Taxe sur les transactions financières : la France ne doit pas manquer le rendez-vous

Tribune publiée sur Médiapart

Lors du sommet franco-allemand du 19 février, la France et l’Allemagne rendront publique leur position commune sur le projet européen de taxe sur les transactions financières (TTF). Dans Les Echos du 30 janvier Pascal Canfin et Pierre Moscovici affirment que la France défend un projet « ambitieux » en accord avec les positions de l’Allemagne.

Dans cette tribune franco-allemande, Thomas Coutrot (Attac France), Hakima Himmich (Coalition Plus), Luc Lamprière (Oxfam France), Detlev Larcher (Attac Allemagne), Bruno Spire (Aides), Peter Wahl (WEED) leur répondent et font part de leurs inquiétudes quant aux véritables intentions du gouvernement français.

« Taxe sur les transactions financières, c’est maintenant ! ». Comme l’écrivent Pascal Canfin et Pierre Moscovici (Les Echos, 30/01), ministres du développement et de l’économie, « après plus d’une décennie de mobilisation de la société civile pour défendre le bien-fondé d’une taxe sur les transactions financières, nous sommes maintenant au moment de la décision politique ».

Nous, organisations des sociétés civiles française et allemande, nous réjouissons de voir arriver le moment de la décision politique. Mais nous sommes extrêmement inquiets concernant la dernière phrase du texte des deux ministres, « la France sera au rendez-vous ».

Tout d’abord, les ministres s’engagent à ce que le produit de la taxe serve à financer « la lutte contre les grandes pandémies comme le sida ou le paludisme et la lutte contre le changement climatique », et nous devons nous en féliciter. Toutefois, à ce jour, seule la France, par la voix de ses ministres et de son Président de la République, s’est engagée sur cette question.

Or, alors que les ministres français clament leur souhait d’affecter des « ressources additionnelles » à la solidarité internationale, la taxe française sur les transactions financières n’a pas atteint cet objectif, puisque les financements liés à la taxe n’ont, en France, pas permis de dégager des ressources supplémentaires mais seulement de compenser des coupes budgétaires effectuées par ailleurs.

Il importe donc en passant au niveau européen de surmonter l’échec de la taxe française en la matière : la France et l’Allemagne, lors du sommet franco-allemand du 19 février, devront donc s’engager ensemble à affecter de manière additionnelle une partie des revenus de la taxe européenne sur les transactions financières à la solidarité internationale, la lutte contre le Sida et le changement climatique. Nous espérons que le gouvernement français pourra en convaincre ses partenaires européens, et notamment la Chancelière Angela Merkel.

Mais à quoi serviraient ces engagements si le produit de la TTF européenne se révélait finalement dérisoire ? Or, en même temps qu’il nous promet un usage solidaire pour les fonds récoltés, le gouvernement français continue, selon nos informations, de s’employer en coulisses à rétrécir le plus possible l’assiette de la taxe et donc le volume de ces fonds.

Une illustration se trouve dans le texte même de leur tribune. Les ministres français s’y déclarent, en effet, en accord avec le gouvernement allemand pour « une taxe ambitieuse dont l’assiette aille au-delà des actions et inclue certains produits financiers, notamment dérivés, propices à la spéculation ». Mais cette phrase ambigüe fausse la position allemande et cache, en fait, le bras de fer qui se joue actuellement dans la négociation entre Berlin et Bercy où le ministère des finances français tente à tout prix de sortir de l’assiette de la taxe les produits dérivés et les transactions à haute fréquence.

En face, la position du gouvernement allemand, comme celle de la Commission européenne, n’est pas de se limiter à « certains produits financiers propices à la spéculation » comme le voudrait Paris, mais, comme le stipule l’accord de gouvernement CDU-SPD, d’inclure « tous les instruments financiers, en particulier les actions, obligations, actions de sociétés de financement ainsi que les produits dérivés » (p.46).

De même, la taxe proposée par la Commission Européenne ne vise pas particulièrement telle ou telle catégorie de titre financier mais toute pratique spéculative à haute fréquence. Ces transactions, qui peuvent concerner n’importe quelle catégorie d’actif, et sont effectuées à grande vitesse par des logiciels informatiques, ont proliféré et nourri l’instabilité des marchés sans apporter de service réel à l’économie. Il n’y a donc aucune rationalité à vouloir exclure de la taxe telle ou telle catégorie d’actif au motif qu’elle serait par nature moins spéculative que d’autres ! Inclure l’ensemble des produits dérivés est décisif car ils représentent aujourd’hui plus que deux tiers des transactions financières. N’oublions pas le lourd prix que nos sociétés ont payé et continuent de payer à cause de l’instabilité des marchés financiers !

En septembre 2011, le ministère des finances français et son homologue allemand écrivaient dans une lettre commune à la Commission Européenne que « l’assiette de la taxe devrait être large et couvrir toutes les transactions liées à des instruments financiers tels les actions, obligations, transactions de devises et produits dérivés. »

Nous demandons aujourd’hui que la France tienne ses engagements envers ses partenaires et les citoyens européens. Toute exclusion d’une catégorie d’actifs serait une capitulation devant le lobby des banques et réduirait d’autant les recettes attendues pour la solidarité nationale, européenne et internationale.

Thomas Coutrot (Attac France), Hakima Himmich (Coalition Plus), Luc Lamprière (Oxfam France), Detlev Larcher (Attac Allemagne), Bruno Spire (Aides), Peter Wahl (WEED)