CETA Cheval de Troie pour le TAFTA La propriété intellectuelle appliquée aux semences dans les Traités de Libre Échange

Birgit Müller et Terry Boehm mai 2016

Alors que de plus en plus de voix s’élèvent en Europe contre le TAFTA le traité de libre échange entre l’Union européenne et les États Unies, son petit frère tout aussi redoutable le CETA, (ou en Français Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne passe largement inaperçu. Or si le CETA passe en droit européen, toute entreprise multinationale opérant à partir du Canada (c’est à dire toutes les multinationales qui le souhaitent) peut se servir de ce traité pour faire valoir des droits allant bien au-delà et même contredisant les droits et sauvegardes décidés par les parlements nationaux et européen.
Il faut voir les provisions des traités entre le Canada et l’Union Européenne (signé mais pas encore finalisé dans le détail, ni approuvé par le parlement européen), la Corée et l’Union Européenne (adopté et en vigueur), les États-Unis et l’Union européenne, en négociation) pas seulement comme des traités de libre échange. Ils sont bien plus que ça : ce sont des traités économiques intégraux ou globaux (comprehensive economic and trade agreement) qui incluent des provisions sur les investissements, les marchés publics, la propriété intellectuelle et sur plus de 1500 pages bien plus de choses encore. C’est donc des traités dans l’intérêt des grands investisseurs, des fonds, des multinationales, des banques et — ce qui nous intéressera ici — des grandes firmes semencières.
Les textes de ces traités sont négociés dans le secret et nous avions donc pendant les années accès à leur contenu seulement si un des négociateurs se fait le devoir de faire circuler les versions en négociation. Or aujourd’hui le texte du CETA est prêt pour la signature et se trouve sur le site de la commission européenne. Or, les paragraphes concernant l’imposition des droits de propriété intellectuelle n’ont pas bougés depuis des années.
Les traités entre la Corée et l’Union Européenne, le Canada et l’Union Européenne ont des clauses sur la propriété intellectuelle quasi identiques.
— Ils reprennent les provisions de ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement) en matière d’imposition de la propriété intellectuelle, que le Parlement Européen a rejeté en 2011.
— Ils doivent être analysés dans le contexte de la création en 2012 d’une Cour du Brevet Européenne créée sur la base d’un traité international donc soumis à la juridiction internationale en matière de commerce donc indépendante de la Cour de Justice européenne. Par conséquent, quand le texte du Traité mentionne « l’autorité juridique compétente » qui a le droit d’imposer les mesures pour faire respecter la propriété intellectuelle, il s’agit de cette cour de justice nouvellement créée et sans précédent dans la législation européenne.
— Les traités doivent être également analysés dans le contexte de la brevetabilité des plantes sélectionnées à l’aide des nouvelles biotechnologies. Comme toute plante, ces dernières peuvent se reproduire et porter leur droit de propriété intellectuelle dans le champ de l’agriculteur.
— Ils s’appliquent aux certificats d’obtention végétales (COV art 20.31) dans la mesure où il s’agit d’un droit de propriété intellectuelle et que les article 20 du CETA s’applique à tous les détenteurs d’un droit de propriété intellectuelle selon les droits nationaux (donc UPOV 91 au Canada, et transcriptions nationales de UPOV 91 en Europe) et à tous les droits de propriété intellectuelle mentionnés dans l’ADPIC (Aspects du droit de la propriété intellectuelle liés au commerce, annexe du Traité de Marrakech)
Par ailleurs, nous voyons dans le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) avec le Canada et dans le traité avec la Corée un ensemble de mesures draconiennes obligeant les acteurs économiques à respecter les droits de propriété intellectuelle. Même si la contrefaçon est seulement alléguée, les actifs peuvent être saisis.
En vertu du CETA, et dans le traité avec la Corée, un agriculteur accusé d’être frauduleusement en possession d’une variété végétale protégée ou une variété de semences portant un gène breveté pourrait ainsi voir ses biens saisis et ses comptes bancaires gelés (CETA février 2016 art 20.37.3). L’article CETA 20.35.2 précise :
“ Chaque Partie peut prévoir que les mesures visées au paragraphe 1 comprennent les description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons, ou la saisie physique le présumé marchandises de contrefaçon, et, dans les cas appropriés, des matériels et instruments 165used dans la production ou la distribution de ces produits et les documents relatifs celui-ci. Les autorités judiciaires seront habilitées à prendre ces mesures, si elles nécessaire sans l’autre partie soit entendue, en particulier lorsque tout retard est de nature de causer un préjudice irréparable au détenteur du droit ou lorsqu’il existe un risque démontrable de la destruction de preuves.. »
Cela signifie la chose suivante : sans que l’agriculteur soit nécessairement entendu, les autorités judiciaires compétentes (Cour Européenne des Brevets entre autres) peuvent sur une simple présomption de contrefaçon saisir sa récolte, ses semences, ses machines et sa comptabilité.
Si l’agriculteur est reconnu coupable, sa récolte ou des semences et des outils pour la culture seront détruits (CETA art 20.38.1) à ses frais (CETA art.20.38.2). En outre, des injonctions pourraient être émises (CETA art 20.37) afin de prévenir une infraction. Cela pourrait signifier que si les agriculteurs ont loué les services d’un trieur à façon ou ont nettoyé des semences eux-mêmes, ils pourraient être frappés d’une injonction et pourraient se voir accusés d’être des contrefacteurs potentiels (CETA art 20.37.1,2,3).
Aussi les mesures créent un climat de peur et de suspicion où chacun doit craindre d’être dénoncé comme contrefacteur, comme il apparaît dans l’extrait suivant du paragraphe 20.36 du CETA :
« Ces informations peuvent inclure des informations concernant toute personne impliquée dans tous les aspects de la contrefaçon ou violation alléguée et en ce qui concerne les moyens de production ou les canaux de distribution de la contrefaçon ou prétendument contrefaisant des biens ou des services, y compris la identification des personnes tiers allégué d’être impliqués dans la production et la distribution de ces produits ou services et de leurs canaux de distribution. »
La peur de la justice conduira les gens à se taire et à payer pour les semences commerciales, qu’ils pourraient tout aussi bien et à un prix plus avantageux produire eux-mêmes. Cette législation mettra aussi une pression énorme sur les trieurs à façons qui n’oseront plus proposer leurs services.1
La question essentielle qui se pose pour nous :
Quel est le rapport entre ses traités et l’exception agricole que nous venons d’obtenir dans la législation sur la contrefaçon en France ?
Il semblerait qu’une pluralité juridique est un fait commun dans le droit international. Le droit national et les clauses dans les traités de libre échange peuvent se contredire. Toutefois, en cas de différend, le droit international est susceptible de prévaloir sur le droit national. Par exemple, si Monsanto Canada ou Monsanto Corée veulent faire valoir une contrefaçon contre un brevet sur une semence vendue en France, les clauses sur la propriété intellectuelle du CETA ou du traité avec la Corée peuvent prévaloir. L’exception agricole ne vaudra pas. En outre, même en cas de dénonciation du traité par l’Union européenne ou par le Canada, Monsanto pourrait 20 ans après la date de dénonciation accuser la France d’avoir provoqué un manque à gagner et demander des dédommagements avec intérêts à la France.

