Retour Page "Documents"Bouches du Rhône - Document 6

Version "pdf" pour impression

Le groupe "Attac Pays d'Aix" remercie vivement:
- Attac Rhône qui a réalisé la vidéo édifiante: "le millenium round".
- Méline MARTIN qui, courageusement, a retranscrit cette vidéo.
- Les intervenants: Bernard Cassen / René Sandretto / Lahsen Abdelmalki / Marc Dufumier / Jean-Pierre Berlan / Patrick Mundler / Suzan George / Christian De Brie /
pour avoir exposé ces idées d'une manière aussi pédagogique.

Nota: S'agissant d'une retranscription écrite d'interviews orales, certaines tournures de phrases peuvent sembler assez peu littéraires et la ponctuation est bien évidemment "inventée". Mais nous avons voulu rester aussi près que possible du texte parlé.

 

 


 

LE  MILLENIUM  ROUND
Chronique d'un chaos annoncé.

 

PRÉSENTATION 
par  Bernard CASSEN, Président d’ATTAC


L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est un organisme, une institution peu connue -elle n’existe d’ailleurs que depuis 1995- et elle est dotée de pouvoirs absolument considérables. Le problème est que ses pouvoirs et son fonctionnement sont très peu connus de l’opinion en général et je dirais même, de ceux qui prennent des décisions, en particulier les parlementaires qui sont très peu au fait de cette institution.

 

Donc, il nous a semblé qu’il n’y avait strictement aucune urgence à libéraliser davantage le commerce international. En revanche, il nous a paru important de faire un bilan, d’abord de décortiquer un peu cette OMC qui s’arroge des pouvoirs colossaux, comme on l’a vu dans l’affaire du « bœuf aux hormones », sans qu’on sache exactement comment çà marche.

 

La première chose, c’est la mise à plat des mécanismes et puis surtout mise à plat des conséquences des décisions déjà prises, puisque l’OMC a succédé au GATT, en 1995, et le cycle de L’Uruguay du GATT, qui s’est terminé en 1993, a pris toute une série de décisions dont l’impact n’est pas mesuré. Mais c’est un processus classique de fuite en avant : on nous expliquera que si çà marche mal, c’est parce qu’on n’a pas encore assez libéralisé. Alors : libéralisons encore un peu !

 


QU’EST-CE QUE L’O. M. C. ?

Un nouveau cycle de négociations va démarrer, sous l’égide de l’OMC  à la fin du mois de Novembre 99.

Ce cycle de négociations prétend inscrire dans les prérogatives de l’OMC plus de 160 secteurs d’activités comme la santé, l’éducation, les marchés publics, la propriété intellectuelle, les bio-technologies ou l’investissement.

Toute l’histoire des relations commerciales internationales démontre que les négociations multilatérales ne se soldent jamais, comme le prétendent les promoteurs du libéralisme, par un gagnant, mais toujours par une victoire pour les plus forts.

 

Dans ce contexte, quels sont les rapports de force ? comment fonctionne l’OMC ? quels seront les effets de ces négociations sur notre vie quotidienne et sur celle des pays du Sud ?

 

En Juillet 1944, la Conférence de Bretton Woods crée le Fonds Monétaire International (F.M.I)., la Banque Mondiale et l’Organisation Internationale du Commerce (L’ O.I.C.).

L’O.I.C. ne verra jamais le jour ; mais les négociations, menées parallèlement entre une vingtaine de pays pour améliorer leurs relations commerciales, conduiront, dès 1948, à la signature des accords du GATT, qui sont les accords généraux sur les tarifs douaniers et le commerce.

 

Le GATT, simple accord, va se transformer en organisation, établissant son siège à GENEVE. Durant son fonctionnement : de 1948 à 1994, le GATT s’attache à démanteler toutes les mesures protectionnistes, hormis les droits de douane. Il fonctionne sur le modèle de négociations pluriannuelles appelées « Rounds ». Le plus célèbre est sans doute le dernier,  en 1988 : l’Uruguay Round, du fait de sa longueur et de l’importance des décisions prises, telles que le démantèlement des accords concernant le textile et l’inclusion des négociations sur les services, l’agriculture, l’investissement et la propriété intellectuelle.

