Le
groupe "Attac Pays d'Aix" remercie vivement: Nota: S'agissant d'une retranscription écrite d'interviews orales, certaines tournures de phrases peuvent sembler assez peu littéraires et la ponctuation est bien évidemment "inventée". Mais nous avons voulu rester aussi près que possible du texte parlé.
PRÉSENTATION
L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est un organisme, une institution peu connue -elle n’existe d’ailleurs que depuis 1995- et elle est dotée de pouvoirs absolument considérables. Le problème est que ses pouvoirs et son fonctionnement sont très peu connus de l’opinion en général et je dirais même, de ceux qui prennent des décisions, en particulier les parlementaires qui sont très peu au fait de cette institution.
Donc, il nous a semblé qu’il n’y avait strictement aucune urgence à libéraliser davantage le commerce international. En revanche, il nous a paru important de faire un bilan, d’abord de décortiquer un peu cette OMC qui s’arroge des pouvoirs colossaux, comme on l’a vu dans l’affaire du « bœuf aux hormones », sans qu’on sache exactement comment çà marche.
La première chose, c’est la mise à plat des mécanismes et puis surtout mise à plat des conséquences des décisions déjà prises, puisque l’OMC a succédé au GATT, en 1995, et le cycle de L’Uruguay du GATT, qui s’est terminé en 1993, a pris toute une série de décisions dont l’impact n’est pas mesuré. Mais c’est un processus classique de fuite en avant : on nous expliquera que si çà marche mal, c’est parce qu’on n’a pas encore assez libéralisé. Alors : libéralisons encore un peu !
QU’EST-CE QUE L’O. M. C. ? Un
nouveau cycle de négociations va démarrer, sous l’égide de l’OMC
à la fin du mois de Novembre 99. Ce cycle de négociations prétend inscrire dans les prérogatives de l’OMC plus de 160 secteurs d’activités comme la santé, l’éducation, les marchés publics, la propriété intellectuelle, les bio-technologies ou l’investissement. Toute
l’histoire des relations commerciales internationales démontre que les
négociations multilatérales ne se soldent jamais, comme le prétendent
les promoteurs du libéralisme, par un gagnant, mais toujours par une
victoire pour les plus forts.
Dans
ce contexte, quels sont les rapports de force ? comment fonctionne
l’OMC ? quels seront les effets de ces négociations sur notre vie
quotidienne et sur celle des pays du Sud ?
En
Juillet 1944, la Conférence de Bretton Woods crée le Fonds
Monétaire International (F.M.I)., la Banque Mondiale et l’Organisation
Internationale du Commerce (L’ O.I.C.). L’O.I.C.
ne verra jamais le jour ; mais les négociations, menées parallèlement
entre une vingtaine de pays pour améliorer leurs relations commerciales,
conduiront, dès 1948, à la signature des accords du GATT, qui sont les
accords généraux sur les tarifs douaniers et le commerce.
Le
GATT, simple accord, va se transformer en organisation, établissant
son siège à GENEVE. Durant son fonctionnement : de 1948 à 1994,
le GATT s’attache à démanteler toutes les mesures protectionnistes,
hormis les droits de douane. Il fonctionne sur le modèle de négociations
pluriannuelles appelées « Rounds ». Le plus célèbre
est sans doute le dernier, en
1988 : l’Uruguay Round, du fait de sa longueur et de l’importance
des décisions prises, telles que le démantèlement des accords concernant
le textile et l’inclusion des négociations sur les services, l’agriculture,
l’investissement et la propriété intellectuelle. Réunis
à MARRAKECH à la fin de l’année 1994, 111 pays membres concluent les
accords de l’Uruguay Round qu’ils installent avec la signature de l’acte
final et la création de l'OMC.
Avec
l’OMC une conviction demeure : le libre échange est le vecteur
du bien-être mondial. Si la référence
à la protection de l’environnement et aux droits des travailleurs est
évoquée, elle ne s’est jamais traduite dans les faits. On
retiendra 3 changements : -
D’abord, au sein de l’OMC , 1 pays = 1 voix. Tandis qu’au F.M.I
et à la Banque Mondiale, les voix sont proportionnelles aux apports
de fonds.
