Rencontre municipaliste des Fearless Cities à Barcelone : vers un maillage international de "villes rebelles" ?

mercredi 21 juin 2017, par AITEC

Du 9 au 11 juin, à Barcelone, s’est tenue la rencontre internationale des "Fearless Cities" (1). Elle visait à tisser des liens entre des expériences de "villes sans peur" à travers le monde, nourris par l’exemple des "villes rebelles" espagnoles face à l’oligarchie financière, l’austérité budgétaire et la corruption.

Celles-ci, pour engager la construction d’un contre-pouvoir à une échelle globale, qu’elle soit nationale, européenne ou internationale, se sont appuyées sur les mouvements sociaux et les populations afin de relocaliser et démocratiser le pouvoir au niveau des municipalités. La perspective internationaliste et solidaire de cette dynamique place les intentions localistes bien loin des tentations national-libérales empruntant souvent à la xénophobie.

1) Les dynamiques municipalistes en Espagne

Une autre manière de "faire du politique" a été présentée lors la rencontre des Fearless Cities [1] organisée à l’Université de Barcelone, où se sont retrouvé.e.s élu.e.s, technicien.ne.s, militant.e.s, ou curieux.ses, autour d’une question qui pourrait être posée ainsi : "comment reprendre le pouvoir à celles et ceux qui l’ont confisqué ?". Il s’agissait de comprendre les articulations des dynamiques "municipalistes" qui animent de nombreuses collectivités locales en Espagne depuis 2015. Le "municipalisme" trouve ses racines en partie dans la culture politique libertaire du XIXe siècle et ses principes d’auto-organisation, d’auto-gestion, de démocratie radicale et de fédéralisme [2]. Il fait référence à une forme d’organisation politique fondée sur l’exercice d’une démocratie directe rendue possible par une répartition du pouvoir horizontale et assembléiste à l’échelle d’une municipalité. L’échelon municipal, propice à la proximité, est alors perçu comme le plus légitime pour faire émerger des espaces publics de débats et de convergence d’intérêts communs au sein de la "cité", mais aussi comme le plus pertinent pour ériger la souveraineté locale en contre-pouvoir à un État-nation centralisé et vertical.

Les dynamiques municipalistes qui ont remporté les élections municipales de 2015 en Espagne se concrétisent par des candidatures sous forme de listes citoyennes appelée "plateformes citoyennes" parties à l’"assaut" [3] du pouvoir institutionnel local afin d’y avoir prise de l’intérieur. Ici, la politique n’est plus l’histoire de quelques initié.e.s ou professionnel.le.s, mais l’affaire de tou.te.s. Ces victoires municipales sont un outil pour créer un nouveau pouvoir politique et remettre au cœur de la gestion de la cité les enjeux cruciaux de la démocratie, des droits et des biens communs en partant des réalités et luttes locales tout en les reliant à un contexte global. Elles font partie d’un processus de réappropriation du pouvoir par la base, afin de peser dans les rapports de force du jeu politique. Pour beaucoup issues de mouvements sociaux, bien plus horizontaux, mouvants, et décentralisés que les partis politiques institutionnels, en Espagne les listes citoyennes ont généré de véritables mouvements politiques citoyens qui sont parvenus à conquérir la capitale du pays, Madrid, la deuxième ville, Barcelone, et de nombreuses autres telles que Saragosse, Valence, Saint-Jacques-de-Compostelle, La Corogne, ou encore Cadix.

Ces dynamiques, qui se veulent être de véritables alternatives politiques portées "par le bas", s’ancrent dans un contexte politique, économique et social particulier. Elles sont le résultat de processus complexes de luttes locales dont les formes et les enjeux profonds sont tout à la fois propres à chacun de ces contextes, et héritiers de l’histoire nationale des luttes antifranquistes et indépendantistes. Elles se sont cristallisées autour de la lutte contre l’austérité, contre un État centralisé oligarchique et corrompu, et contre la financiarisation orchestrée par des élites politiques et économiques conniventes, qui ont précipité le pays et les populations dans une crise économique puis politique et sociale profonde, faisant peser le poids d’une dette illégitime sur ceux qui en sont les moins responsables. Cette forte opposition, incarnée par les mouvements contestataires d’occupation des places engagés lors du 15M (mouvement de "Los Indignados" impulsé le 15 mai 2011) a conduit à une structuration de "plateformes citoyennes" parties à l’assaut des élections municipales de 2015. Ces "confluences" selon leur propre terminologie [4] ont réussi à remporter plusieurs municipalités sur tout le territoire. À Barcelone, Ada Colau a pris la tête du Conseil Municipal, emmenée par la plateforme Barcelona en Comu. La deuxième ville d’Espagne se voit donc dirigée par une ancienne militante du 15M et figure de proue d’un des mouvements sociaux les plus importants de la période contre les expulsions immobilières, la PAH (Plataforma de Afectados por la Hipoteca [5]).

2) L’échelle municipale, échelle pertinente pour articuler résistance et changement de fond


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