Réunis à MARRAKECH à la fin de l’année 1994, 111 pays membres concluent les accords de l’Uruguay Round qu’ils installent avec la signature de l’acte final et la création de l'OMC.

 

Avec l’OMC une conviction demeure : le libre échange est le vecteur du bien-être mondial. Si la  référence à la protection de l’environnement et aux droits des travailleurs est évoquée, elle ne s’est jamais traduite dans les faits.

On retiendra 3 changements :

- D’abord, au sein de l’OMC , 1 pays = 1 voix. Tandis qu’au F.M.I et à la Banque Mondiale, les voix sont proportionnelles aux apports de fonds.

- Ensuite, la création d’un organisme de règlement des différends (l’O.R.D) auquel peut recourir tout pays qui se sent lésé.

- Enfin, alors que le GATT ne régissait que le commerce de marchandises, l’OMC étend ses compétences à d’autres domaines.

 

L’OMC  et ce qu’elle représente, c’est-à-dire le commerce ouvert, sont régulièrement objet d’attaques. Au-delà de ce débat, on constate qu’un nombre croissant de pays adhèrent à l’OMC.
Est-ce le reflet du bon sens ou le résultat de pressions inamicales exercées par les pays riches ?

 


LE  COMMERCE  INTERNATIONAL
Par René SANDRETTO , Professeur d’Économie LYON II, Chercheur C.N.R.S.


Le commerce international ce n’est pas ou la guerre ou la paix, mais c’est simultanément à la fois la guerre et la paix.

Le commerce international met en jeu des acteurs très inégaux : des entreprises, des États inégalement puissants et qui nouent entre eux des rapports à la fois de coopération, pouvant aller jusqu’à l’alliance, et qui à d’autres périodes, au contraire, s’affrontent très violemment. Et dans ce jeu, comme chacun sait, les multinationales jouent un rôle important. Il faut savoir, par exemple, que les cinq premiers groupes industriels du monde ont un chiffre d’affaires consolidé qui est plus important que le P N B de la CHINE.

 

Je serais tenté d’avancer brièvement 5 propositions :

 

-   Ma première proposition consiste à dire qu’effectivement et incontestablement, le commerce international a contribué historiquement à intensifier la croissance et à améliorer le bien-être. On peut considérer, à juste titre, que c’est un des principaux moteurs de la prospérité de la période d’après guerre.

- Ma 2ème proposition consiste à dire qu’il est aussi utile pour pacifier les relations entre les États même si ce n’est pas nécessairement suffisant. Mais,

- C’est ma 3ème proposition : si le commerce est bénéfique à l’échelle de toute la planète, ça ne veut pas dire pour autant qu’il bénéficie identiquement, de la même façon, à tous les pays.

- Ma 4ème proposition consiste en effet à affirmer qu’un commerce qui serait libéré de toute entrave, qui ne serait soumis à aucune règle, à aucune institution chargée de le réguler, aurait toutes les chances de bénéficier principalement aux grandes puissances au détriment des pays les plus pauvres. Et ceci m’amène à....

- Ma 5ème proposition, c’est-à-dire la nécessité de règles et  d’institutions  qui soient capables de faire respecter ces règles. Et ceci montre quelle est l’importance de la tâche qui est celle de l’ OMC et la difficulté de son action. Çà montre aussi l’importance du chemin qui reste à réaliser pour que l’organisation remplisse effectivement et pleinement ce qui devrait être sa mission, c’est-à-dire : remplacer les rapports de force par des relations de droit

 

L’OMC  se trouve en fait soumise à une contradiction dont on voit mal comment elle peut facilement se sortir.