L’OMC
et ce qu’elle représente, c’est-à-dire le commerce ouvert, sont
régulièrement objet d’attaques. Au-delà de ce débat, on constate qu’un
nombre croissant de pays adhèrent à l’OMC.
LE COMMERCE INTERNATIONAL
Le commerce international ce n’est pas ou la guerre ou la paix, mais c’est simultanément à la fois la guerre et la paix.
Je serais tenté d’avancer brièvement 5 propositions :
- Ma première proposition consiste à dire qu’effectivement et incontestablement, le commerce international a contribué historiquement à intensifier la croissance et à améliorer le bien-être. On peut considérer, à juste titre, que c’est un des principaux moteurs de la prospérité de la période d’après guerre. - Ma 2ème proposition consiste à dire qu’il est aussi utile pour pacifier les relations entre les États même si ce n’est pas nécessairement suffisant. Mais, - C’est ma 3ème proposition : si le commerce est bénéfique à l’échelle de toute la planète, ça ne veut pas dire pour autant qu’il bénéficie identiquement, de la même façon, à tous les pays. - Ma 4ème proposition consiste en effet à affirmer qu’un commerce qui serait libéré de toute entrave, qui ne serait soumis à aucune règle, à aucune institution chargée de le réguler, aurait toutes les chances de bénéficier principalement aux grandes puissances au détriment des pays les plus pauvres. Et ceci m’amène à.... -
Ma 5ème proposition, c’est-à-dire la nécessité de
règles et d’institutions qui soient capables de faire respecter ces règles. Et ceci montre
quelle est l’importance de la tâche qui est celle de l’ OMC et
la difficulté de son action. Çà montre aussi l’importance du chemin
qui reste à réaliser pour que l’organisation remplisse effectivement
et pleinement ce qui devrait être sa mission, c’est-à-dire : remplacer
les rapports de force par des relations de droit
L’OMC se trouve en fait soumise à une contradiction dont on voit mal comment elle peut facilement se sortir. En effet, soit l’OMC s’affirme véritablement contre les souverainetés nationales, y compris contre les États les plus puissants, et, à ce moment là, le risque est important. Je pense par exemple aux U.S.A. qui ont annoncé la couleur en disant que dès l’instant où l’ OMC prendrait 3 décisions contraires à leurs intérêts, qu’ils jugeraient injustes, ils se retireraient purement et simplement de cette organisation. Et, dans cette éventualité, bien entendu, l’ OMC serait vidée de sa substance.
Mais, d’un autre côté, si l’OMC, pour éviter ce risque, est amenée en fait à se plier aux désirs et aux intérêts des pays les plus puissants, elle perdra toute crédibilité et, en particulier, vis-à-vis des pays du Sud ; je crois que cette évolution est au moins aussi redoutable que la première perspective.
ÉTAT DES LIEUX
Il y a aujourd’hui 135 pays membres au sein de l’OMC ; ils étaient 111 en 1994 au moment de la ratification des accords de L’Uruguay Round, et donc à la naissance de l’OMC.
Ces pays se distribuent de façon très contrastée les bénéfices du libre-échange, en tout cas de la participation au commerce. Une trentaine de pays, grosso modo les pays de l’ O C D E, s’accaparent les trois quarts du commerce mondial. A l’autre extrémité, l’Afrique ne représente que 2 % du commerce mondial au mieux, et ceux qu’on appelle pudiquement « les pays les moins avancés » : 49 pays, ne représentent que 0,3 %.
Il
convient de signaler que, aussi bien l’Afrique que les « pays les
moins avancés », représentaient au moins le double du commerce
mondial il y a une trentaine d’années. Je fais donc le constat que plus
l’ouverture est grande, plus l’appauvrissement de certains pays est
patent.
Paradoxalement, l’explication essentielle de ce phénomène n’est pas du tout due à un relâchement du GATT, ou maintenant de l’OMC, ou encore à un défaut de règles. Ces règles existent. Simplement, elles ne sont pas toujours appliquées comme c’est généralement prévu.
On dit que l’OMC est consensuelle dans la mesure où elle ouvre un champ ouvert à des négociations permanentes. Je doute cependant que des pays comme la COTE D’IVOIRE ou le SENEGAL disposent des mêmes capacités d’expertise, pour pouvoir négocier, que des pays comme la France, les U.S.A. ou la Grande-Bretagne.
