La Banque du Sud doit être indépendante des marchés de capitaux : Interview d’Eric Toussaint

par Sébastien Brulez
mercredi 5 septembre 2007

24 août 2007

Caracas, 13 août 2007 (NOTISUR).

Où en est la construction de la Banque du Sud à l’heure actuelle ?

Sept pays d’Amérique du Sud sont impliqués dans la création d’une Banque du Sud. En plus du Venezuela qui a lancé l’initiative, se sont ajoutés l’Argentine, la Bolivie, l’Equateur, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay (le Suriname et la Guyane pourraient les rejoindre prochainement). Pour l’Amérique du Sud, il manque seulement la Colombie, le Pérou et le Chili. Mais ces pays ne s’y joindront pas, bien que le Chili participe comme membre observateur aux réunions préparatoires. La Colombie et le Pérou ont des régimes directement opposés à celui de Chavez et sont des fidèles soutiens de la politique des Etats-Unis dans la région.

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Il y a eu différentes réunions mais aucune date n’a été déterminée pour le moment. Il existe un accord de principe et la discussion tourne autour du volume de l’apport de chaque pays. Parce qu’il y a des différences importantes entre l’économie du Brésil comparée, par exemple, à celle du Paraguay ou à de l’Equateur.

Une chose importante va normalement se confirmer, c’est le principe d’ « un pays un vote », qui était encore en discussion il y a un mois. Mais ce n’est pas sûr car certains pays (dont le Brésil qui semble revenir à la charge) proposaient un vote proportionnel comme cela s’applique à la Banque mondiale (BM) ou au Fond monétaire international (FMI). Si les pays fondateurs adoptent le même mode de répartition des votes, la Banque du Sud ne représentera pas une alternative à ces institutions en terme de démocratie.

Sept pays se sont investis dans cette initiative, cependant les intérêts ne convergent pas toujours. Quels sont les intérêts en jeux ?

L’économie de l’Amérique du Sud est clairement dominée en premier lieu par les multinationales du Nord et ensuite par le Brésil qui a, avec tous les pays que je viens de citer, un excédent commercial. C’est à dire qu’il exporte vers ces pays plus que ce qu’il en importe. Le Brésil n’est pas à l’initiative de la Banque du Sud parce qu’il n’a pas besoin d’une institution multilatérale continentale pour conforter sa puissance économique.

Tandis que le Venezuela, qui a un agenda volontariste d’intégration latino-américaine avec des critères politiques de gauche, veut le succès de la Banque du Sud. A chaque étape du processus de construction il essaie d’accélérer le rythme pour arriver à des accords.

Les petits pays (ce n’est pas péjoratif, il s’agit de la taille de leur économie), c’est à dire la Bolivie, l’Equateur, le Paraguay et maintenant l’Uruguay sont bien entendu intéressés par une banque multilatérale publique, capable de financer leurs projets de développement. Elle leur donnerait une marge de manœuvre face aux créanciers actuels que sont la Banque interaméricaine de Développement (BID), la Banque mondiale, le FMI et d’autres organismes. Ces pays recherchent une Banque du Sud.

Il y a donc différents intérêts. Le Brésil ne recherche pas de façon active la Banque du Sud mais se trouve engagé dans sa création parce que si cet organisme voit le jour, le Brésil ne pourrait en être absent, sous peine de perdre une partie du poids dominant qu’il détient dans la région.

Donc d’un côté, le Venezuela fait pression pour arriver à un résultat au moins avant la fin de l’année, tandis que de l’autre, le Brésil essaie de ralentir la création.

Vous dites que l’Equateur a une position plus avancée que le Venezuela dans les propositions. Pourquoi ?

La position du Venezuela (ainsi que celle de l’Argentine) exprimée dans un texte datant de la fin mars 2007 faisait un diagnostic de la situation de l’Amérique latine proche de ce que pourrait écrire la Banque interaméricaine de développement (BID) ou la Banque mondiale. Le texte affirme que la raison fondamentale de la fragilité de l’Amérique latine est le faible développement des marchés de capitaux sur le continent.

Or cela n’est pas la cause des faiblesses et des problèmes économiques et sociaux de l’Amérique latine. Il faut parler du résultat de 30 années de politique neolibérale, des privatisations, de la perte de souveraineté, de l’ouverture économique démesurée et de plusieurs siècles de domination par les pays les plus industrialisés.

Il y a donc une différence. Le texte de l’Equateur fait un diagnostic plus radical et plus cohérent, y compris avec la position générale du Venezuela, la position de Hugo Chávez par rapport à l’intégration latino-américaine.

