La Folie Monétaire Internationale

mardi 14 mars 2000, par Webmestre

La Folie Monétaire Internationale

Ce texte est directement issu des panneaux de l’exposition faite par le CCE SNCF et ATTAC.

« Les vertus de la mondialisation sont extraordinaires : Elle a provoqué une énorme amélioration du bonheur humain dans les sociétés ayant su choisir les chances qu’elle offre... L’économie de marché est par nature globale. Elle constitue ce qu’il y a de plus achevé dans l’aventure humaine. »

Cet éditorial du Financial Times résume à lui tout seul l’ampleur des promesses non tenues par les tenants du "laisser-passer" commercial et du "laisser-faire" financier. La mondialisation des marchés financiers -avec ses corollaires : spéculation et corruption-, le rôle joué par les nouvelles technologies de l’information, l’accélération de la circulation des capitaux "virtualisés" électroniquement soit quelque 1800 milliards de dollars échangés chaque jour, tendent à transformer l’économie planétaire en gigantesque casino. L’argent n’y a plus guère de rapport avec la production réelle de richesse, un développement au service de l’homme.

Les Hedge funds -fonds spéculatifs- sont des firmes américaines d’investissement non soumis à réglementation prudentielle ni autorité de tutelle. Le prix du ticket d’entrée dans le hedge fund connu sous le sigle LTCM -pour Long Term Capital Management- était de 93 millions de dollars bloqués sur trois ans. Cher, mais profitable : les résultats vont frôler 20 % puis plus de 40 % de gains. En 1997, LTCM gère quelques 1250 milliards de dollars, rassemblés grâce à 12 milliards de francs seulement de capital, quelques économistes, dont deux Nobels, et une "formule magique" censée prédire le futur d’une option sur action. Las, lorsque les marchés d’action se retournent en juillet 1998, les gérants de LTCM parient sur une baisse des taux d’intérêts à court terme. Pas de chance, ce sont les taux d’intérêts à long terme qui reculent. C’est la banqueroute. Mais pas de panique, le filet de sécurité de la puissance publique est là : le président de la Réserve Fédérale des Etats-Unis intercède en faveur de LTCM et demande à différentes institutions financières américaines et étrangères de renflouer le fond en faillite. En quelques heures, 3.5 milliards de dollars sont injectés en échange de 90 % du fond et de la création d’un comité de surveillance... Cet interventionnisme particulièrement compréhensif de l’état vilipendé en temps ordinaire est justifié par la lutte contre la panique, contre les risques inacceptables pour l’économie... Restent que plusieurs institutions perdent énormément de liquidités dans l’affaire. Pour se refaire, elles licencieront du personnel...
Mexique, Indonésie, Thaïlande, Russie...

Quelques semaines, quelques jours parfois ont suffi pour que ces pays, longtemps salués par les puissances industrielles comme des "tigres" ou des "dragons" économiques, en tout cas des marchés émergents, voient leur monnaie s’écrouler, leurs industries, leurs actifs perdre toute valeur. L’effort, l’épargne, le travail de millions de gens se sont ainsi évanouis en fumée. D’un coup -coup de Bourse, coup de dés- les conditions de vie de peuples entiers ont été ruinés par la spéculation sur les monnaies et par ces marchés financiers qui étaient censés leur assurer bonheur et bien-être.

Véritable huissier mondial, le Fonds Monétaire International (FMI) s’est montré incapable d’endiguer ou de réguler les crises et la spéculation financière. Avec la Banque Mondiale, il impose au contraire une stricte orthodoxie libérale. Ces organismes, au sein desquels prévaut la loi du plus fort, du plus riche, les Etats-Unis, exercent un pouvoir formidable qui n’est soumis à aucun contrôle démocratique. Les aides et les prêts qu’ils accordent sont subordonnés à des conditions draconiennes, à des plans d’ajustement qui obligent l’emprunteur à réduire ses dépenses publiques - services publics, santé, éducation -, à maintenir une politique monétaire rigoureuse, c’est-à-dire à rendre l’argent rare et cher, à dégager des excédents commerciaux par une priorité à l’exportation. La plupart des projets financés laissent peu de place à la lutte contre la pauvreté et pour le développement ; ils s’inscrivent plutôt dans des logiques d’exploitation des richesses intéressant les pays industrialisés et non les populations concernées. Cette "médecine", la seule que connaisse le FMI, aboutit invariablement à augmenter le chômage et la misère, à accentuer les déséquilibres qu’elle est justement censée combattre, à développer des zones d’économie noire ou grise.