De : "Maxime Combes" <maxime.combes@gmail.com>
À : "attac ecologie"
Envoyé : Vendredi 13 Mai 2016 02:34:30
Objet : [ecologie-societe] Fwd : Accord UE-Canada : le CETA nie l’impératif climatique et l’Accord de Paris

Pour info

salut

Le gouvernement prétend que l’accord UE-Canada est un "anti-Tafta" et que c’est un "bon accord". C’est ce qu’il va dire en Conseil des ministres de l’UE ce vendredi 13 mai. Une analyse sérieuse du contenu de l’accord montre pourtant le contraire. Notamment sur le plan de l’urgence climatique, qui est ainsi simplement niée par le Ceta. Sur la base de la note de décryptage des deux chapitres Environnement et développement durable du CETA que j’avais diffusée le 1er mars (voir ici) et du travail d’analyse mené par l’Aitec sur l’ensemble du contenu du texte du Ceta (voir ici, voici un rapide post de blog qui revient sur ce sujet en six points :
1. Le Ceta ne reconnait pas l’urgence climatique ni l’Accord de Paris
2. Droit de l’environnement reconnu mais aucun droit spécifique mentionné
3. L’environnement, un sous-secteur de la libéralisation du commerce
4. Libéralisation du secteur de l’énergie
5. Le Ceta a déjà permis des mesures contraires à l’urgence climatique
6. Aucun dispositif contraignant en matière d’environnement ou de développement durable

Accord UE-Canada : le CETA nie l’impératif climatique et l’Accord de Paris
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/130516/accord-ue-canada-le-ceta-nie-limperatif-climatique-et-laccord-de-paris