En effet, soit l’OMC s’affirme véritablement contre les souverainetés nationales, y compris contre les États les plus puissants, et, à ce moment là, le risque est important. Je pense par exemple aux U.S.A. qui ont  annoncé la couleur en disant que dès l’instant où l’ OMC prendrait 3 décisions contraires à leurs intérêts, qu’ils jugeraient injustes, ils se retireraient purement et simplement de cette organisation. Et, dans cette éventualité, bien entendu, l’ OMC serait vidée de sa substance.

 

Mais, d’un autre côté, si l’OMC, pour éviter ce risque, est amenée en fait à se plier aux désirs et aux intérêts des pays les plus puissants, elle perdra toute crédibilité et, en particulier, vis-à-vis des pays du Sud ; je crois que cette évolution  est au moins aussi redoutable que la première perspective.

 



ÉTAT  DES  LIEUX

Par Lahsen ABDELMALKI, Maître de Conférence en Economie – LYON II - Chercheur C.N.R.S.

 

 

Il y a aujourd’hui 135 pays membres au sein de l’OMC ; ils étaient 111 en 1994 au moment de la ratification des accords de L’Uruguay Round, et donc à la naissance de l’OMC.

 

Ces pays se distribuent de façon très contrastée les bénéfices du libre-échange, en tout cas de la participation au commerce. Une trentaine de pays, grosso modo les pays de l’ O C D E, s’accaparent les trois quarts du commerce mondial. A l’autre extrémité, l’Afrique ne représente que 2 % du commerce mondial au mieux, et ceux qu’on appelle pudiquement « les pays les moins avancés » : 49 pays, ne représentent que 0,3 %.

 

Il convient de signaler que, aussi bien l’Afrique que les « pays les moins avancés », représentaient au moins le double du commerce mondial il y a une trentaine d’années. Je fais donc le constat que plus l’ouverture est grande, plus l’appauvrissement de certains pays est patent.

 

Paradoxalement, l’explication essentielle de ce phénomène n’est pas du tout due à un relâchement du GATT, ou maintenant de l’OMC, ou encore à un défaut de règles. Ces règles existent. Simplement, elles ne sont pas toujours appliquées comme c’est généralement prévu.

 

On dit que l’OMC est consensuelle dans la mesure où elle ouvre un champ ouvert à des négociations permanentes. Je doute cependant que des pays comme la COTE D’IVOIRE ou  le SENEGAL disposent des mêmes capacités d’expertise, pour pouvoir négocier, que des pays comme la France, les U.S.A. ou la Grande-Bretagne.

 

On dit que l’OMC est équitable. Je ne suis pas sûr du tout que tous les pays du monde aient les mêmes structures économiques, les mêmes capacités industrielles pour pouvoir tirer une part équitable des échanges internationaux.

 

La doctrine libérale repose sur deux postulats :

le premier est la supériorité supposée du marché sur les interventions. Je crois que ce postulat  fait partie du débat permanent. Il n’a nulle part été prouvé que, en toutes circonstances et quels que soient les problèmes à traiter, le laisser-faire l’emporte sur les interventions et les corrections publiques.

 

Le deuxième argument porte à lier  «ouverture» et  «puissance économique». L’exemple des pays d’Asie est offert pour dire que plus une région, plus un pays est ouvert, plus sa croissance est élevée et plus son envergure économique est grande. On peut pratiquement renverser cet argument en disant que, précisément, les pays asiatiques se sont ouverts parce qu’ils étaient puissants, parce qu’ils le sont devenus, à force de protection, à force d’efforts internes, à force d’interventions publiques structurées qui ont permis à ces économies de devenir ce qu’on appelle aujourd’hui des « économies émergentes ».

 


LE  ROUND  DU  MILLÉNAIRE: QUELS  ENJEUX ?


Le 30 Novembre 1999 s’ouvrent, à SEATTLE, les négociations du « millenium Round » de l’OMC.

La libéralisation des produits agricoles, largement entamée à l’issue de l’Uruguay Round, va se poursuivre. Particulièrement visées, les subventions à l’exportation versées par  les pays riches à leurs agriculteurs devraient encore diminuer, voire disparaître.

