Difficultés de la conchyliculture : un signal d’alarme qu’il ne faudrait pas ignorer

samedi 2 février 2013
par  Olivier PIEL
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Difficultés de la conchyliculture : un signal d’alarme qu’il ne faudrait pas ignorer

Autant deux paysans peuvent se persuader que leurs parcelles mitoyennes restent indépendantes du fait de la clôture qui les sépare, autant deux conchyliculteurs même éloignés de plusieurs kilomètres savent que les pratiques des uns impactent les conditions de travail des autres.
Travaillant sur ce milieu ultra-sensible qu’est le littoral marin, les conchyliculteurs sont dépendants de beaucoup d’autres productions en aval. En cela, ils sont les marqueurs de la viabilité de nos modes de vie et leurs difficultés actuelles devraient tous nous alerter.

En s’appropriant l’eau pour irriguer les cultures céréalières en amont, les agriculteurs sacrifient les élevages conchylicoles qui en aval résistent mal aux fortes variation des taux de sels et à la raréfaction des phytoplanctons sensibles à la qualité de l’eau dont s’alimentent les coquillages. Parallèlement, la multiplication des déplacements de leurs cheptels dans des eaux plus nourricières et plus douces par les grands exploitants de la filière conchylicole favorise la dissémination des virus et parasites condamnant l’ensemble de la profession. Ces dernières années ont été marquées par une forte mortalité des naissains liés à un herpès-virus OsHV-1. L’Iffremer tente de lutter contre les difficultés de la filière en cherchant des souches résistantes à ces virus, mais dans le même temps, en développant des souches artificielles (triploïdes), l’Iffremer favorise la surexploitation des milieux déjà mis à mal. Les petits éleveurs ne pouvant alors plus vivre de leur travail abandonnent la place aux grosses structures. Et l’entrée du brevet de la tétraploïdie dans le domaine commun ne fera qu’accélérer ce processus.
On peut cependant penser que les grosses structures ne résisteront pas non plus longtemps à la concentration des molécules pharmaceutiques (hormones, antibiotiques, etc), au développement des algues toxiques ou à la dégradation de molécules chimiques industrielles dont la toxicité des sous-produits (métabolites) est parfois supérieure aux produits d’origine. Le secteur a déjà connu un effondrement de production lié à la disparition des huîtres portugaises en août 1970 du fait d’un virus mais il est parfois difficile de tirer enseignement de l’histoire et les intérêts à remettre en cause sont tels que la démocratie dans sa forme représentative a peu de chance de faire valoir les intérêts de la conchyliculture. Notons tout de même que 1200 entreprises sont concernées en Poitou-Charente où sont produites 46 000 tonnes de ces coquillages soit près de la moitié de la production hexagonale.
Malgré cela, pour que les intérêts des conchyliculteurs aient une chance d’être pris en compte, il faudrait que la démocratie réelle s’exprime, celle qui réunie les producteurs, les consommateurs et les citoyens qui vivent sur et autour des sites de production.

La situation de la conchyliculture représente parfaitement les limites du concept de propriété appliqué à des espaces géographiques connectés dont les biotopes sont interdépendants.
Exploitation du milieu marin côtier, un biotope très sensible aux variations (climat, température et qualité des eaux), la conchyliculture nous envoie un signal d’alarme. Les conchyliculteurs subissent le contrecoup de l’évolution de nos modes de vie. Les rejets chimiques, les prélèvements d’eau inconsidérés et l’économie de marché au service de la rentabilité condamnent la pérennité de cette activité. Si rien n’est fait, ce secteur comme tant d’autres va continuer d’involuer avec une diversité moindre, une qualité en baisse et un service rendu à la collectivité nul voir négatif. Des solutions existent, mais il faut pour les mettre en place un courage politique que les pouvoirs publics ne semblent pas avoir qui ne cessent de favoriser la quantité au détriment de la qualité (l’exemple des filières de la Malconche est en cela terriblement révélateur) et qui refusent de protéger la diversité des producteurs contre les effets du marché poussant à la concentration. Toutes ces stratégies ne font que déplacer temporairement le problème.

L’environnement nous est commun à tous, quelles que soient nos qualités propres, notre richesse ou notre position sociale. Sacrifier cette base de notre existence au profit de l’enrichissement ponctuel de quelque-uns est absurde. Il est donc temps que les concepts de propriété privée et d’intérêts individuels soient sérieusement remis en cause au profit de la propriété collective et de la démocratie. Pour conserver un environnement de qualité garant d’une bonne alimentation et de conditions de vie agréables, il faut continuer à faire entendre notre voix et à nous mobiliser, en tant que producteurs, consommateurs et citoyens.