L’argent sale - provenant des trafics de drogues ou d’armes, utilisé pour corrompre plus ou moins officiellement tel responsable politique, fonctionnaire ou tel dirigeant d’entreprise - constitue une part croissante des mouvements internationaux de capitaux et sert de lubrifiant au système financier international. Ajoutons en complément que la traite des humains pèserait 84 milliards de francs et celle des animaux 100 milliards ; la contrefaçon correspondrait à 3 à 9% du commerce mondial et 10 à 15% du budget de l’Union européenne serait détourné. On estime que le produit criminel brut mondial s’élevait en 1996 de 8 à 900 milliards de dollars dont 320 seraient blanchis par le système financier international. Les paradis fiscaux jouent dans ces affaires un rôle décisif en protégeant l ’anonymat des dépôts. Leur suppression, notamment en Europe, doit être mise à l’ordre du jour. A quand un " visa financier " pour les transferts importants ?

Le dernier rapport mondial sur le développement humain du programme des Nations Unies pour le développement estime que les 225 plus grosses fortunes du monde représentent un total de plus de mille milliards de dollars, correspondant au revenu annuel des 47 % d’individus les plus pauvres de la planète, soit 2,5 milliards de personnes. Cette immense richesse contraste avec l’extrême faiblesse des populations des pays en voie de développement ; - les trois personnes les plus riches du monde disposent d’une fortune supérieure au produit intérieur brut total des 48 pays en voie de développement les plus pauvres - Le patrimoine des 15 individus les plus fortunés dépasse le PIB total de l’Afrique subsaharienne - la fortune des 32 personnes les plus riches du monde dépasse le PIB de l’Asie du Sud - les avoirs des 84 personnes les plus riches dépassent le PIB de la Chine, pays le plus peuplé du globe (1,3 milliards d’habitants). D’une façon générale, le coût de l’accès de la population des pays en voie de développement aux services sociaux de base (éducation, santé, nourriture saine, eau potable, infrastructures sanitaires, soins gynécologiques et d’obstétriques pour les femmes) est estimé à 40 milliards de dollars par an, soit 4% de la richesse accumulée des 225 plus grosses fortunes mondiales.

L’Union Européenne a passé en 1975 ans le cadre de la convention de Lomé des accords préférentiels avec les anciens pays colonisés d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Ces accords font exception aux règles commerciales classiques et permettent aux producteurs un libre accès au marché communautaire. Cela permet aux petits producteurs de la zone ACP d’avoir la garantie d’écouler leurs marchandises à des prix souvent supérieurs à ceux du marché mondial, et de maintenir leur activité, laquelle est écologiquement viable. Mais le commerce de la banane est plein d’épines. Les énormes firmes américaines Dole et Chiquita (anciennement United Fruits of America) qui exploitent les bananeraies d’Amérique Centrale jusqu’à usure complète des hommes et des terres ont jugé qu’il y avait là un manque à gagner et elles ont réclamé l’aide du gouvernement américain. Lequel a porté plainte devant l’OMC et a gagné. Désormais confrontés à la " concurrence loyale " de ces deux multinationales, les petits producteurs de bananes sont promis à la disparition et aux cultures de drogues.

L’explosion technologique a modifié la donne du temps et de l’espace en permettant une gigantesque accélération des transports, un " rétrécissement " des distances. C’est pourquoi les politiques libérales ont toujours priorisé la déréglementation des secteurs de transport : aérien, ferroviaire, routier ou électronique. Car en réduisant les échanges, l’accélération favorise les échanges, exacerbe la concurrence entre les hommes et les produits à l’échelle planétaire, bouscule les notions de territoires, locaux ou nationaux. Bref la déréglementation du transport permet de recomposer le travail, les productions au plan mondial et au moindre prix social, tout en s’inscrivant dans la spirale dépressive d’une concurrence sans limites. Les entreprises déménagent d’un continent à l’autre sans considération quant aux conséquences ; les salariés sont sommés de devenir toujours plus " flexible ", qu’il s’agisse de distance à parcourir ou de temps à travailler. Ce modèle social de production planétaire axé sur le financier se paie en laissés-pour-compte : privés d’emploi, sans-toit, sans-droits, sans-papiers...