Le secteur des services sera l’objet de toutes les attentions tant les perspectives de croissance dans ce domaine apparaissent prometteuses. Cela concerne, entre autres, l’éducation, la santé, les services financiers, les télécommunications, les transports.

La propriété intellectuelle fait également partie des nouveaux sujets de discussion. Elle concerne les droits d’auteurs, de marques, la protection des brevets. C’est au nom de ce droit de propriété que les grands industriels de l’agrochimie, soutenus par de nombreux pays, réclament de pouvoir breveter les organismes vivants génétiquement modifiés.

Les marchés publics vont également s’ouvrir. A terme, plus question pour un pays de privilégier ses industriels nationaux pour ses commandes de telle marchandise ou de tel service.

Enfin, la question de l’investissement devrait également être à nouveau abordée. Après l’échec de l’accord multilatéral sur l’investissement, qui renforçait les droits des industriels face aux États, ses partisans comptent bien revenir à la charge.

En revanche, les questions plus générales concernant les normes de travail ou l’environnement ne semblent pas être à l’ordre du jour. Les membres de l’OMC ont affirmé que l’avantage économique des pays à faibles coûts salariaux ne devaient pas être remis en question. Les discussions s’effectuent principalement sous la pression des multinationales de l’industrie et de la finance.

Les O.N.G. et la société civile se mobilisent, dénonçant les conséquences attendues de ces négociations.

 


L’ O. M. C.  et  l’AGRICULTURE
Par Marc DUFUMIER, Professeur d'agriculture comparée, I.N.A. - Paris Grignon


Si vraiment on poursuit la libéralisation des échanges et que l’on fait en sorte que les agriculteurs du Sud soient en compétition  directe avec les agriculteurs du Nord, les conséquences pourraient être absolument dramatiques. Parce que, je crois, il faut bien mesurer les  choses et savoir que les écarts de productivité entre les paysans du Sud, qui n’ont que des outils manuels, pour prendre les plus pauvres, et les agriculteurs moto et mécanisés des pays du Nord, l’écart de productivité est de l’ordre de 1 à 100.

Si vous me permettez quelques chiffres: en HAITI, un producteur dans la plaine de l’Artibonite produit du riz en repiquant à la main. Il repique 0,5 ha par actif. Il ne peut pas en repiquer plus à la main. Les rendements, s’il ne met pas d’engrais, c’est 1 tonne à l’hectare. Cà veut dire que 1 haïtien produit 500 Kg de riz par actif et par an.

Aux U.S.A., juste à côté, à MIAMI en Louisiane ou en Floride, un agriculteur maîtrise 100 ha ; il peut avoir 5 tonnes à l’hectare, ce qui fait 500 tonnes de riz par actif et par an. Le rapport est de 1 à 1000. Alors, c’est vrai que le paysan haïtien qui ne met pas d’engrais et qui n’a comme seul outil que des outils manuels, n’a pas beaucoup de coûts et ses 500 Kg ce sont vraiment des valeurs ajoutées. Aux U.S.A., même si vous considérez que les 9/10ème de ces 500 tonnes ce sont des coûts, la valeur ajoutée reste de 50 tonnes. Le rapport de productivité est de 1 à 100.

Maintenant, à PORT-AU-PRINCE, quand vous avez 50 Kg de riz de MIAMI, quand vous avez 50 Kg de riz de la plaine de l’Artibonite, ces kilos de riz ont le même prix, sauf que dans un des sacs vous avez 100 fois plus de travail que dans l’autre. Et pour que le paysan haïtien puisse vendre et vivre un petit peu, acheter des chaussures, des textiles, etc…, vendre son riz, il est obligé d’accepter le même prix que le riz en provenance des U.S.A. ;  il est obligé d’accepter une rémunération donc 100 fois moindre que celle de son concurrent.

Alors maintenant, on pourrait regarder dans d’autres pays.

