livre à relire

Hôpitaux en détresse, patients en danger de Phillipe Halimi et Christian Marescaux,

, par JN

« Pour moi, c’est fini. Je ne supporte plus de voir un hôpital transformé en usine, où les soignants sont des tâcherons, des machines, où le soin soit un produit qui doit rapporter, le patient un client qui doit être rentable ; un hôpital où l’empathie, le respect, l’attention, l’écoute sont sacrifiés car ’’non facturables’’ et donc considérés comme une perte de temps » - Dr Thibault Liot cité en conclusion du résumé du livre cité en titre par André Oliva.

Alors que les personnels de santé s’efforcent de compenser, par leur dévouement et au péril de leur vie, les décennies d’incurie de tous les gouvernements successifs, il y a deux ans déjà, Phillipe Halimi, chef du service de radiologie à l’hôpital Georges Pompidou à Paris, Christian Marescaux, ancien chef de l’unité neuro-vasculaire de l’hôpital universitaire de Strasbourg avaient publié chez Flammarion un livre au titre prémonitoire : « Hôpitaux en détresse, patients en danger » . C’était un cri de colère dont nous avions rendu compte sur Radio Résonance en avril 2018

Le 17 décembre 2015, un médecin se suicide sur son lieu de travail : le Pr Jean Louis Megnien, 54 ans, père de 5 enfants se jette par la fenêtre de son bureau au 7ème étage du prestigieux hôpital Georges Pompidou à Paris. Il était à la fois professeur d’ université et praticien hospitalier. Il était au sommet de sa carrière et sa compétence reconnue de tous. Pourtant depuis 2012, il était en conflit avec sa hiérarchie. Son suicide a créé un choc d’une violence extrême dans l’établissement, et ses amis dont Philippe Halimi, créent une « Association de lutte contre le harcèlement et la maltraitance au sein de l’hôpital public. » En quelques semaines, plusieurs dossiers de harcèlement parviennent à l’association ; deux ans plus tard, ils sont presque 400.
Et le livre est largement composé du témoignage de plusieurs d’entre eux. Tous racontent à peu près la même chose. Peu à peu on les isole, on ne les convoque plus à des réunions de travail, on diminue leurs moyens, on les ampute de certaines de leurs fonctions, on les « placardise », bien plus, on les accuse de mal faire leur travail, on les critique en public, même devant des malades. Pour tous, ces mauvais traitements provoquent une terrible souffrance. Presque tous disent avoir pensé au suicide. Comme ce professeur qui a du partir dans une autre région et qui raconte : « J’ai failli me jeter sous un train...Ce qui m’a aidé à survivre, ce sont ma famille, trois vrais amis, un psychiatre et les antidépresseurs...Un an après mon transfert [dans un autre CHU où ça se passe bien], je fais encore de nombreux cauchemars et je me réveille la nuit, terrifié en me demandant si je suis bien là... »

L’ intersyndicale « Action praticiens hôpital » a publié un communiqué le 18 janvier 2018 à l’occasion d’une grave crise au CHU de Grenoble suite au suicide d’un médecin : « Au delà des situations concrètes décrites, les problèmes rencontrés au CHU de Grenoble existent partout ailleurs... la souffrance au travail est devenue un lieu commun à l’hôpital public depuis dix ans » Tous les personnels, pas seulement les médecins sont concernés, en témoigne le drame qui a ébranlé le CHU de Toulouse en juin 2017 : en 18 jours, deux infirmiers, une aide-soignante et une auxiliaire de puériculture se sont suicidés. On peut d’ailleurs regretter que le livre ne donne pas davantage la parole à ces personnels qui eux aussi sont victimes de ces méthodes de management.

Le médiateur qui parcourt la France dans tous les sens pour tenter de calmer les tensions et apaiser les conflits met en avant les rivalités, les ambitions, les rancœurs dans un milieu professionnel où les ego sont souvent bien dimensionnés et les susceptibilités à fleur de peau. Ça arrive, bien sûr, mais ce n’est que la surface des choses. Cette souffrance est la conséquence directe de choix politiques décrits par le sociologue Marc Loriol : « ...déjà à partir de 1983, chaque établissement se voyait doté chaque année d’une enveloppe de fonctionnement limitative ce qui pouvait l’amener à rationner son activité. Mais la principale rupture est venue de la tarification à l’activité introduite à partir de 2004 dans le cadre du plan ’’Hôpital 2007’’. » Chaque acte est tarifé ainsi que sa durée d’hospitalisation. Il y a donc des maladies et des patients plus rentables que d’autres. En plus, la loi Bachelot de 2009 transforme complètement l’administration des hôpitaux. Jusque là, le directeur d’un hôpital avait un rôle technique. Il devait seulement assurer le bon fonctionnement matériel de l’établissement. Avec cette loi, les nouveaux directeurs formés à Rennes dans une école spéciale sont des hauts fonctionnaires qui doivent administrer l’hôpital dans tous ses aspects et ont autorité sur les médecins qui sont leur sont hiérarchiquement subordonnés. Ils sont là pour appliquer une politique d’austérité mise en œuvre par des techniques de management calquées sur celles de l’entreprise. Et pour briser ceux qui résistent.

Parmi tous les témoignages qui font la substance du livre, on retiendra ceux de deux médecins qui sont partis pour éviter de s’effondrer complètement. Celui du docteur Agnès Gauthier, ancienne neuropédiatre au CHU de Nantes. Après avoir expliqué que pour établir un diagnostic, pour soigner, il faut des gestes techniques, des examens, mais il faut aussi écouter, comprendre, expliquer, rassurer. Et ça prend du temps. Et c’est pour cela qu’elle n’en peut plus. Une collègue qui est partie n’est pas remplacée. Du coup, dit-elle : « Je me retrouve à effectuer le travail de deux médecins...De plus, le temps que je consacre aux patients est de plus en plus réduit avec la nouvelle organisation à l’économie de l’hôpital ; je suis à la fois médecin spécialiste d’une maladie compliquée, mais aussi secrétaire quand je dois taper moi-même des comptes rendus d’électro-encéphalogrammes, organiser une hospitalisation ou prévoir un examen pour un patient, répondre à des dizaines de mails toujours urgents. Et puis comme je suis comptable des actes effectués, je rentre aussi sur mon ordinateur les données du jour. Pendant ce temps, mes patients attendent et je me sens coupable....Peu à peu, j’ai l’impression de me noyer ; je travaille mal, jamais je n’ai ressenti une telle culpabilité de ne pouvoir faire mieux. Mes revendications régulières me font passer pour une emmerdeuse...Le refrain de notre chef de service est toujours le même : ’’ Vous devez faire avec les moyens que vous avez et vous devez vous adapter’’ ». A 59 ans, le docteur Gauthier est en arrêt maladie et attend la retraite. Quel gâchis !

Laissons la conclusion au docteur Thibault Liot qui pendant des années a dirigé le SAMU de Seine et Marne : « Pour moi, c’est fini. Je ne supporte plus de voir un hôpital transformé en usine, où les soignants sont des tâcherons, des machines, où le soin soit un produit qui doit rapporter, le patient un client qui doit être rentable ; un hôpital où l’empathie, le respect, l’attention, l’écoute sont sacrifiés car ’’non facturables’’ et donc considérés comme une perte de temps »

A.Oliva (Attac 18) avril 2018