Le nucléaire

Deux ans après Fukushima, l’impact social de la catastrophe est loin d’avoir été évalué dans son ensemble. Des chercheurs en sciences sociales, rassemblés au sein d’une mission interdisciplinaire du CNRS, se sont penchés sur les conséquences sociopolitiques de Fukushima au Japon et à travers le monde.
Le 7 décembre dernier, à Paris, alors qu’un nouveau séisme frappait le nord-est du Japon, les chercheurs du défi NEEDS (Nucléaire, Energie, Environnement, Déchets et Société) se réunissaient pour un colloque de restitution de leur première année de travaux. Cette mission interdisciplinaire menée au sein du CNRS a consacré de nombreux projets à la catastrophe de Fukushima, avec des thématiques de recherche aussi variées que l’impact de la mobilisation des femmes sur la vie quotidienne des populations, les études sociologiques sur les populations déplacées, l’analyse des décisions politiques globales ou encore l’étude des « tweets » envoyés au fil de la catastrophe sur les réseaux sociaux. Que les sciences sociales apparaissent ainsi dans le secteur gardé du nucléaire est une grande première , ce secteur ayant été laissé jusqu’alors aux techniciens et ingénieurs, qui ne s’attachaient de fait qu’à la sécurité des centrales.

Une analyse politique

Comme l’a rappelé Gabrielle Hecht, professeur d’histoire des techniques à l’université de Michigan (Etats-Unis), « l’analyse de la catastrophe japonaise a une fonction politique ». Et les causes ou particularités retenues pour l’étudier conditionnent aussi les leçons que l’on peut en tirer. Par exemple, expliquer la catastrophe par la situation sismologique particulière du Japon, la restreint au cadre national alors qu’elle a une portée globale. Et elle permet aussi de la rendre d’autant plus improbable en France que nous n’y avons pas de séismes ! Il est bien sûr encore trop tôt pour savoir si toutes les études menées autour de l’impact social du nucléaire au Japon, bénéficieront aux débats prévus en France en 2013 autour de la transition énergétique et de l’enfouissement des déchets nucléaires…Mais toutes ces études posent une question de fond : une catastrophe comme celle de Fukushima peut-elle être un élément déclencheur pour un changement de paradigme énergétique ? L’étude comparée de quelques systèmes politiques européens, un programme, nommé RESPAFE (Retombées sociopolitiques de l’accident de Fukushima à l’échelle européenne), montre que si la catastrophe japonaise a pu amener certains pays à amorcer un virage vers la sortie du nucléaire, elle en a maintenu, voire confortés d’autres dans leurs politiques...
Réacteurs en Turquie, Finlande, Grande-Bretagne...

Ainsi, en Turquie, malgré une opinion publique défavorable et de grandes manifestations, malgré aussi des risques sismiques bien connus, la construction de 20 réacteurs nucléaires d’ici 10 ans a été annoncée par le gouvernement peu après la catastrophe. De même en Finlande, tous les projets en cours (4 réacteurs, un centre de stockage de déchets nucléaire, et l’EPR Olkiluoto 3) ou à venir (2 EPR supplémentaires décidés en 2010) ont été maintenus. L’opinion publique finlandaise, brièvement en baisse après la catastrophe, semble avoir redonné toute sa confiance aux experts. Au Royaume Uni, le grand retour du nucléaire, lancé par Tony Blair en 2006, s’est confirmé avec la construction annoncée de nouveaux réacteurs en 2012. Les analystes de RESPAFE y ont par ailleurs noté la place prépondérante des experts pro nucléaires dans les médias. Expliquant probablement que l’opinion publique britannique soit autant favorable au nucléaire qu’avant Fukushima et ce, dès l’été 2011.
Seuls pays amorçant un virage de sortie : la Belgique, où le gouvernement a décidé dans un premier temps de fermer ses 3 principaux réacteurs ; et l’Allemagne, où la grande mobilisation de l’opinion publique a été suivie de l’annonce gouvernementale d’un moratoire et la Suisse a également décidé d’arrêter 5 de ses réacteurs et de sortir du nucléaire…)

En France, où 58 réacteurs sont en activité, et où 2 EPR sont en cours de construction, le gouvernement a convenu de réduire la production, d’arrêter la centrale de Fessenheim et de lancer le grand débat sur « la transition énergétique ».
Mais la catastrophe de Fukushima est bien loin d’avoir sonné le glas du nucléaire. Bien sûr, en mars 2011, le monde entier fut choqué, les antinucléaires se mobilisèrent, au Japon mais aussi dans le reste du monde. Et si, en septembre 2012, le gouvernement japonais annonçait la fin programmée de tous leurs réacteurs à l’horizon 2040, c’était tout en sachant que la décision avait toutes les chances d’être remise en cause après les élections législatives. Ces dernières, qui se sont déroulé le 16 décembre dernier, viennent d’être remportées sans grande surprise par le PLD (le parti libéral démocrate), la droite conservatrice qui depuis 40 ans contribue au développement du nucléaire au Japon. Et les activités nucléaires devraient y reprendre, comme presque partout ailleurs dans le monde, presque comme avant.
Cet article a été initialement publié le 28/12/2012.

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