On dit du paysan de l’Altiplano andin, qui lui aussi a bien du mal à vendre son blé à LIMA, au Pérou,  parce qu’il n’arrive pas à être compétitif avec les blés nord-américains ou européens. Mais quelle alternative reste-t-il à ce  petit paysan de l’Altiplano andin qui ne peut pas être compétitif ? Se spécialiser selon les «avantages comparatifs» comme disent les apôtres du libre échange ? Mais c’est ce qu’ils font : s’ils ne migrent pas vers LIMA, ils migrent vers la forêt amazonienne. Et que vont-ils faire dans la forêt amazonienne ? Ils vont commencer par fouler la coca. Et ça y est, le Pérou est effectivement en train de spécialiser son agriculture vers ce pourquoi l’écosystème amazonien présente de très réels avantages comparatifs. Mais on dit non : on ne veut pas de ça !

Et vous voulez que je vous parle du petit paysan du Nord de la THAILANDE ? dans les mêmes conditions  il produira de l’opium : on n’en veut pas !

Qu’est-ce que c’est que prôner le libre-échange, qu’est-ce que c’est que de dire à des pays du Tiers-Monde : acceptez l’importation de nos produits, librement, et spécialisez-vous selon les avantages comparatifs,  si quand leur seul avantage comparatif c’est d’aller vendre leur force de travail chez nous on leur dit « pas de çà », et si quand c’est d’aller exporter de la coca ou de l’opium, on dit « pas de çà non plus »?

Qu’est-ce que c’est qu’un libre-échange dans lequel seuls certains disent quels sont les marchandises et les hommes qui ont le droit de traverser les frontières ?



LA  TECHNOLOGIE  « TERMINATOR »
Par Jean-Pierre BERLAN, Directeur de Recherches, I.N.R.A. – MONTPELLIER


Les négociations de SEATTLE visent à étendre les rapports marchands à des secteurs qui, largement jusqu’à présent, y échappaient. Le vivant en fait partie et donc, à travers le brevet sur le vivant, à travers les objectifs qui sont poursuivis à SEATTLE, ces objectifs sont résumés de façon particulièrement frappante par une technologie, qui est vraiment la technologie emblématique - on peut dire - de la situation politique présente, qui est la « technologie TERMINATOR ».

La technologie TERMINATOR, beaucoup en ont entendu parler. Il s’agit tout simplement d’une technique de transgénèse. On fabrique un organisme génétiquement modifié, des plantes en l’occurrence, mais çà pourrait être aussi des animaux, qui sont génétiquement manipulés de telle façon que, au fond, la plante se suicide et qu’elle produit un grain qui est stérile. Autrement dit, l’agriculteur ne peut pas semer le grain qu’il a récolté.

Donc, le projet qui est derrière ça, qui illustre parfaitement, je crois, le caractère particulièrement mortifère de notre société, c’est d’arriver à faire des plantes et des animaux stériles.

Pour quoi faire ? Pour permettre aux semenciers de pouvoir vendre des semences. Et ça c’est une vieille histoire : ça remonte au tout début de la manipulation d’hérédité à des fins économiques. C’est-à-dire que les premiers semenciers, en hommes d’affaires avisés, se sont immédiatement rendu compte que tant que le grain que récoltait l’agriculteur était aussi la semence de l’année suivante, eh bien, il n’était pas possible de lui vendre des semences.

Par conséquent, l’objectif final a toujours été celui-là : faire en sorte que les plantes et les animaux ne puissent plus se reproduire dans le champ du paysan, tout cela de façon, évidemment, à ce que le capital du semencier puisse, lui, se reproduire et se multiplier à son bilan

Au fond la question qu'il faut se poser, la question centrale, est celle-ci: pourquoi une société démocratique créerait-elle un privilège pour quelques firmes transnationales (qui ont d'ailleurs un lourd passé en matière environnementale pour la plupart, puisqu'elles viennent du secteur agrochimique), pourquoi une société démocratique créerait-elle un privilège sur le vivant

Nous ne voulons pas de privilège pour qui que ce soit. C’est quand-même effarant de voir que ce privilège est tout à fait équivalent au fait de nous demander de condamner nos portes et fenêtres pour permettre aux marchands de chandelles de lutter contre la concurrence déloyale du soleil ! Eh bien, là, c’est exactement la même chose, c’est-à-dire que les plantes et les animaux se multiplient, c’est même la propriété fondamentale des êtres vivants. Or notre société, soi-disant démocratique, veut maintenant faire de cette propriété fondamentale un privilège pour quelques transnationales. Au fond, c’est une véritable folie et un non-sens économique, un non-sens politique, un non-sens écologique.