On dit que l’OMC est équitable. Je ne suis pas sûr du tout que tous les pays du monde aient les mêmes structures économiques, les mêmes capacités industrielles pour pouvoir tirer une part équitable des échanges internationaux.
La doctrine libérale repose sur deux postulats : le premier est la supériorité supposée du marché sur les interventions. Je crois que ce postulat fait partie du débat permanent. Il n’a nulle part été prouvé que, en toutes circonstances et quels que soient les problèmes à traiter, le laisser-faire l’emporte sur les interventions et les corrections publiques.
Le deuxième argument porte à lier «ouverture» et «puissance économique». L’exemple des pays d’Asie est offert pour dire que plus une région, plus un pays est ouvert, plus sa croissance est élevée et plus son envergure économique est grande. On peut pratiquement renverser cet argument en disant que, précisément, les pays asiatiques se sont ouverts parce qu’ils étaient puissants, parce qu’ils le sont devenus, à force de protection, à force d’efforts internes, à force d’interventions publiques structurées qui ont permis à ces économies de devenir ce qu’on appelle aujourd’hui des « économies émergentes ».
LE
ROUND DU MILLÉNAIRE
Le
30 Novembre 1999 s’ouvrent, à SEATTLE, les négociations du « millenium
Round » de La
libéralisation des produits agricoles, largement entamée à l’issue de
l’Uruguay Round, va se poursuivre. Particulièrement visées, les
subventions à l’exportation versées par
les pays riches à leurs agriculteurs devraient encore diminuer,
voire disparaître. Le
secteur des services sera l’objet de toutes les attentions tant les
perspectives de croissance dans ce domaine apparaissent prometteuses.
Cela concerne, entre autres, l’éducation, la santé, les services financiers,
les télécommunications, les transports. La
propriété intellectuelle fait également partie des nouveaux sujets de
discussion. Elle concerne les droits d’auteurs, de marques, la protection
des brevets. C’est au nom de ce droit de propriété que les grands industriels
de l’agrochimie, soutenus par de nombreux pays, réclament de pouvoir
breveter les organismes vivants génétiquement modifiés. Les
marchés publics vont également s’ouvrir. A terme, plus question pour
un pays de privilégier ses industriels nationaux pour ses commandes
de telle marchandise ou de tel service. Enfin,
la question de l’investissement devrait également être à nouveau abordée.
Après l’échec de l’accord multilatéral sur l’investissement, qui renforçait
les droits des industriels face aux États, ses partisans comptent bien
revenir à la charge. En
revanche, les questions plus générales concernant les normes de travail
ou l’environnement ne semblent pas être à l’ordre du jour. Les membres
de l’OMC ont affirmé que l’avantage économique des pays à faibles coûts
salariaux ne devaient pas être remis en question. Les discussions s’effectuent
principalement sous la pression des multinationales de l’industrie et
de la finance. Les O.N.G. et la société civile se mobilisent, dénonçant les conséquences attendues de ces négociations.
L’ O. M. C. et l’AGRICULTURE Si vraiment on poursuit la libéralisation des échanges et que l’on fait en sorte que les agriculteurs du Sud soient en compétition directe avec les agriculteurs du Nord, les conséquences pourraient être absolument dramatiques. Parce que, je crois, il faut bien mesurer les choses et savoir que les écarts de productivité entre les paysans du Sud, qui n’ont que des outils manuels, pour prendre les plus pauvres, et les agriculteurs moto et mécanisés des pays du Nord, l’écart de productivité est de l’ordre de 1 à 100. Si vous me permettez quelques chiffres: en HAITI, un producteur dans la plaine de l’Artibonite produit du riz en repiquant à la main. Il repique 0,5 ha par actif. Il ne peut pas en repiquer plus à la main. Les rendements, s’il ne met pas d’engrais, c’est 1 tonne à l’hectare. Cà veut dire que 1 haïtien produit 500 Kg de riz par actif et par an. Maintenant, à PORT-AU-PRINCE,
quand vous avez 50 Kg de riz de MIAMI, quand vous avez 50 Kg de riz
de la plaine de l’Artibonite, ces kilos de riz ont le même prix, sauf
que dans un des sacs vous avez 100 fois plus de travail que dans l’autre.
