Dans
« Le Monde Diplomatique » de juin 1997, Ignacio Ramonet
écrivait (extraits) :
« IL
y a cinquante ans, le 5 juin 1947, dans un discours à l'université
Harvard, le général George Marshall, secrétaire d'Etat américain et
principal conseiller du président Harry Truman (démocrate), définissait
les bases de son célèbre « European Recovery Program » (« Programme
pour la reconstruction de l'Europe »), que l'histoire devait
retenir sous le nom de « plan Marshall ».
…/…
Quelles
qu'aient été les arrière-pensées politiques de Washington, il apparaît
évident, avec le recul, que l'aide Marshall fut un acte de très grande
solidarité. Il constitue, indéniablement, un modèle de coopération
internationale audacieuse, par son ampleur comme par sa méthode. Il
permit l'expansion du commerce intra- européen, poussa à l'intégration
économique et constitua le premier embryon de ce qui allait devenir
la Communauté européenne. Pendant quatre ans, de 1948 à 1951, les
Etats-Unis fournirent, pour l'essentiel sous forme de dons, quelque
14 milliards de dollars d'aide (soit environ 170 milliards de dollars
d'aujourd'hui) . Cela permit, en France,
en Italie, en Belgique, au Royaume-Uni, en Allemagne et dans douze
autres pays, la reconstruction des grands secteurs stratégiques de
l'après-guerre : énergie, sidérurgie, travaux publics et transports.
Cela plaça l'Europe sur les rails des trente années de plus forte
croissance de son histoire, les « trente glorieuses ».
Le
plan Marshall était un projet profondément marqué par les thèses interventionnistes
de l'économiste britannique John Maynard Keynes et par sa General
Theory of Employment, Interest and Money, selon laquelle les gouvernements
ne doivent pas seulement miser sur le marché, mais tout mettre en
oeuvre pour assurer le plein-emploi grâce à une meilleure redistribution
des revenus.…/…
En
célébrant, le 28 mai dernier à La Haye, le 50e anniversaire du plan,
le président Clinton n'a pas manqué de replacer l'aide Marshall au
coeur des débats actuels sur le rôle de l'Etat dans l'économie.
Comme
l'avait déjà fait M. Jacques Delors en affirmant : « Le
plan Marshall exprimait l'idée qu'un rattrapage économique fondé sur
les seules forces du marché devait s'accompagner d'un dispositif volontariste
d'aide et d'assistance, de nature à surmonter les principaux obstacles
structurels. »
Comment
ne pas être frappé par l'actualité de cette problématique et par l'aveuglement
des responsables politiques jurant seulement par les forces du marché
et oubliant que les pays d'Asie du Sud- Est dont ils vantent la réussite
- Corée du Sud et Taïwan, par exemple - ont reçu pendant des années
des aides massives équivalant à un véritable plan Marshall et ayant
permis leur décollage ?
La
détresse de beaucoup de régions du monde redonne une modernité à la
planification économique et rappelle la nécessité de stratégies de
développement conduites par l'Etat. Il faudrait lancer des dizaines
de plans Marshall. A commencer par la France, où le nouveau gouvernement
serait bien inspiré de mettre sur pied, d'urgence, un indispensable
plan Marshall pour reconstruire les banlieues, comme M. Jacques
Chirac l'avait promis. Sans parler de l'Union européenne elle-même,
qui, au lieu de tout attendre du marché, devrait lancer son propre
New Deal pour faire disparaître ses 18,5 millions de chômeurs et ses
50 millions de pauvres.
Les
pays de l'OCDE devraient accorder une aide massive à trois autres
chantiers de reconstruction : en premier lieu au Maghreb et à
ses 80 millions d'habitants aux prises avec l'islamisme, la pauvreté
et la violence ; ensuite à la Russie et aux Etats de l'ex-URSS
guettés par les guerres et le chaos ; enfin à l'Afrique pauvre,
où vivent un demi-milliard de personnes disposant au total d'un revenu
égal à celui des 7 millions de Suisses...
Dans
un monde gagné par l'égoïsme, retrouver l'esprit du plan Marshall
n'est-ce pas, pour l'Etat, se souvenir que la démocratie ne pousse
pas dans un désert de pauvreté ? »
Fin
2001, cet article reste d’actualité…
Le
système Marshall a permis aussi bien pour les Etats Unis qui ont financé,
que pour les pays européens dévastés par la guerre, de reconstruire
très rapidement leur économie. Pourquoi ne répliquerions-nous pas
un système qui a fait la preuve de son efficacité ?
Probablement
cinquante millions de pauvres en Europe, des centaines de millions
en Afrique prouvent, faut-il le rappeler, que les besoins existent.
Or ce n’est pas une sous-capacité de production qui est la cause de
la pauvreté, mais bien le manque de monnaie distribuable permettant
le plein emploi et des salaires corrects. Il est important de se souvenir
que ce sont les revenus qui créent l’activité commerciale, qui elle
même crée l’emploi et donc de nouveaux revenus qui sont réinjectés
dans le circuit économique dans un cycle permanent. On peut résumer
ceci par : "Les dépenses des uns font les revenus des
autres qui créent une demande et donc créent de l’emploi",
et par " Sauf importations de biens ou exportation de devises,
l'argent investi par un Etat lui revient en totalité"
L’ultra
libéralisme, actuellement triomphant, a laissé au système bancaire
privé le droit de création monétaire dans une proportion majeure.
Mais il s’agit de monnaie temporaire (monnaie de crédit), monnaie
« vendue » avec intérêts par les banques. Le changement
de paradigme nécessaire pour ramener la reprise totale par les États
de ce droit régalien de création monétaire est sans doute trop difficile
à faire admettre pour le moment. Mais il existe peut être une solution
intermédiaire qui pourrait être mise en œuvre au niveau européen,
sans révolution majeure.
