La mise en concurence des comptéences ou les dévoiements de la reconnaisance libérale ( -3 - )

samedi 3 février 2007, par Webmestre

http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=31219

Les libéraux veulent bien des règles mais uniquement celles qui enlèvent les protections collectives et les cadres statutaires, notamment ceux qui ont durant le siècle passé bridé un peu la liberté du renard dans le poulailler, du patron dans l’entreprise . Dans le monde du travail salarié (le travail indépendant est différent), ces cadres durement conquis contre le capital et les libéraux ont été le système de la qualification et complémentairement dans les administrations le statut de la fonction publique. Un statut sécurisant du travail salarié est actuellement revendiqué pour le privé notamment par des syndicats et des membres d’ ATTAC (1).

Ces cadres de solidarité collective et organique avaient permis un amoindrissement de l’exploitation de la force de travail et des rapports hierarchiques relativement moins durs qu’auparavant . Cela n’aura pas duré bien longtemps . Aujourd’hui face à l’offensive libérale menée depuis les années Reagan-Thatcher ces cadres sont émiéttés et déstructurés. Les unités de production et de service ressemblent à un monde hobbésien ou "l’homme est un loup pour l’homme". Ajoutons pour l’homme et pour la femme car les rapports de genre viennent ici redoubler les effets de domination des rapports sociaux.

DE LA "RECONNAISSANCE" A LA COMPETENCE : UNE STRATEGIE DU CAPITAL CONTRE LA QUALIFICATION ET CONTRE LE TRAVAIL.

Dans un univers de contrôle plus ou moins serré, d’exploitation renforcée voire d’humiliation, la reconnaissance du travail effectué devient une aspiration forte. D’une certaine manière c’est précisément un tel cadre - celui du travail salarié - qui bien souvent donne une connotation particulière et aigue à l’aspiration à la reconnaissance . Ainsi pour certains la vraie reconnaissance ne pourra passer que par une distinction, un avantage donné à eux et refusé aux autres. Une reconnaissance réelle - pas une médaille - donnée à tous n’en serait pas une .

Cette forme de reconnaissance très individualisée a été instrumentalisée par les dirigeants économiques privés - le MEDEF - ou publics - la Haute administration - pour accroitre la pression sur le salariat en période de concurrence accrue et de crise de rentabilité du capital. Là on s’aperçoit que la reconnaissance attendue prends souvent la forme du discrédit et de la sanction !

L’instrumentalisation de cette aspiration a pris corps avec la lente mise en place dans le discours puis dans les systèmes d’organisation des unités de production privées ou publiques de la notion de compétence contre celle de la qualification. La compétence se rapporte à l’individu, la qualification au poste de travail. La qualification est acquise par une suite d’épreuves : il faut passer tel examen national puis, grâce à lui, réussir tel ou tel concours . Ce n’est qu’après qu’interviennent les formations complémentaires théoriques - à niveaux variables - et pratiques - "sur le tas" - d’adapdation concrète au poste . La compétence, elle, n’est jamais chose acquise, il faut toujours la démontrer et dans tous les domaines et ceux-ci sont nombreux. On peine a recenser les typologies de compétences à assurer et les critères précis d’acquisition. Au-delà de ce flou, la compétence va même au-delà de la simple mise en oeuvre de la force de travail pour exiger la mobilisation totale de la personne, y compris hors du travail. Elle peut donc posseder dans ces cas de "surprescription" normative une dimenssion totalitaire.

La logique de compétence est lourdement porteuse d’individualisation et de fragilisation du salarié dans l’entreprise et dans les services publics. Elle conduit outre à l’intensification du travail aux renforcement des inégalités de salaires. Malgré cela des syndicats comme la CFDT ont cru pouvoir accompagner la stratégie du patronat avec des exigences garantissant une véritble reconnaissance du travail salarié. L’heure du bilan est arrivé et l’on peine à voir le positif se dégager.

LA MAJORITE DES SALARIE(E)S EN EXPERIMENTENT LES DEGÂTS !