Négocié à huis clos depuis 1995 au sein de l’Organisation de Coopération du Développement Economique (OCDE), l’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI) prévoyait d’instaurer un cadre contraignant en matière d’investissement : tous les devoirs à la charge des Etats, tous les droits aux investisseurs transnationaux. Un investisseur transnational aurait pu ainsi s’installer où bon lui semble, exploiter les ressources naturelles d’un pays sans condition ni obligation aucune, que ce soit en matière d’emploi, de respect des normes environnementales ou sociales, de transfert de technologie, de rapatriement des actifs, ou d’emploi de main d’œuvre locale. Pas un secteur n’échappait à l’accord, hormis la police et l’armée... Une fois l’AMI signé, ses dispositions empêchaient tout retour en arrière pendant vingt ans et sanctifiait l’interdiction de toute nationalisation. Tel Dracula, l’AMI n’a pas supporté la lumière du jour : une large mobilisation citoyenne a fait capoter l’accord ; mais comme le vampire, il n’attend qu’une occasion pour réapparaître sous forme d’un Partenariat Economique Transatlantique (PET) ou autre.

C’est l’un des enjeux majeurs du prochain cycle de négociations de l’OMC connu sous le nom "cycle du millénaire".

Le marché mondial des biotechnologies est estimé pour la fin du siècle à plus de 100 milliards de dollars ; cette industrie est étroitement dépendante de fonds privés et vit à l’heure de la course aux brevets et d’une concurrence exacerbée. Aujourd’hui, un micro-organisme génétiquement modifié peut valoir une fortune. Les garanties éthiques et démocratiques qui entourent ce domaine ne sont malheureusement pas au niveau des enjeux de société qu’ils posent. La forêt, l’eau, l’air et la terre sont l’objet d’une surexploitation forcenée et suicidaire ; agriculture, élevage et alimentation sont devenus des industries "comme les autres", risques à la clé. Avec la perspective de privatisation du génome humain, la course folle à la marchandisation du vivant prend des allures de marche forcée à la catastrophe planétaire.
Déforestation

Des centaines de millions de km² de forêt brésilienne rasés pour permettre l’élevage intensif de quelque 300 milliards de bovins.
Elevages intensifs

Pour gagner du temps sur la croissance des animaux, leur alimentation intensive fait appel à des farines animales. Résultats : vache folle, poulets endioxinés.
Productions transgéniques

Les OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) tels que maïs, tomate, sont mis sur le marché sans débat, au mépris du principe de précaution.

A l’aube du troisième millénaire, des millions d’enfants restent prisonniers d’une exploitation féroce, privés d’enfance, interdits d’espoir. Cette situation, largement connue, résulte d’un sous-développement entretenu par la dette publique, les plans d’ajustement structurels du FMI et de la Banque Mondiale, la course planétaire au moins-disant social. Malgré diverses campagnes internationales, ce travail continue de faire les beaux jours de firmes multinationales aux marques connues et aux publicités chaleureuses : vêtements, chaussures de sport, jeux vidéo... La marche des enfants, les campagnes qui se sont développées pour des "fringues propres" sont autant de façons de dire "ça suffit", d’affirmer qu’il est possible de faire autrement.

La crise des "pays riches" fait écho à la misère du tiers-monde. Les pays industrialisés voient croître leur nombre de chômeurs et d’exclus ; leurs services publics, leurs systèmes de protection sociale, de retraites sont sommés de se couler dans des logiques boursières, au détriment des solidarités. Les entreprises sont fragilisées par les jeux et les humeurs des actionnaires, comme dans le cas d’Alcatel. Investie par les fonds de pension et de placements collectifs anglo-saxons à hauteur de 15 à 20% de son capital, l’entreprise voit son titre chaleureusement recommandé par les analystes boursiers. Le 17 novembre 1998, à la suite de la crise que connaît l’Asie et du rétrécissement de ses marchés, le Pdg annonce des performances moins importantes que prévu, soit un résultat opérationnel de quelque 2,3 milliards de francs pour le semestre et 4 milliards pour l’année. Ces chiffres, plutôt satisfaisants, sont en deçà de ce qu’espéraient les actionnaires. Ceux-ci retirent leurs capitaux ; l’action perd 38,4 % de sa valeur dans la journée. En 24 heures, l’entreprise vaut moins de 70 milliards que la veille, sans égard aucun ni à sa valeur réelle, ni à celle de ses salariés ou de leurs productions. Prises dans la spirale, Siemens chute de 7,9 %, GEC de 8,6%, Ericsson s’effondre de 9,6 points... Pour "regagner la confiance des investisseurs", le Pdg d’Alcatel réaffirme la rentabilité de l’entreprise ; et pour les convaincre, il joue sur la baisse du coût de production en liquidant des emplois qui s’ajoutent aux 30 000 déjà supprimés.

