Le Brésil risque de subir l’une des plus grandes régressions écologiques et sociales de son histoire

PAR LAURENT DELCOURT 29 JUIN 2017

Les grands propriétaires terriens ont toujours été très influents au Brésil. Mais leurs tentatives de détruire la forêt amazonienne au profit de l’agro-business et de rétablir une forme de travail forcé pour les plus pauvres avaient été jugulées pendant dix années de gouvernement de gauche. La destitution, il y a un an, de la présidente Dilma Roussef a libéré leurs ardeurs.

Les députés « ruralistes » sont en train de démanteler toutes les lois et institutions préservant l’environnement et défendant les droits des plus pauvres, avec la complicité du président conservateur Michel Temer. En parallèle, les assassinats de militants sans-terre se multiplient dans les campagnes, en toute impunité. Une quasi « situation de guerre civile » larvée, analysée par Laurent Delcourt, chercheur au Cetri.

Les faits, d’une violence inouïe, sont à peine relayés par les grands médias nationaux. Au coeur d’une crise politique sans précédent depuis la fin de la dictature, moins d’un an après la destitution de la présidente Dilma Roussef, le Brésil rural des sans-droits vient de connaître deux nouvelles tueries de masse. Le 24 mai dernier, à Pau d’Arco au sud du Pará, 10 membres du Mouvement des sans-terres (MST), neuf hommes et une femme, sont abattus de sang-froid et 14 autres blessées par les polices militaire et civile, dépêchées sur les lieux pour les déloger d’une terre qu’ils occupaient, à la demande de son prétendu propriétaire. Celui-ci avait refusé la compensation prévue par la loi dans ce type de litige foncier, la jugeant insuffisante. Résultat : un bain de sang.

Un mois plus tôt, le 20 avril 2017, dans l’État frontalier du Mato Grosso, neuf paysans étaient assassinés par balle ou à l’arme blanche. Retrouvés pieds et poings liés, certains d’entre eux avaient été décapités, d’autres présentaient d’évidentes marques de torture. Tous appartenaient à une communauté de sans-terres installée dans un campement (assentamento) à Gleba Taquaruçu do Norte, une colonie agricole située à plusieurs centaines de kilomètres de la petite ville de Colniza.

Des dizaines d’assassinats chaque année

En 2004, plusieurs dizaines de familles occupant ces terres âprement disputées avaient déjà été expulsées par des hommes de main (pistoleiros) à la solde de grileiros (accapareurs illégaux de terres publiques). Reconnue dans ses droits, la communauté avait pu réoccuper légalement le terrain, mais faisait depuis l’objet de fortes pressions et intimidations et avait même déjà subi quelques agressions, mortelles parfois. Quelques jours avant le massacre, elle avait une nouvelle fois explicitement été menacée et avait tenté d’alerter les autorités. Peine perdue. Comme à leur habitude, ces dernières ont fermé les yeux sur ces menaces. Comme souvent, les commanditaires sont connus, des suspects sont désignés, mais ceux-ci sont rarement inquiétés.

C’est que dans ces terres isolées de frontière agricole formant ce que l’on appelle l’arc du déboisement (arco do desmatamento), l’impunité règne en maître, tout particulièrement lorsque les victimes occupent le bas de l’échelle sociale. Au Brésil, la « justice de classes » est, peut-être plus qu’ailleurs, une réalité toujours vécue au quotidien par des centaines de milliers de travailleurs ruraux. Sur les 1722 assassinats de militants, perpétrés dans les campagnes depuis 1985, note ainsi la Commission pastorale de la terre (CPT), à peine 112 ont donné lieu à un jugement et seulement 31 commanditaires ont été condamnés sur 45 mises en examen. Une situation scandaleuse en soi et qui n’est pas près de s’améliorer. En témoignent les deux récents massacres et, surtout, le dernier rapport de la CPT qui montre, chiffres à l’appui, la forte recrudescence, depuis un peu plus d’un an, de toutes les formes de violence dans les campagnes brésiliennes.

Nouvelle flambée de violence dans les campagnes


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