LE  PRINCIPE  DE  PRÉCAUTION

Par Patrick MUNDLER, Professeur d’Économie, Collège Coopératif  RHONE-ALPES.

Le principe de précaution consiste à dire «il vaut mieux prendre des mesures, même sans certitudes scientifiques, les prendre assez tôt, plutôt que de prendre des mesures trop tard parce qu’on a voulu attendre des certitudes scientifiques ». Certains en voudraient une application relativement restrictive. Souvent les termes employés ce sont les termes de « raisonnable ». Ils voudraient utiliser ces principes de précaution lorsque la situation, raisonnablement, incite à l’utiliser.

Un des moyens proposés par les grandes associations de protection de l’environnement serait d’exiger une inversion de la charge de la preuve. C’est-à-dire  qu’aujourd’hui c’est à un pollué de faire la preuve qu’il est pollué. L’inversion de la preuve consisterait à dire : c’est au pollueur potentiel de faire la preuve qu’il ne pollue pas.

On a un exemple récent avec l’affaire  du bœuf aux hormones qui a divisé les Américains et les Canadiens d’un côté, et l’Union Européenne de l’autre. Pour résumer très brièvement, les U.S.A.et le CANADA reprochent à l’Europe,  en interdisant l’importation de veaux nourris avec des hormones, d’appliquer une norme de procédé de production. Et l’Europe répond, de son côté, qu’elle applique une norme de produit.

Et tout le débat s’est engagé sur cette différence : les Américains et les Canadiens ont demandé à l’Europe, dans ce cadre là, de prouver la nocivité du produit de manière scientifique, ce que les Européens ont essayé de faire. Et c’est là que l’on retombe sur le principe de précaution : c’est que personne n’est en mesure de prouver ni la nocivité du produit, ni de prouver son absence de nocivité.

Dans le préambule de l’OMC, il est fait référence à la notion de «  développement  durable ». Il faut savoir une chose : aujourd’hui, toutes les institutions internationales font référence au développement durable, ce qui fait que plus personne ne sait exactement ce que c’est. On sait que c’est un développement qui préserve les générations futures et qu’il préserve les générations présentes. Il faut relativiser cela puisque, immédiatement avant, il est aussi fait référence à l’usage optimal des ressources. Et il est vrai que, sur un plan économique, lorsqu’on parle d’usage optimal des ressources, c’est toujours sur un plan de rentabilité économique que ces mots-là sont employés.

Au fond, on peut penser que l’OMC n’est pas tout à fait dans son rôle si elle doit faire jurisprudence sur les questions d’environnement.

Ce qui manque, au niveau mondial, c’est une organisation internationale chargée des questions de l’environnement et capable de donner des pistes, des règles, des normes applicables par tous. En l’absence d’une telle institution, aujourd’hui, eh bien c’est l’OMC qui prend des décisions dans des domaines qui ne sont pas les siens. Son but, à l’OMC, c’est de libéraliser les échanges, ce n’est pas de protéger l’environnement. Qu’une autre institution soit chargée de le faire et, à ce moment là, les accords qui pourraient être décidés dans cette commission (que j’appelle de mes vœux), feraient force de loi à l’OMC  et l’organe des règlements des différends serait amené sans doute à revoir certaines positions.



LE  RAPPORT  DE  FORCE  PEUT-IL  CHANGER ?

( L’ A. M. I. )


En Octobre 1997 le texte de l’A M I, élaboré en secret au  sein de l’ O C D E, est publié sur Internet dans son intégralité. On assiste alors à une mobilisation de la société civile sans précédent.