Et pour que le paysan haïtien puisse vendre et vivre un petit peu, acheter
des chaussures, des textiles, etc…, vendre son riz, il est obligé d’accepter
le même prix que le riz en provenance des U.S.A. ; il est obligé d’accepter une rémunération donc 100 fois moindre
que celle de son concurrent. Alors maintenant, on pourrait
regarder dans d’autres pays. On dit du paysan de l’Altiplano
andin, qui lui aussi a bien du mal à vendre son blé à LIMA, au Pérou,
parce qu’il n’arrive pas à être compétitif avec les blés nord-américains
ou européens. Mais quelle alternative reste-t-il à ce
petit paysan de l’Altiplano andin qui ne peut pas être compétitif ?
Se spécialiser selon les «avantages comparatifs» comme disent
les apôtres du libre échange ? Mais c’est ce qu’ils font :
s’ils ne migrent pas vers LIMA, ils migrent vers la forêt amazonienne.
Et que vont-ils faire dans la forêt amazonienne ? Ils vont commencer
par fouler la coca. Et ça y est, le Pérou est effectivement en train
de spécialiser son agriculture vers ce pourquoi l’écosystème amazonien
présente de très réels avantages comparatifs. Mais on dit non :
on ne veut pas de ça ! Et vous voulez que je vous
parle du petit paysan du Nord de la THAILANDE ? dans les mêmes
conditions il produira de l’opium :
on n’en veut pas ! Qu’est-ce que c’est que
prôner le libre-échange, qu’est-ce que c’est que de dire à des pays
du Tiers-Monde : acceptez l’importation de nos produits, librement,
et spécialisez-vous selon les avantages comparatifs, si quand leur seul avantage comparatif c’est d’aller vendre leur
force de travail chez nous on leur dit « pas de çà », et si quand
c’est d’aller exporter de la coca ou de l’opium, on dit « pas de çà
non plus »? Qu’est-ce que c’est qu’un
libre-échange dans lequel seuls certains disent quels sont les marchandises
et les hommes qui ont le droit de traverser les frontières ?
LA TECHNOLOGIE « TERMINATOR »
Les négociations de SEATTLE
visent à étendre les rapports marchands à des secteurs qui, largement
jusqu’à présent, y échappaient. Le vivant en fait partie et donc, à
travers le brevet sur le vivant, à travers les objectifs qui sont poursuivis
à SEATTLE, ces objectifs sont résumés de façon particulièrement frappante
par une technologie, qui est vraiment la technologie emblématique
- on peut dire - de la situation politique présente, qui est la « technologie
TERMINATOR ». La technologie TERMINATOR,
beaucoup en ont entendu parler. Il s’agit tout simplement d’une technique
de transgénèse. On fabrique un organisme génétiquement modifié, des
plantes en l’occurrence, mais çà pourrait être aussi des animaux, qui
sont génétiquement manipulés de telle façon que, au fond, la plante
se suicide et qu’elle produit un grain qui est stérile. Autrement
dit, l’agriculteur ne peut pas semer le grain qu’il a récolté. Donc, le projet qui est
derrière ça, qui illustre parfaitement, je crois, le caractère particulièrement
mortifère de notre société, c’est d’arriver à faire des plantes et
des animaux stériles. Pour quoi faire ? Pour
permettre aux semenciers de pouvoir vendre des semences. Et ça c’est
une vieille histoire : ça remonte au tout début de la manipulation
d’hérédité à des fins économiques. C’est-à-dire que les premiers semenciers,
en hommes d’affaires avisés, se sont immédiatement rendu compte que
tant que le grain que récoltait l’agriculteur était aussi la semence
de l’année suivante, eh bien, il n’était pas possible de lui vendre
des semences. Par conséquent, l’objectif
final a toujours été celui-là : faire en sorte que les plantes
et les animaux ne puissent plus se reproduire dans le champ du paysan,
tout cela de façon, évidemment, à ce que le capital du semencier puisse,
lui, se reproduire et se multiplier à son bilan Au fond la question qu'il
faut se poser, la question centrale, est celle-ci: pourquoi une société
démocratique créerait-elle un privilège pour quelques firmes transnationales
(qui ont d'ailleurs un lourd passé en matière environnementale pour
la plupart, puisqu'elles viennent du secteur agrochimique), pourquoi
une société démocratique créerait-elle un privilège sur le vivant Nous ne voulons pas de privilège pour qui que ce soit. C’est quand-même effarant de voir que ce privilège est tout à fait équivalent au fait de nous demander de condamner nos portes et fenêtres pour permettre aux marchands de chandelles de lutter contre la concurrence déloyale du soleil ! Eh bien, là, c’est exactement la même chose, c’est-à-dire que les plantes et les animaux se multiplient, c’est même la propriété fondamentale des êtres vivants. Or notre société, soi-disant démocratique, veut maintenant faire de cette propriété fondamentale un privilège pour quelques transnationales. Au fond, c’est une véritable folie et un non-sens économique, un non-sens politique, un non-sens écologique.
LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION Par Patrick MUNDLER, Professeur d’Économie, Collège Coopératif RHONE-ALPES. Le principe de précaution
consiste à dire «il vaut mieux prendre des mesures, même sans certitudes
scientifiques, les prendre assez tôt, plutôt que de prendre des mesures
trop tard parce qu’on a voulu attendre des certitudes scientifiques
». Certains en voudraient une application relativement restrictive.
Souvent les termes employés ce sont les termes de « raisonnable ».
Ils voudraient utiliser ces principes de précaution lorsque la situation,
raisonnablement, incite à l’utiliser. Un des moyens proposés par les grandes associations de protection de l’environnement serait d’exiger une inversion de la charge de la preuve. C’est-à-dire qu’aujourd’hui c’est à un pollué de faire la preuve qu’il est pollué. L’inversion de la preuve consisterait à dire : c’est au pollueur potentiel de faire la preuve qu’il ne pollue pas. On a un exemple récent avec l’affaire du bœuf aux hormones qui a divisé les Américains et les Canadiens d’un côté, et l’Union Européenne de l’autre. Pour résumer très brièvement, les U.S.A.et le CANADA reprochent à l’Europe, en interdisant l’importation de veaux nourris avec des hormones, d’appliquer une norme de procédé de production. Et l’Europe répond, de son côté, qu’elle applique une norme de produit. Et tout le débat s’est engagé
sur cette différence : les Américains et les Canadiens ont demandé
à l’Europe, dans ce cadre là, de prouver la nocivité du produit de manière
scientifique, ce que les Européens ont essayé de faire. Et c’est là
que l’on retombe sur le principe de précaution : c’est que personne
n’est en mesure de prouver ni la nocivité du produit, ni de prouver
son absence de nocivité. Dans le préambule de l’OMC,
il est fait référence à la notion de « développement durable ». Il faut savoir
une chose : aujourd’hui, toutes les institutions internationales
font référence au développement durable, ce qui fait que plus
personne ne sait exactement ce que c’est. On sait que c’est un développement
qui préserve les générations futures et qu’il préserve les générations
présentes. Il faut relativiser cela puisque, immédiatement avant, il
est aussi fait référence à l’usage optimal des ressources. Et il est
vrai que, sur un plan économique, lorsqu’on parle d’usage optimal des
ressources, c’est toujours sur un plan de rentabilité économique que
ces mots-là sont employés. Au fond, on peut penser
que l’OMC n’est pas tout à fait dans son rôle si elle doit faire
jurisprudence sur les questions d’environnement. Ce qui manque, au niveau
mondial, c’est une organisation internationale chargée des questions
de l’environnement et capable de donner des pistes, des règles, des
normes applicables par tous. En l’absence d’une telle institution, aujourd’hui,
eh bien c’est l’OMC qui prend des décisions dans des domaines
qui ne sont pas les siens. Son but, à l’OMC, c’est de libéraliser
les échanges, ce n’est pas de protéger l’environnement. Qu’une autre
institution soit chargée de le faire et, à ce moment là, les accords
qui pourraient être décidés dans cette commission (que j’appelle de
mes vœux), feraient force de loi à l’OMC
et l’organe des règlements des différends serait amené sans doute
à revoir certaines positions.