Comme "le mythe de l’entreprise"(5) - sans rapport sociaux antagoniques - développé dans les années 80 a gagné les administrations locales et centrales, le thème de la mobilisation du "capital humain" (2) s’applique aussi aux fonctionnaires. Et que constate-t-on ? Ce qui domine ces dernières années c’est bien la mobilisation sous tous ses aspects de la force de travail . Des experts (4) aux expériences syndicales et de travailleurs et travailleuse se confirme une augmentation des charges de travail .

Les délais prescrits sont plus courts aussi bien dans l’atelier de l’usine pour les ouvriers et techniciens que dans les bureaux, pour les employés et les cadres. Ces délais à tenir font pression sur les cadences tant dans les univers taylorisés (ou les contrôle de la tâche est permanent) que dans les structures "à participation" ou pèse le contrôle régulier du résultat.

S’y ajoute la productivité de l’emploi : Globalement, la demande des clients et des usagers s’accroît (ou reste stable) mais s’adresse au mieux à personnel constant au pire à personnel réduit. L’intensification du travail provient alors mécaniquement de ce qu’on appelle la "productivité de l’emploi" qui s’ajoute souvent à la vieille "productivité de la tâche ou de l’activité".

S’ y ajoutent les exigences de qualité qui ne font pas réduire pour autant les exignences de quantité. Une nouvelle source de tension apparait issue des injonctions contradictoires entre qualité et quantité.

L’intensitification génère de multiples déteriorations des conditions de travail qui influencent la subjectivité au travail : le retrait n’est plus possible donc soit "on s’investit" soit "on craque". Cet ensemble de pressions entraine aussi une dissolution des collectifs de travail par individualisation ou formation de "clans" (solidarités restreintes à deux ou trois individus).

ET CE N’EST PAS FINI...

Le système libéral et social-libéral de la compétence continu de produire de nouvelles règles d’accroissement de la mise en concurrence de tous contre tous au sein du salariat . Les fonctionnaires, qui avait depuis 1959 un système de notation limiant une exacerbation des conflits sur ce sujet, sont depuis le décret du 29 avril 2002 (3)soumis à des règles d’évaluation-notation qui viennent complèter le dispositif de "modernisation" de la fonction publique notamment le passage à la contractualisation et l’individualisation des relations internes . La mise en place du modèle de la compétence suscite marginalement une reconnaissance positive mais instaure la reconnaissance "négative" pour d’autres . La loi de la jungle libérale se lit dans ce dispositif. Le public y copie le privé dans tous ces mécanismes de sélection-exclusion. Il faut renverser cette logique barbare pour instaurer un modèle plus pacifique et civilisé.

Christian DELARUE ATTAC

1 Pour un statut comme "bien commun" du salariat resident http://rennes-info.org/article.php3?id_article=660 et Bellaciao

2 "La novlangue néolibérale "le capital humain" d’Alain BHIR sur le site "a l’encontre"

3 Décret du 29 avril 2002 : http://bifp.fonction-publique.gouv.... <http://bifp.fonction-publique.gouv....>

4 Lire sur ce point des auteurs aussi divers que Marc BARTOLI, Giusto BARISI, Alain FERNEX, Michel GOLLAC, Daniel LINHART, Serge VOLKOOF, Philippe ZARIFIAN. Michel FREYSSINET

5 "Le mythe de l’entreprise" de Jean-Pierre LE GOFF Plus généralement lire "Critique de l’organisation du travail" de Thomas COUTROT La Découverte Col Repères "La modernisation des entreprises" de Danièle LINHART Ed La Découverte coll Repères L’entreprise néo-libérale, nouvelle utopie capitaliste ? Thomas COUTROT

Ou va le salariat ? Pierre ROLLE Ed Page 2 - 1996 Travail et émancipation sociale Antoine ARTOUS Sylepse 2003 Enfin les ouvrages collectifs suivant sont indispensables : "La crise du travail" PUF 1995, "La liberté du travail" Sylepse 1995, "Le monde du travail" La Découverte 1998

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