En France, les interdictions de manifester se multiplient

Le Conseil constitutionnel examine cette mesure de l’état d’urgence, dont Amnesty International dénonce l’usage massif et abusif dans un rapport publié le 31 mai

LE MONDE | 31.05.2017

C’est l’une des dispositions de la loi sur l’état d’urgence qui n’avait pas encore été évaluée par le Conseil constitutionnel. Mardi 30 mai, ce dernier a examiné en audience ce qui a été assimilé à des « interdictions de manifester ». Précisément, l’article 5-3 du texte de 1955 qui donne pouvoir au préfet « d’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics ». Une décision est attendue le 9 juin.

L’interdiction de séjour a été massivement usitée depuis la mise en place de l’état d’urgence après les attentats qui ont frappé la France en novembre 2015. Mais d’après un rapport d’Amnesty International paru mercredi 31 mai – manifester, « Un droit, pas une menace » –, l’Etat y a eu recours non pas pour prévenir des attaques terroristes mais « pour servir des objectifs plus larges, notamment pour maintenir l’ordre public ». Au total, les préfets ont adopté 683 mesures individuelles d’interdiction de séjour.

Dans l’écrasante majorité des cas (639), il s’agissait « explicitement d’empêcher des personnes à participer à des manifestations », souligne l’ONG (qui a arrêté de compiler des données début mai). De fait, 90 % de ces arrêtés ont été pris lors de la mobilisation contre la loi travail, une période qui fut souvent émaillée d’affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants. Ils ont principalement ciblé des militants de la gauche radicale.

Des interdictions ont également été prises, fin 2015, au moment de la conférence de Paris sur le climat (COP21) – des militants avaient en outre été assignés à résidence – ou lors des opérations de démantèlement de la « jungle » de Calais, fin 2016. La mesure est devenue pratique courante : dix interdictions de paraître ont encore été prises à l’occasion de la manifestation du 1er-Mai à Paris. La durée pendant laquelle la mesure s’applique peut varier de quelques heures à plusieurs semaines, et son périmètre est plus ou moins vaste.

En dehors de l’état d’urgence, les interdictions de manifester ne peuvent être prononcées que par un juge judiciaire dans le cadre d’une peine complémentaire. En matière de police administrative, ce qui s’en rapproche le plus est l’interdiction de stade, décidée par un préfet à l’encontre d’une personne, même si elle n’a jamais été condamnée par la justice, pour prévenir des troubles à l’ordre public.

D’après Le Monde, 31 mai 2017