LE RAPPORT DE FORCE PEUT-IL
CHANGER ? (
L’ A. M. I. )
En Octobre 1997 le texte
de l’A M I, élaboré en secret au sein de l’ O C D E, est publié sur Internet
dans son intégralité. On assiste alors à une mobilisation de la société
civile sans précédent. Dès Février 1998 et partout
dans le monde, des organisations culturelles, sociales et
environnementales, organisent meetings et manifestations pour
dénoncer le contenu de cet accord. La mobilisation va culminer
en France lors du sommet citoyen international contre l’ A M I qui réunit
à l’automne 1998, à la Cartoucherie, 22 délégations étrangères. En Octobre 1998, quelques
jours avant la reprise, à PARIS, des négociations sur l’A M I, Lionel
JOSPIN annonce à l’Assemblée Nationale le retrait de la France, aussitôt
suivi par l’Allemagne et l’Angleterre. Ces retraits provoquent l’arrêt
définitif de ces négociations.
QUE CONTENAIT CE PROJET D’ACCORD ?
L’accord multilatéral sur les investissements dit « A M I », était un projet de traité (donc au-dessus de la loi nationale) qui aurait donné tous les droits aux compagnies transnationales d’investir où elles voulaient, à l’exception des domaines de la police nationale et de la défense ; c’étaient les deux seules exceptions. Autrement, on pouvait investir
dans les ressources naturelles, faire partir des capitaux et les faire
rentrer aussitôt. C’était une recette pour la déstabilisation financière
et pour la déstabilisation des gouvernements démocratiques. C’était
une manière de donner complètement la mainmise sur les politiques nationales
aux investisseurs au sens le plus large, c’est-à-dire aux compagnies
transnationales. Je peux donner un exemple d’une compagnie américaine
qui a porté plainte contre le gouvernement canadien dans un accord similaire,
(qui aurait été la même chose dans l’ A M I), où elle a obligé
le Canada à démanteler une loi qui avait pourtant été votée démocratiquement
par un Parlement élu. C’est çà le type de contrôle politique dont je
parle.
LES PRÉLIMINAIRES AUX NÉGOCIATIONS DE L’O. M. C Par
Christian DE BRIE, Observatoire de la Mondialisation.
Il
s’agit d’une sorte de diktat, accepté par les États, donnant les pleins
pouvoirs économiques (puisque l’investissement c’est d’abord le domaine
économique), au secteur privé capitaliste, et quand on dit «le secteur
privé », il faut savoir ce que ça veut dire puisque seules les
très grandes firmes, ou les fonds de pension, ou les grandes banques,
ou les grandes compagnies d’assurance, sont en mesure d’avoir des stratégies
mondiales et de prendre le contrôle des activités humaines,
de toutes les activités humaines, par le biais de l’investissement
dans tous les pays.
Bien entendu, cela se fait sans aucun contrôle démocratique parce que c’est le système même de fonctionnement de ce genre d’accord, qui est négocié par des experts qui eux-mêmes s’instruisent sur les différents problèmes auprès de consultants, ceux-ci étant, la plupart du temps, des gros cabinets de lawyers, c’est-à-dire d’avocats d’affaires essentiellement américains. Donc, ce sont eux qui dictent les conditions qui sont reprises par les experts, qui sont ensuite endossées par de hauts fonctionnaires nommés par les Etats.
Une fois que les hauts fonctionnaires ont donné leur accord, comme ils sont censés être les gens qui connaissent le sujet, c’est endossé par le gouvernement de l’Etat qui dit : « c’est bien ce qui a été négocié par nos hauts fonctionnaires » et qui demande aux parlementaires de ratifier. Et le Parlement ratifie cet accord, généralement longtemps après, sans avoir connaissance du contenu.
Il faut voir que des textes comme celui de l’AMI (on a eu le précédent auparavant avec le texte de l’accord du GATT), ratifiés par la plupart des États, représentaient 500 pages très difficiles à comprendre et à analyser. La plupart des Parlements des Etats du monde qui l’ont ratifié ne l’ont même pas lu. Les députés n’ont pas eu le temps matériel d’analyser le contenu ; ils ont fait confiance à leurs gouvernements qui eux-mêmes ont fait confiance à leurs hauts fonctionnaires, qui ont fait confiance aux experts, qui ont fait eux-mêmes confiance aux cabinets de lawyers.