L’autre point est que les Vénézuéliens qui participent à l’élaboration de la Banque du Sud défendent une position selon laquelle cette banque devrait avoir un statut d’institution internationale pratiquement de la même nature que la BID, la Banque mondiale ou le FMI. Et cela ’pour se protéger contre les gouvernements de droite, en cas de virage à droite’.

Ils parlent alors d’immunité des hauts fonctionnaires, d’inviolabilité des archives. Ces points son communs avec la BID la BM et le FMI. La position de l’Equateur dit que les hauts fonctionnaires de l’institution doivent être justiciables. En cas de délit ils sont responsables de leurs actes.

Les hauts fonctionnaires de la Banque du Sud qui sont responsables de projets qui se révèlent être dommageables pour la population ou pour l’environnement, parce que se sont des méga-projets pour lesquels on n’a pas étudié les conséquences sociales ou environnementales, doivent évidemment être responsables de leurs actes. Si ce n’est pas le cas, on favorise l’irresponsabilité.

Et c’est exactement ce qui se passe avec la BID ou la BM qui appuient quantités de projets qui se révèlent néfastes. Or les responsables de celles-ci n’ont jamais de comptes à rendre, ils ne sont pas responsables devant la justice.

Un autre point est que l’Equateur demande que les archives fassent partie du domaine public afin de pouvoir faire un audit externe sur les comptes de la future institution.

J’espère et je pense que le Venezuela va avancer, j’imagine qu’avec la conduite de Hugo Chávez. Parce que je pense qu’il n’y a pas de doute sur le fait qu’il cherche à favoriser la construction de solutions réellement alternatives et démocratiques au niveau régional. Ces problèmes doivent être dépassés.

Peut-on imaginer une Banque du Sud comme une « anti-banque », une banque alternative ?

Pour moi la Banque du Sud pourrait réellement être une alternative. Dans quel sens ? Par exemple en ne finançant pas ses projets en s’endettant sur les marchés de capitaux.

Quand un pays ou une institution financière finance ses activités via les marchés de capitaux, il existe des agences de cotation de risque qui analysent et donnent une cotation. Elles créent alors une sorte de dictature des marchés financiers sur cette institution.

Si l’organisme en question s’implique dans des projets sociaux par exemple, les marchés vont estimer qu’ils ne sont pas rentables et vont exiger une rémunération beaucoup plus élevée. L’institution représente alors un risque pour les marchés parce qu’elle ne suit pas la logique capitaliste du profit maximum. Les marchés exigent dès lors des primes élevées.

Pour être réellement alternatif il faudrait être indépendant des marchés. Cela implique de solliciter des prêts aux Etats membres et de se financier par des impôts globaux régionaux, par exemple par une taxe sur les marchés de devises, du genre taxe Tobin.

On pourrait y ajouter un impôt régional sur les multinationales qui rapatrient leurs bénéfices vers la maison mère à l’étranger, en dehors de la région, afin de décourager le rapatriement de bénéfices et de stimuler les investissements dans la région.

Un autre type de taxe pourrait servi à défendre l’environnement par exemple, contre les entreprises polluantes.

Un autre élément d’alternative est qu’une banque publique du Sud pourrait non seulement faire des prêts mais également des dons. Il existe des banques publiques qui font des dons.

Evidemment, il existe des projets absolument nécessaires mais qui ne sont pas rentables au niveau économique. Développer un système de santé gratuit ou une université du Sud gratuite, cela ne va pas générer de bénéfices. Et donc il est logique qu’une Banque du Sud face des dons si cela se justifie du point de vue de l’intérêt social.

Le Venezuela a annoncé sa sortie, bien qu’elle ne soit pas encore concrétisée, de la Banque mondiale et du FMI. Que pensez-vous de cette décision ?

C’est une excellente décision. En avant !

La Banque du Sud pourrait-elle remplacer ces institutions dans la région ?

Bien sûr, si les pays de la région créent une Banque du Sud suffisamment forte. A ce niveau, le Venezuela a tout à fait raison de vouloir une Banque du Sud avec une grande capacité financière et pas quelque chose de symbolique. Avec une Banque du Sud forte, les pays n’auront plus besoin de prêts de la Banque mondiale, de la BID ou du FMI. Ils pourront eux aussi sortir de ces institutions qui sont totalement anti-démocratiques.

Dans le cadre d’une architecture financière alternative, l’idée est de remplacer la BM, le FMI et les banques régionales comme la BID, la Banque africaine de Développement ou la Banque asiatique de Développement par des institutions régionales démocratiques.

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Source : Agence de presse Notisur

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