Le
Plan Marshall reposait en grande partie sur la mobilisation du crédit
à partir des revenus fiscaux des américains. Ceux-ci sont aujourd'hui,
que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, ridiculement insuffisants
par rapport aux investissements nécessaires pour assurer une reprise
globale, car les possibilités d’augmenter l'assiette fiscale est devenue
beaucoup trop étroite et ne serait pas supportée par les populations.
Si
l’on ne peut trouver l’argent nécessaire par l’impôt, comment faire ?
Nous
remarquons et rappelons d’abord :
- que les crédits consentis à l’étranger peuvent l'être par création
monétaire. Ils ne sauraient donc manquer au prêteur. Au contraire,
les crédits accordés vont amener de l'activité.
- La monnaie est créée par un jeu d’écriture et elle ne coûte rien
à produire
La
réponse nous semble donc être dans la création d’une institution qui
émette du crédit en anticipation des revenus à venir engendrés par
de grands projets mobilisateurs, comme le font les banques privées,
mais à la différence de ces dernière, il s'agirait d'émettre cette
monnaie sans intéret. Il pourrait s'agir d'une Banque Européenne,
structure permanente capable de mobiliser les crédits nouveaux émis
sur ordre du Trésor dans le but de maximaliser l'investissement productif.
Cette structure pourrait avoir deux rôles: l’un de financement général
de l’économie de pays aidés (plan Marshall extérieur), les commandes
de biens devant évidemment s'effectuer auprès des entreprises européennes,
l’autre de financement des grands travaux et services publics européen
(plan Marshall intérieur) en évitant au maximum les importations.
Bien,
me direz-vous, mais l'inflation dans tout cela ?. ... si vous créez
de nouveaux Euros, ils viendront augmenter la masse monétaire globale!.
En fait il n'en est rien si, correlativement, la possibilité de création
de monnaie de crédit par les banques privées est réduite par la Banque
Centrale, remplaçant la monnaie de crédit temporaire par de la monnaie
permanente.
Il
serait indispensable de tenir particulièrement compte des conséquences
écologiques, c’est à dire de favoriser les achats d’équipements non-polluants
fabriqués en Europe, ainsi que les créations locales écologiques.
Un tel programme devrait particulièrement mettre l'accent sur le financement
:
- de la production industrielle d’équipements de production d’énergie
locale non polluante (éoliennes, capteurs solaires, pompes solaires,
etc)….,
- des infrastructures (électricité, téléphone, ferroviaire, voies
navigables, etc,),
- de l’équipement de la population (habitat écologique, chauffages
solaires, etc,).
- du développement de l’agriculture et de l’élevage ( animaux de ferme
et de trait, irrigation, etc)
- de l’équipement à la production locale de biens et services de première
utilité, « de niveau de vie » (éducation, santé, eau
potable, etc).
Compte
tenu que dans cette proposition il s’agit de monnaie circulant sans
intérêt, les coûts de fabrication devraient très nettement tirer les
prix de vente vers le bas.
En
effet l’étude qui a été faite en Allemagne (qui est évidemment valable
pour tous les pays occidentaux), par Margrit KENNEDY (« Libérer
l’argent de l’inflation et des taux d’intérêts » - Ed Vivez Soleil
– 1996), montre qu’il n’y a pas que ceux qui empruntent de l’argent
qui payent des intérêts, car, contrairement à ce que l’on pourrait
croire, nous en payons tous, sans même nous en rendre compte. Dès
que nous achetons un bien ou un service, nous payons toujours une
part d’intérêts incluse dans le prix et cette part est fonction des
investissements qui ont été nécessaires pour la production considérée.
Pour des services de main d’œuvre cette part est voisine de 10%, mais
elle peut atteindre 80% des prix hors taxes si la production nécessite
beaucoup de capital et peu de main d’œuvre. En moyenne, la moitié
de nos prix représente le coût du capital, et l’autre moitié les salaires
distribués. C’est dire que de l’argent sans intérêt permettrait quasiment
de doubler le niveau de vie de chacun, ou de travailler deux fois
moins.
En conclusion: si un gouvernement peut émettre des « bons
du Trésor » ou des obligations d’Etat, il peut émettre des crédits
sans intérêt. Les deux sont des promesses de payer, mais l'un plombe
les prix, et l'autre aiderait les populations. C'est une situation
terrible lorsque le gouvernement, pour augmenter la richesse nationale,
doit s'endetter et se soumettre à payer des intérêts ruineux à des
structures privées qui contrôlent la valeur fictive de la monnaie.
Dans un système où la monnaie est crée par le système bancaire privé,
avec intérêt, chaque fois que nous voulons augmenter la richesse nationale
d’un pays, nous sommes forcés d’accepter une augmentation de sa dette.
Un
Plan Marshall Européen à destination des PVD et de l'Europe elle-même
"est possible" et cela ne nous appauvrirait en rien, au
contraire puisqu'il permettrait de développer une production écologiquement
orientée en créant des emplois. C'est maintenant aux techniciens de
la monnaie et aux économistes de proposer un "schéma pratique".
Mais il est évident qu'il ne sert à rien d'un coté d'aider ces pays
pauvres par une action telle que celle ci tout en les étranglant d'un
autre en leur réclamant une dette et les intérêts qu'ils ne peuvent
payer sans des sacrifices que nous n'oserions surement pas demander
à nos propres populations.
A-J
Holbecq - ATTAC Aix en Provence / Association YHAD-FRANCE (http://www.yhad.org)
Septembre 2001– Avec l'autorisation d'Ignacio Ramonet (transcription
de article du "Monde Diplomatique" de juin 1997).
ajh@wanadoo.fr