Dette : changer enfin une équipe qui perd par Damien Millet et Eric Toussaint (*)

mercredi 5 octobre 2005

Lors de leur assemblée annuelle qui vient de se tenir à Washington, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont entériné le choix du G8 annoncé avec fracas le 11 juin dernier. Les réticences des représentants de la Belgique et des Pays-Bas n’ont pas été négligeables, mais finalement c’est décidé : 18 pays pauvres très endettés (PPTE) vont bénéficier d’une réduction de dette de 40 milliards de dollars. Pourtant, c’est une énorme déception pour tous ceux qui militent pour briser la spirale infernale de la dette.

Première déception : une faible part de la dette est concernée. La dette extérieure publique de tous les pays en développement atteint 1 600 milliards de dollars, l’accord porte donc sur 2,5 % de ce montant. De plus, le nombre de pays est très réduit face aux 165 pays en développement recensés. Comment accepter que des pays aussi meurtris que Haïti ou le Népal en soient exclus ? Et pour les pays concernés, la réduction ne porte que sur la dette contractée auprès du FMI, de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement. La Banque interaméricaine de développement ne prend aucune part à l’accord, pénalisant les quatre pays d’Amérique latine parmi les 18 (par exemple, le service de la dette de la Bolivie ne devrait être réduit que de 26 %). D’autre part, les quelques créanciers privés n’annulent rien. Pis : le nombre de procédures judiciaires lancées par des fonds vautours pour faire de juteux profits sur ce que leur doivent les 18 PPTE est en nette augmentation. Le risque est donc grand qu’une part des fonds libérés aillent au remboursement de ces spéculateurs sans scrupules.

Deuxième déception : les montants annoncés n’ont aucune signification réelle. Les pays riches se sont engagés à rembourser à la place des PPTE, mais le financement de cet engagement reste encore très flou à moyen terme. En effet, les sommes libérées seront de l’ordre de 1 milliard de dollars par an pendant plusieurs dizaines d’années, mais nombreux sont les exemples de cas où les pays les plus riches n’ont pas tenu leurs promesses. Rappelons-nous qu’en 1970, ils se sont engagés à une aide publique au développement de l’ordre de 0,7 % de leur revenu national brut, alors que 35 ans plus tard, ils n’en sont qu’à 0,25%... Pendant ce temps, ils consacrent chaque année 700 milliards de dollars en dépenses militaires ou 350 milliards de dollars en subventions agricoles à l’exportation, pénalisant lourdement les petits producteurs du tiers-monde.

Troisième déception : avec cette décision, le G8 et les institutions financières internationales feignent de croire que la dette est un fardeau purement financier. Mais la dette est bien plus que cela : elle est un outil de domination politique. Via la dette, le FMI et la Banque mondiale, qui défendent les intérêts des dirigeants des pays du Nord et des sociétés transnationales, ont contraint les pays du Sud à des réformes économiques néolibérales. Se contenter de remettre quelques compteurs de la dette à zéro ne modifie pas le fabuleux outil de domination qu’elle représente, permettant une nouvelle colonisation où les décisions économiques concernant les pays du Sud sont prises à Washington, à Londres, à Paris, à Bruxelles, avec la complicité des potentats locaux qui y ont personnellement intérêt. D’ailleurs, les ministres des Finances des pays pauvres n’oublient pas de dire « merci » à la main qui les nourrit...

Quatrième déception : cela a un goût amer de déjà vu. L’initiative PPTE, lancée en 1996 et renforcée en 1999, devait apporter une solution durable au problème de la dette. Le chiffre de 100 milliards de dollars d’annulation de dette avait été avancé. Au bout du compte, les pays concernés ont dû réaliser un véritable parcours du combattant néolibéral, mais pourtant, les conditions de vie s’y sont dégradées pour les populations pauvres et la dette demeure démesurée. La décision entérinée récemment ne sert qu’à dissimuler le fiasco de l’initiative PPTE et à empêcher toute réflexion sur la voie à suivre afin de construire un modèle économique qui, contrairement à l’actuel, aurait comme objectif central la satisfaction des besoins humains de base.

Sur le plan médiatique, c’est bien joué : l’illusion d’une annulation généreuse l’emporte sur l’arnaque qu’elle représente. C’est le triple effet G8 : on annonce un faux accord « historique » en juin à Londres, on le valide en juillet en Ecosse, et on refait la même annonce en septembre à Washington, laissant croire que tout va bien sur le front de la dette. Oui, tout va bien, mais pour les créanciers. Leur domination reste intacte, pour le plus grand malheur de milliards d’individus dont les droits fondamentaux ne sont pas garantis. Et qui ne le seront pas tant que le mécanisme de la dette demeurera. Tant qu’on n’aura pas changé fondamentalement l’équipe formée par le G8, le FMI et la Banque mondiale, qui ne peut apporter de solution à la dette puisqu’elle est au contraire un élément clé du problème.

(*) Damien Millet est président du CADTM France (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org) , auteur de L’Afrique sans dette, CADTM/Syllepse, 2005 ; Eric Toussaint est président du CADTM Belgique, auteur de La Finance contre les peuples, CADTM/Syllepse, 2004.


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