Dès Février 1998 et partout dans le monde, des organisations culturelles, sociales et  environnementales, organisent meetings et manifestations pour dénoncer le contenu de cet accord.

La mobilisation va culminer en France lors du sommet citoyen international contre l’ A M I qui réunit à l’automne 1998, à la Cartoucherie, 22 délégations étrangères.

En Octobre 1998, quelques jours avant la reprise, à PARIS, des négociations sur l’A M I, Lionel JOSPIN annonce à l’Assemblée Nationale le retrait de la France, aussitôt suivi par l’Allemagne et l’Angleterre. Ces retraits provoquent l’arrêt définitif de ces négociations.


 

QUE CONTENAIT CE PROJET D’ACCORD ?

Par Susan GEORGE, Présidente de l’Observatoire de la Mondialisation

 

L’accord multilatéral sur les investissements dit « A M I », était un projet de traité (donc au-dessus de la loi nationale) qui aurait donné tous les droits aux compagnies transnationales d’investir où elles voulaient, à l’exception des domaines de la police nationale et de la défense ; c’étaient les deux seules exceptions.

Autrement, on pouvait investir dans les ressources naturelles, faire partir des capitaux et les faire rentrer aussitôt. C’était une recette pour la déstabilisation financière et pour la déstabilisation des gouvernements démocratiques. C’était une manière de donner complètement la mainmise sur les politiques nationales aux investisseurs au sens le plus large, c’est-à-dire aux compagnies transnationales.

Je peux  donner un exemple d’une compagnie américaine qui a porté plainte contre le gouvernement canadien dans un accord similaire, (qui aurait été la même chose dans l’ A M I), où elle a obligé le Canada à démanteler une loi qui avait pourtant été votée démocratiquement par un Parlement élu. C’est çà le type de contrôle politique dont je parle.



LES  PRÉLIMINAIRES AUX  NÉGOCIATIONS  DE  L’O. M. C

Par Christian DE BRIE, Observatoire de la Mondialisation.


Il s’agit d’une sorte de diktat, accepté par les États, donnant les pleins pouvoirs économiques (puisque l’investissement c’est d’abord le domaine économique), au secteur privé capitaliste, et quand on dit «le secteur privé », il faut savoir ce que ça veut dire puisque seules les très grandes firmes, ou les fonds de pension, ou les grandes banques, ou les grandes compagnies d’assurance, sont en mesure d’avoir des stratégies mondiales et de prendre le contrôle des activités humaines, de toutes les activités humaines, par le biais de l’investissement dans tous les pays.

 

Bien entendu, cela se fait sans aucun contrôle démocratique parce que c’est le système même de fonctionnement de ce genre d’accord, qui est négocié par des experts qui eux-mêmes s’instruisent sur les différents problèmes auprès de consultants, ceux-ci étant, la plupart du temps, des gros cabinets de lawyers, c’est-à-dire d’avocats d’affaires essentiellement américains. Donc, ce sont eux qui dictent les conditions qui sont reprises par les experts, qui sont ensuite endossées par de hauts fonctionnaires nommés par les Etats.

 

Une fois que les hauts fonctionnaires ont donné leur accord, comme ils sont censés être les gens qui connaissent le sujet, c’est endossé par le gouvernement de l’Etat qui dit : « c’est bien ce qui a été négocié par nos hauts fonctionnaires » et qui demande aux parlementaires de ratifier. Et le Parlement ratifie cet accord, généralement longtemps après, sans avoir  connaissance du contenu.

 

Il faut voir que des textes comme celui de l’AMI (on a eu le précédent auparavant avec le texte de l’accord du GATT), ratifiés par la plupart des États, représentaient 500 pages très difficiles à comprendre et à analyser. La plupart des Parlements des Etats du monde qui l’ont ratifié ne l’ont même pas lu. Les députés n’ont pas eu le temps matériel d’analyser le contenu ; ils ont fait confiance à leurs gouvernements qui eux-mêmes ont fait confiance à leurs hauts fonctionnaires, qui ont fait confiance aux experts, qui ont fait eux-mêmes confiance aux cabinets de lawyers.

