Le nucléaire et l’eau

PETITJEAN Olivier 15 juillet 2015

Les controverses qui entourent l’énergie nucléaire se concentrent généralement sur des questions telles que son coût, sa sûreté, l’impact sanitaire et environnemental des radiations, ou encore le rôle qu’elle pourrait être amenée à jouer, selon ses promoteurs, pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. On parle assez peu de ses impacts sur la ressource en eau. Pourtant la dépendance du nucléaire à une ressource en eau abondante est de nature à sérieusement mettre en doute sa résilience dans le contexte du dérèglement climatique.

L’énergie nucléaire est volontiers présentée par ses promoteurs comme une énergie « décarbonée » indispensable pour faire face au défi du changement climatique.
Bien entendu, une telle caractérisation fait l’impasse sur les autres problèmes environnementaux et politiques – considérables – que pose le nucléaire. Et, si l’on tient compte de toute la chaîne de production du nucléaire, depuis l’extraction et le transport de l’uranium jusqu’à la gestion des déchets, cette énergie est en fait elle aussi une source significative de gaz à effet de serre.

La tentative de « verdissement » de l’image du nucléaire comme source d’énergie climato-compatible se heurte à un autre obstacle de taille : l’eau.
Les centrales nucléaires utilisent des quantités massives d’eau pour refroidir leurs réacteurs. Et les effets directs et indirects du changement climatique risquent fort de réduire les ressources en eau disponibles pour cet usage et forcer les centrales à l’arrêt pour des durées plus ou moins longues. La « pollution thermique », c’est-à-dire les effets de la chaleur anormale de l’eau causée par les rejets des centrales après refroidissement, est un phénomène qui reste largement ignoré et peu étudié. Mais elle pourrait devenir de plus en plus socialement inacceptable si ses effets se font plus visibles.

À leur manière, la catastrophe de Fukushima au Japon et ses suites illustrent eux aussi l’importance de l’eau dans une centrale nucléaire.
Depuis l’accident majeur survenu sur la centrale en 2011, les responsables de la centrale continuent à verser 350 mètres cubes d’eau par jour sur les réacteurs pour les refroidir. Une partie de cette eau fuit à travers des fissures et se mélange à des eaux souterraines d’infiltration. D’où des écoulements dans le milieu et l’accumulation de milliers de tonnes d’eaux usées radioactives que Tepco, l’entreprise nucléaire japonaise doit stocker dans d’immenses bassins, qui fuient eux aussi régulièrement… La solution officiellement privilégiée est de traiter ces eaux pour en retirer les éléments radioactifs et le rejeter dans la mer, mais beaucoup d’interrogations subsistent sur la fiabilité des technologies utilisées à cet effet.

En moyenne, selon une étude de 2008 de l’Electric Power Research Institute, les centrales nucléaires consomment davantage d’eau de refroidissement que toutes les autres centrales thermiques, qu’elles fonctionnent avec du fioul, du gaz ou du charbon : de 133 000 à 190 000 litres d’eau par MWh pour les centrales avec refroidissement en prise directe, et de 2850 à 3420 litres par jour pour les centrales ayant un système de refroidissement fermé (tour de refroidissement). Ces chiffres sont respectivement, selon la même étude, de 76 000-133 000 et 1900-2660 litres/MWh pour les centrales au gaz et au fioul, et de 95 000-171 000 et 2090-3040 litres/MWh pour les centrales au charbon.

En France, les épisodes de températures extrêmes durant plusieurs étés récents ont attiré l’attention sur le problème. Les centrales nucléaires françaises consomment chaque année environ 19 milliards de mètres cube d’eau, ce qui en fait le secteur économique le plus gourmand en eau de tout le pays, loin devant l’agriculture.

Pollutions

Certes, cette eau est pour l’essentiel à nouveau rejetée dans le milieu en aval, après avoir été utilisée pour refroidir les réacteurs. Mais l’eau ainsi rejetée est très chaude, ce qui n’est pas sans effet sur les écosystèmes. Les études scientifiques sont rares dans ce domaine, mais l’une d’elle, réalisée récemment en aval de la centrale de Mühlberg en Suisse (lire sur ce site La pollution thermique, cette méconnue), sur l’Aare, le Rhin et jusqu’à la mer du Nord, a conclu que les émissions d’eau de refroidissement ont un impact majeur sur les écosystèmes aquatiques d’eau douce et qu’en fonction des saisons, de la température initiale de l’eau, etc., elles représentent entre 3 et 90% de la dégradation de l’« indice de qualité des écosystèmes ».


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