Les bibliothèques publiques françaises vont-elles devoir faire payer un droit de prêt aux lecteurs ? La mesure est sérieusement préconisée par un rapport remis au ministre de la Culture, au prétexte de soutenir auteurs et éditeurs. Ce soutien - au sens de la corde qui soutient le pendu - serait d’abord et avant tout une remise en cause du principe de gratuité qui garantit l’accès de tous au livre, principe que l’on retrouve pour l’école, dont les missions s’apparentent à celles des bibliothèques. Parce qu’elles sont des lieux d’animation, de diffusion ainsi que des acheteurs importants, les bibliothèques - notamment celles des comités d’entreprise - jouent un rôle de promotion du livre et favorisent son rayonnement. La mesure préconisée vise en fait à les inscrire dans une logique mercantile, dans des rapports marchands contradictoires avec la curiosité, la circulation des idées que permet la gratuité du prêt. La lutte contre l’exclusion, contre l’illétrisme, appelle au contraire des mesures d’aide au développement des bibliothèques et à la diffusion du livre.

Transport, énergie, éducation, santé : la libéralisation d’un "service public" passe toujours par la redéfinition du tarif, calculé en fonction d’un coût proposé "réel". Cette logique comptable particulière conduit à élever les tarifs pour les clients peu rentables ou à supprimer le service jugé trop coûteux. Ceux "qui peuvent" ont accès au service : les autres... Le transport ferroviaire illustre parfaitement les retombées de ces choix. Ecologique par excellence, d’une sûreté quasi totale, ce transport collectif a, des décennies durant, été sacrifié aux différents lobbies routiers ; l’entreprise SNCF a été endettée par l’Etat, son principal actionnaire, vouée à une misère budgétaire structurelle et contrainte à des amputations de voies, de gares, de services et de personnels. Le service public s’en est trouvé profondément dégradé et son coût présente comme une charge insoutenable. Le même gouvernement qui voulait céder Thomson pour 1 franc symbolique s’apprêtait donc à privatiser l’entreprise, sur le modèle britannique, en s’appuyant sur les directives libérales européennes. Les euromouvements de cheminots, la grande grève de 1995/96 ont porté un coup d’arrêt à ces politiques, exprimé l’attachement de l’opinion au transport public du rail et, au delà, à la logique de service public comme facteur d’efficacité sociale.

Les services publics visent à assurer une égalité d’accès, une égalité de traitement et une égalité de tarifs pour tous. Ce faisant, ils dessinent un certain type de société où l’eau, l’énergie, le transport, la santé, l’éducation ont un statut de droit et non, seulement de marchandise : une société dont le développement se veut plus équilibré, solidaire, responsable. Ces services publics créent également les conditions financières de leur propre entretien et développement en échappant - du fait des régulations publiques - aux strictes logiques du marché. Ainsi l’usager peut-il prévaloir sur le client, et l’emploi efficace, sur le taux de profit. Tout cela a été - et reste - violemment remis en cause par les politiques libérales de déréglementation et de privatisation. En substituant le client à l’usager, pour satisfaire des groupes particuliers plutôt que l’intérêt général, ces politiques permettent au capital privé d’accaparer les secteurs les plus profitables des services publics et d’abandonner le reste à la charge de la collectivité. De colossales sommes d’argent sont ainsi prélevées de la cagnotte publique au bénéfice des seuls marchés financiers.

La mondialisation financière aggrave l’insécurité économique et les inégalités sociales. Elle contourne et rabaisse le choix des peuples, des institutions démocratiques et les états souverains en charge de l’intérêt général. Elle leur substitue des logiques strictement spéculatives exprimant les seuls intérêts des entreprises transnationales et des marchés financiers. Au nom de la modernité, 1500 milliards de dollars vont et viennent chaque jour sur les marchés des changes, à la recherche d’un profit instantané, sans rapport avec l’état de la production, du commerce des biens et des services. La proposition de l’économiste américain James Tobin, prix Nobel d’économie, de taxer les transactions spéculatives sur les marchés des devises, même au taux particulièrement bas de 0.05 % rapporterait près de 100 milliards de dollars par an. Cette somme pourrait être reversée aux organisations internationales pour des actions de lutte contre les inégalités, pour la promotion de l’éducation et de la santé publique dans les pays pauvres, pour la sécurité alimentaire et le développement durable.

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