 

Donc, en fait, il y a un court-circuitage de tout contrôle démocratique, non pas par volonté manifeste de diktat, mais par une espèce de mise en scène de la prise de décision qui élimine complètement non seulement le citoyen lui-même (qui sera informé beaucoup plus tard), mais même ses représentants élus qui sont censés défendre les intérêts collectifs.

 

Un autre aspect, un autre exemple, qui montre le caractère tout à fait léonin de cet accord : c’est que les États qui le signaient, s’engageaient pour une période minimum de 5 ans. Pendant 5 ans ils n’avaient pas le droit de revenir en arrière sur leur signature, et même, si au bout de 5 ans ils dénonçaient l’accord parce qu’ils le trouvaient injuste, inéquitable, celui-ci restait applicable, en ce qui les concernaient, pendant une période supplémentaire de 15 ans. C’est-à-dire que les États en signaient pour 20 ans automatiquement.

 

C’est la première fois. Jamais on a vu un traité prévoyant l’impossibilité pour les États de se retirer d’un accord qu’ils avaient soi-disant librement signé !


CONCLUSION

Par Susan GEORGE, Présidente de l’Observatoire de la Mondialisation.

 

Je crois que la mobilisation contre l’ A M I sert de modèle (et je ne suis pas la seule à le croire) à la mobilisation qu’il  va falloir maintenir et faire continuer dans la durée  contre  l’ OMC. Parce que nous avons bien sûr gardé le rythme et la mobilisation. Les gens ont compris, tout de suite après l’ AMI, que çà risquait fort de passer à l’OMC.

Mais  les accords de l’OMC sont infiniment plus graves (si c’est possible) pour la démocratie, pour l’environnement, pour le travail, enfin, pour tout ce à quoi on tient : pour la civilisation même (je crois que ce n’est pas un trop grand mot).

Si donc, on a peut-être pris un verre de champagne après la victoire sur l’ A M I,  on n’en a pas pris deux parce qu’on n’avait pas le temps : il fallait continuer à faire de la pédagogie, amener d’autres groupes dans la mobilisation et nous étendre géographiquement. 

Je pense que c’est très bien parti mais que nous avons une longue route devant nous parce que ce Millenium Round va probablement durer 3 ans. Mais je suis extrêmement optimiste parce que j’ai vu que des citoyens concernés et unis peuvent faire de très grandes choses.

Au Nord comme au Sud, des collectifs, des réseaux d’associations et de syndicats se mobilisent contre le Millenium Round qui démarre le 30 Novembre 1999 à SEATTLE, sous l’égide de l’OMC. Ils exigent un moratoire des négociations afin que soit conduite l’évaluation des impacts économiques et sociaux des rounds précédents et que preuve soit faite de la légitimité démocratique de l’OMC.

C’est possible de transformer l’OMC, mais ce n’est possible que si nous gardons cette mobilisation. Il faut la renforcer aussi et il faut être solidaires. Il ne faut pas que le paysan dise « il n’y a que l’agriculture qui m’intéresse », que l’instituteur dise « il n’y a que l’éducation qui m’intéresse », que le médecin dise « il n’y a que la santé publique qui m’intéresse ». Il faut qu’on soit « Un pour tous, tous pour un » parce que, sinon, on va être tous « canardés » les uns après les autres !

L’OMC sera le théâtre d’une très grande négociation avec énormément de sujets sur la table en même temps ; on ne sait pas encore exactement lesquels. On en connaît certains mais pas tous. Et, là-dessus, Il y aura un processus de donnant-donnant et il va falloir empêcher que, par exemple, l’Europe dise « bon, je sauvegarde mon agriculture mais je te donne la culture, je sauvegarde mon système éducatif, mais je te donne la santé » et ainsi de suite … Ce serait le très grand danger.

Alors l’unité sera capitale et, si nous pouvons maintenir cette unité, je crois que nous avons de grandes chances de gagner.


 

Retour page d'accueil internationale ATTAC