exploitation des hommes et des femmes. A l’Etat resteraient les missions régaliennes (justice, police), c’est à dire le maintien de l’ordre.

Conséquences de ce remodelage territorial :

Elles sont nombreuses. Pour certaines déjà largement amorcées, elles seront aggravées par le projet Raffarin.

1) Des régions renvoyées à leurs propres forces et mises en concurrence auront directement en face d’elles des multinationales en position de force car elles ne disposeront pas de l’arsenal législatif étatique (lois, statuts, conventions collectives nationales). Par exemple, en ce qui concerne les conventions collectives, on parle de conventions régionales négociées non plus par branches mais par territoires. Pour être attractives, les régions ne vont-elles pas être tentées de pratiquer un véritable dumping social ? On peut penser que la concurrence se fera sur le coût du travail.
De même, quand sera-t-il des préoccupations liées à l’environnement ou au développement durable ?

2)En ce qui concerne les transferts de ressources, on est dans le flou, mais il est sûr que les obligations tranférées sur les collectivités seront en fait beaucoup plus lourdes que les ressources dont l’Etat se déchargera à leur profit.
Dans un interview à La Tribune du 8 juin 03, Raffarin a déclaré que « le fonctionnemnt et le contenu de la péréquation dépendront de la loi de finances ». Or cette dernière est soumise au pacte de stabilité…
Et d’ailleurs les élus locaux ne sont pas dupes.
Les régions les plus pauvres ne seront-elles alors pas amenées à supprimer des services publics ou à les privatiser ?
Mais cela est d’ailleurs l’un des buts recherchés dans le cadre de l’AGCS : mettre de nouveaux secteurs sur le marché privé.
D’où, des inégalités renforcées entre les territoires et les personnes, inégalités dans les droits sociaux, les services publics, la qualité de vie.

3)Paradoxe apparent, cette décentralisation est également une menace pour la démocratie locale. L’application du principe de subsidiarité et la définition des régions comme collectivités chef de file, cela veut dire qu’elles pourront imposer leurs décisions aux communes. Or c’est dans certaines communes que peuvent encore se mener des expériences démocratiques. Devront-elles alors se soumettre à l’échelon supérieur ?

ALORS ?

Il ne s’agit pas de défendre le statu-quo étatique, de faire preuve d’ « immobilisme », comme J.-P. Raffarin nous en a accusé à la tribune de l’Assemblée hier, mais de proposer une autre décentralisation qui aille vers plus de démocratie, plus de citoyenneté, plus de corrections des inégalités.

Pour cela :
- L’une des conditions pour que les collectivités locales puissent résister à la marchandisation : réformer la fiscalité locale
- Redéfinir et consolider les missions du service public avec une administration au service des citoyens par : la proximité géographique et la réponse aux attentes des usagers par le développement des comités d’usagers
- Et surtout, mettre au centre la citoyenneté et la démocratie participative.
Car si l’on ne démocratise pas l’ensemble des processus décisionnels, toute tentative de décentralisation ne revient qu’à multiplier les centres des décision sans jamais réellement démocratiser.

Les collectivités territoriales seraient alors des laboratoires où s’expérimenterait et se construirait une nouvelle citoyenneté à même de remonter ensuite jusqu’au niveau de l’Etat.
Du local au global.

Geneviève NEGREL
Juin 2003


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