Compte rendu d’une délégation européenne des mouvements sociaux en Grèce les 27 et 28 février 2012

Compte rendu d’une délégation européenne des mouvements sociaux en Grèce les 27 et 28 février 2012

Mi-Février, ATTAC France a proposé de mettre sur pied une délégation européenne de mouvements sociaux, visant à exprimer la solidarité avec le peuple grec et notre opposition aux mesures imposées par la Troïka, comme à tous les plans d’austérité en Europe. Cette proposition s’est concrétisée rapidement car elle correspondait à un besoin exprimé dans divers mouvements. Sept pays étaient représentés : Royaume-Uni, Allemagne, Autriche, Italie, Pays Basque, Belgique et France. Les mouvements sociaux étaient divers : des syndicats (FSU et Solidaires pour la France, CSC pour la Belgique, ESK et ELA pour le pays Basque), ATTAC (France, Allemagne, Autriche), AITEC (France), une revue (Red Pepper – Royaume-Uni), ARCI et un représentant d’un centre social (Italie), un représentant du mouvement « Occupy » (Allemagne), le réseau européen Transform et le CADTM.

Ce sont des militants du Forum social grec, avec qui nous avons tissé des liens depuis plusieurs années, qui ont aidé à organiser les rencontres. En deux jours, nous avons rencontré à Athènes une diversité de mouvements sociaux qui luttent contre la politique de la Troïka. Nous avons rencontré les dirigeants des deux confédérations grecques (secteur public et secteur privé) et le syndicat des enseignants du secondaire qui comptent un très grand nombre d’adhérents, ainsi que la coordination des syndicats de base (regroupant des syndicats des deux confédérations sur des bases de luttes). Nous sommes allés apporter notre solidarité aux ouvriers de l’usine sidérurgique Halyvourgia, près d’Athènes : ils sont en grève depuis le mois d’octobre contre la direction qui a proposé de réduire leur journée de travail de huit à cinq heures et de perdre 40 % de leur salaire. Celui-ci, après 15 ans d’ancienneté, est de 1050 euros par mois. On a rencontré les journalistes de Eleftherotypia, ce journal mis en dépôt de bilan et dont deux numéros ont été réalisés directement par les salariés, avec un grand soutien dans la population. Nous avons vu le syndicat du « logement social » : l’Etat veut récupérer les réserves financières de cet organisme social qui permettait aux salariés d’acquérir un logement dans de bonnes conditions et le fermer ! Une rencontre a eu lieu avec un collectif d’Indignés qui occupe un immeuble. Nous avons eu un débat le mardi soir dans le centre social de Diktio (réseau pour les droits sociaux). Enfin, nous avons été reçus par le groupe parlementaire de Siryza (un des trois groupes parlementaires à gauche du Pasok) qui a voté contre le Mémorandum de la Troïka.

Beaucoup d’éléments communs se retrouvent dans les discussions avec ces différents mouvements. Lorsque le premier plan d’austérité est tombé, il y a eu un effet de « choc » sur la population. Beaucoup pensaient qu’il n’y avait pas d’autre solution pour sortir la Grèce de la crise financière. Mais aujourd’hui, presque plus personne ne pense que les différents plans d’austérité dictés par la Troïka se font dans l’intérêt général de la population, puisque la Grèce s’enfonce dans la récession et ces mesures n’ont qu’un but : rembourser les banques. L’idée est maintenant très partagée que ce qui se joue en Grèce est fondamentalement un enjeu européen. Il s’agit de faire de la Grèce un laboratoire et d’exporter la violence des cures d’austérité vers le Portugal, l’Espagne, l’Irlande et les autres. Ce qui se joue, c’est bien le maintien en Europe de droits collectifs, de protection sociale, de services publics…

Les rencontres avec les mouvements ont été l’occasion de discuter des alternatives politiques. Tous pointent la nécessité d’un autre modèle de développement en s’appuyant sur les énergies renouvelables - la Grèce est le pays du vent et du soleil - et en défendant la souveraineté alimentaire - la Grèce importe de l’huile d’olive et des tomates ! -. La sortie ou non de l’Euro fait en revanche débat entre ceux d’une part qui défendent une solution du type de celle en Argentine au début des années 2000, d’autre part ceux qui insistent sur les risques (notamment de voir baisser le pouvoir d’achat de ceux qui ne vivent que de leur salaire pendant que les riches et les couches moyennes seraient plus protégés par le fait que leur économies sont en euros) et qui défendent la possibilité d’un "front" des pays du sud de l’Europe. Tous néanmoins insistent sur l’importance de tisser une alliance avec les mouvements sociaux européens contre l’austérité et la politique actuelle de l’euro !

Dans cette situation, il est vital que les résistances qui existent en Grèce ne restent pas isolées. Depuis deux ans, il y a eu 17 journées de grève générale (appel interprofessionnel) qui ont donné lieu à des niveaux de mobilisation inégalés depuis la période de la dictature des colonels. En juin dernier, un « mouvement des places » a rassemblé plusieurs centaines de milliers de personnes. Par la suite, des mouvements locaux se sont mis sur pied sur la base d’assemblées locales citoyennes, regroupant une diversité de militants et de générations. C’est l’occasion de débats mais aussi de prise en charge concrète : occupation de bâtiments publics, mise en place de structures collectives pour la bouffe… Des actions « no pay » se développent visant à soutenir ceux qui refusent de payer les taxes ou le paiement de péage d’autoroute. A défaut d’un soulèvement général (qui n’est évidemment pas à exclure), les résistances s’installent dans la durée, avec deux difficultés néanmoins : devoir réagir quasiment en permanence à toutes les lois antisociales votées en application du mémorandum de la Troïka, et composer avec à un éclatement important des forces de gauche, entre partis politiques à gauche du Pasok (qui ensemble emporteraient pourtant une majorité relative aux prochaines élections), mais aussi entre forces politiques, associatives, syndicales, de base...

La délégation a été reçue très positivement par toutes les forces rencontrées, ce qui leur permettait de montrer que contrairement au discours dominant porté par les les médias et les élites économiques et politiques, les résistances en Grèce contre les plans d’austérité ne sont pas isolées. Des discussions ont eu lieu sur ce qui pourrait être fait dans ce sens : échanger des informations sur la situation dans les différents pays, lancer des initiatives communes de solidarité (comme les manifestations qui ont eu lieu le 18 mars dans différentes villes européennes comme Paris), s’engager dans des rendez-vous européens déjà inscrits : la Joint social conférence les 29 et 30 mars à Bruxelles, éventuellement une réunion européenne à Milan le 5 mai proposée par les italiens, et surtout la mobilisation contre la BCE à Francfort mi mai. Ce sont autant d’étapes possibles pour renforcer les convergences des luttes à une échelle européenne. Enfin, nous avons abordé la possibilité d’un rassemblement large et européen des mouvements sociaux en Grèce à l’automne prochain. Différents mouvements grecs verront si c’est possible d’organiser une telle initiative dans un cadre suffisamment unitaire.