Sur les côtes du Texas, les banques françaises se mouillent une nouvelle fois du côté de Trump contre la justice climatique

23 MAI 2017 PAR OLIVIER PETITJEAN

BNP Paribas, Société générale et les autres grandes banques françaises se retrouvent à nouveau sur la sellette pour leur soutien aux projets de développement des énergies sales aux États-Unis. Après le Dakota Access Pipeline, c’est un ensemble de trois terminaux géants d’exportation de gaz de schiste, à l’extrême sud du Texas, qui est en ligne de mire, pour ses conséquences à la fois sur le climat et sur les communautés locales, dans une région pauvre peuplée à 90% de latinos. « Pourquoi les banques françaises soutiennent-elles la politique de Trump ? », se demandent les militants locaux.

Sur la forme, Donald Trump maintient encore l’ambiguïté sur l’adhésion des États-Unis à l’Accord de Paris sur le climat
. Sur le fond, on peut se demander si cela ferait réellement une différence. Le président américain a peuplé son administration de climato-sceptiques et de représentants des lobbys des énergies fossiles. Il a déjà remis en cause nombre de régulations environnementales et ne cache pas son souhait de relancer l’exploitation du charbon et du gaz de schiste. Pour le charbon, la cause est peut-être largement perdue. En revanche, les perspectives d’une exportation à grande échelle du gaz de schiste vers les marchés européens et asiatiques, pour écouler le surplus américain sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL), sont bien réelles. Avec des conséquences potentiellement tout aussi dommageables pour le climat.

Seuls deux terminaux de liquéfaction de gaz de schiste en vue de son exportation sont pour l’instant opérationnels.
Leur opérateur Cheniere a signé dès 2015 des contrats avec EDF et Engie [1] pour approvisionner les réseaux français (lire notre article). Mais pas moins de 60 projets supplémentaires de nouveaux terminaux d’exportation sont proposés en Amérique du Nord. Une quarantaine seraient localisés aux États-Unis, dont la majorité sur les côtes du Golfe du Mexique. Trois d’entre eux seraient situés à l’extrême sud du Texas, à proximité de l’embouchure du Rio Grande et de la frontière mexicaine. La région, où vivent 90% de latinos, figure parmi les plus pauvres des États-Unis. Mais elle est aussi restée relativement préservée, cas quasi unique en son genre sur la côte du Golfe, des ravages de l’industrie pétrolière. Ses habitants tentent de se forger un avenir en développant l’écotourisme et la pêche des crevettes. Un avenir qui pourrait se trouver barré par la construction de terminaux méthaniers géants – Texas LNG, Rio Grande LNG et Annova LNG - sur une zone humide.

Implication contestée des banques françaises
Ces projets bénéficient – encore une fois - du soutien appuyé de banques françaises. Le projet Texas LNG reçoit depuis 2015 les conseils exclusifs de BNP Paribas. Très récemment, la Société générale a pris le relais d’une banque japonaise comme conseil financier de Rio Grande LNG – un projet sept fois plus important, fièrement qualifié par sa dirigeante de « plus grand projet GNL au monde ». Au total, selon le rapport et de leurs partenaires américains sur ce projet] publié par une coalition d’organisations écologistes dont les Amis de la terre France, « brûler le gaz exporté par ces terminaux (à pleine capacité) émettrait autant de gaz à effet de serre que les émissions annuelles de 30 centrales à charbon ». Sans compter les émissions fugitives de méthane, un gaz à effet de serre 86 fois plus puissant que le CO2 à l’horizon de 20 ans. Ni l’effet d’encouragement d’une exploitation encore plus intensive du gaz de schiste aux États-Unis.

Ce n’est pas une première : toutes les grandes banques françaises – BNP Paribas et Société générale, mais aussi Crédit agricole et BPCE-Natixis – sont impliquées à plusieurs niveaux dans le Dakota Access Pipeline, ce fameux oléoduc destiné à transporter le pétrole de schiste du Dakota vers le reste des États-Unis et qui a été bloqué plusieurs mois par la résistance des Sioux de Standing Rock (lire notre article). Si ces derniers ont finalement obtenu de l’administration Obama qu’elle fasse cesser les travaux, il n’a pas fallu longtemps à Trump pour revenir sur cette décision. Début mai, avant même que le Dakota Access Pipeline soit pleinement opérationnel, il a déjà connu sa première fuite de pétrole – quelques centaines de litres de brut, dans le Dakota du Sud – confirmant les pires craintes des opposants. Début mai, BNP Paribas a finalement annoncé avoir revendu ses droits dans le prêt syndiqué accordé pour l’oléoduc, mais seulement après en avoir versé la dernière tranche et sans remettre en cause ses liens avec l’entreprise qui porte le projet et d’autres similaires, Energy Transfer Partners. « Une démarche totalement hypocrite », juge Lucie Pinson, des Amis de la terre.

Des dizaines de nouveaux projets d’oléoducs et de gazoducs
Trump a également relancé l’oléoduc Keystone XL, destiné à transporter les sables bitumineux canadiens en vue de leur exportation, et dont le tracé affectera lui aussi de nombreuses terres indigènes. Selon les ONG, « les risques d’un financement [du Keystone XL] par Crédit agricole ne sont pas négligeables car non seulement la banque n’a aucune politique interdisant le financement des sables bitumineux, mais elle est l’unique banque française à financer les quatre entreprises qui portent ces projets », à commencer par TransCanada, à laquelle elle aurait accordé quatre nouvelles facilités de crédit en décembre 2016, suite à l’élection de Trump. D’une certaine manière, le Dakota Access Pipeline et la lutte emblématique des Sioux de Standing Rock sont l’arbre qui cache la forêt. De nombreux projets de nouveaux gazoducs ou oléoducs sont proposés dans tous les États-Unis pour faciliter la circulation et en dernière instance la combustion et l’exportation des énergies fossiles. Et ces oléoducs et gazoducs traversent souvent des terres amérindiennes. À l’autre bout du Texas, les gazoducs Comanche Trail et Trans-Pecos – eux aussi des projets d’Energy Transfer Partners, destinés à acheminer le gaz texan vers le Mexique – ont été temporairement bloqués par un camp de militants amérindiens. En Louisiane, l’oléoduc Bayou Bridge – encore un projet d’ETP ! – doit traverser la plus importante zone humide des États-Unis et les terres du peuple Houma. Un autre projet, l’oléoduc Diamond doit relier l’Oklahoma au Tennessee et pourrait affecter plusieurs sites associés à la « piste des larmes », l’exode forcé de plusieurs peuples amérindiens à l’Ouest du Mississipi dans les années 1830. Et ainsi de suite.

Les terminaux de la vallée du Rio Grande ne font pas exception. Ils sont liés à plusieurs projets de gazoducs qui les connecteraient aux gisements de gaz de schiste d’Eagle Ford, en plein boom, dont le Valley Crossing Pipeline et le Texas-Tuxpan Pipeline, deux projets dans lesquels est impliquée TransCanada, l’entreprise derrière le KeyStone XL.

Grand projet imposé


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