Donc, en fait, il y a un court-circuitage de tout contrôle démocratique, non pas par volonté manifeste de diktat, mais par une espèce de mise en scène de la prise de décision qui élimine complètement non seulement le citoyen lui-même (qui sera informé beaucoup plus tard), mais même ses représentants élus qui sont censés défendre les intérêts collectifs.
Un
autre aspect, un autre exemple, qui montre le caractère tout à fait
léonin de cet accord : c’est que les États qui le signaient, s’engageaient
pour une période minimum de 5 ans. Pendant 5 ans ils n’avaient pas le
droit de revenir en arrière sur leur signature, et même, si au bout
de 5 ans ils dénonçaient l’accord parce qu’ils le trouvaient injuste,
inéquitable, celui-ci restait applicable, en ce qui les concernaient,
pendant une période supplémentaire de 15 ans. C’est-à-dire que les
États en signaient pour 20 ans automatiquement.
C’est
la première fois. Jamais on a vu un traité prévoyant l’impossibilité
pour les États de se retirer d’un accord qu’ils avaient soi-disant librement
signé ! CONCLUSION Par Susan GEORGE, Présidente de l’Observatoire de la Mondialisation.
Je crois que la mobilisation contre l’ A M I sert de modèle (et je ne suis pas la seule à le croire) à la mobilisation qu’il va falloir maintenir et faire continuer dans la durée contre l’ OMC. Parce que nous avons bien sûr gardé le rythme et la mobilisation. Les gens ont compris, tout de suite après l’ AMI, que çà risquait fort de passer à l’OMC. Mais les accords de l’OMC sont infiniment plus graves (si c’est possible) pour la démocratie, pour l’environnement, pour le travail, enfin, pour tout ce à quoi on tient : pour la civilisation même (je crois que ce n’est pas un trop grand mot). Si donc, on a peut-être pris un verre de champagne après la victoire sur l’ A M I, on n’en a pas pris deux parce qu’on n’avait pas le temps : il fallait continuer à faire de la pédagogie, amener d’autres groupes dans la mobilisation et nous étendre géographiquement. Je pense que c’est très bien parti mais que nous avons une longue route devant nous parce que ce Millenium Round va probablement durer 3 ans. Mais je suis extrêmement optimiste parce que j’ai vu que des citoyens concernés et unis peuvent faire de très grandes choses. Au Nord comme au Sud, des collectifs, des réseaux d’associations et de syndicats se mobilisent contre le Millenium Round qui démarre le 30 Novembre 1999 à SEATTLE, sous l’égide de l’OMC. Ils exigent un moratoire des négociations afin que soit conduite l’évaluation des impacts économiques et sociaux des rounds précédents et que preuve soit faite de la légitimité démocratique de l’OMC. C’est possible de transformer
l’OMC, mais ce n’est possible que si nous gardons cette mobilisation.
Il faut la renforcer aussi et il faut être solidaires. Il ne faut pas
que le paysan dise « il n’y a que l’agriculture qui m’intéresse »,
que l’instituteur dise « il n’y a que l’éducation qui m’intéresse »,
que le médecin dise « il n’y a que la santé publique qui m’intéresse ».
Il faut qu’on soit « Un pour tous, tous pour un »
parce que, sinon, on va être tous « canardés » les uns après
les autres ! L’OMC sera le théâtre
d’une très grande négociation avec énormément de sujets sur la table
en même temps ; on ne sait pas encore exactement lesquels. On
en connaît certains mais pas tous. Et, là-dessus, Il y aura un
processus de donnant-donnant et il va falloir empêcher
que, par exemple, l’Europe dise « bon, je sauvegarde mon agriculture
mais je te donne la culture, je sauvegarde mon système éducatif, mais
je te donne la santé » et ainsi de suite … Ce serait le très grand
danger. Alors l’unité sera capitale
et, si nous pouvons maintenir cette unité, je crois que nous avons de
grandes chances de gagner.
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