FORMATION CLIMAT - LAVAL 24 JANVIER 2009

FORMATION CLIMAT LAVAL 24 JANVIER 2009

Compte rendu par M.Marchand (Attac Nantes, )

La formation « climat », organisée par les comités locaux Attac vent d’ouest s’est déroulée le 24 janvier à Laval. Une trentaine de participants étaient présents, provenant principalement de Laval, Nantes, St Malo et Rennes. La journée s’est déroulée en deux temps, le matin avec Claude Saunier, co-auteur des deux rapports du Sénat, publiés en 2006 et 2007 sur le changement climatique, la transition énergétique et l’érosion de la biodiversité, l’après-midi avec Aurélien Bernier, ancien membre d’Attac et auteur de l’ouvrage « Climat, Otage de la Finance ». Les deux temps de la journée étaient donc articulés autour d’un bilan de situation et ensuite sur les mécanismes financiers spéculatifs mis en œuvre pour lutter contre les dérèglements climatiques.

Matinée avec Claude Saunier.

C’est la réflexion d’un parlementaire qui présente ce qu’il a appelé la convergence de 3 crises (climat, énergie, biodiversité), avec une conviction que la crise environnementale est fondamentale et une crainte que la crise boursière et économique balaie les enjeux de la question environnementale. C’est aussi l’idée que la prise de conscience de la question écologique est faite et que l’on doit passer à présent à la traduction politique pour la résoudre. La « préhistoire » de la question environnementale remonte en fait à très peu d’années, années 60 et 70 avec le rapport du Club de Rome (halte à la croissance, nous vivons dans un monde fini où les ressources naturelles ne sont pas inépuisables) et les avertissements de René Dumont. A présent la question écologique devient une question d’actualité avec, pour ce qui est le plus visible, le Grenelle de l’environnement, la Fondation de Nicolas Hulot. La question environnementale est un fait acquis, problème planétaire majeur qui combine le réchauffement climatique, la transition énergétique et l’érosion de la biodiversité. Cette combinaison de trois chocs constitue une alerte rouge. Le cours de l’Histoire peut s’en trouver modifier selon la nature des décisions qui seront prises.

Climat. L’évolution du changement climatique se caractérise par sa brutalité et sa rapidité. L’ampleur est redoutable à l’échelle d’un siècle, de 1,7 à 4,0 °C. L’origine de ce changement est sans conteste les activités humaines, malgré la poursuite d’écrits qui relèvent du « négationnisme ». Ce changement va conduire à une autre planète par rapport à celle que nous connaissons. Probablement les conséquences d’un tel changement sont sous-estimées, et la crainte d’un effet « cliquet » au-dessus d’un seuil d’élévation de la température moyenne de 2°C doit être pris en considération. Au-delà de ce seuil, on a toutes les raisons de croire à un risque d’emballement du système climatique et non plus à un état d’auto-régulation. Ce risque d’emballement peut se situer à différents niveaux : (i) modification des grands courants océaniques, (ii) modification de la photosynthèse forestière qui dépend de l’humidité, (iii) modification de l’albédo dans les zones arctiques par la disparition progressive des glaciers, (iv) dégagement dans l’atmosphère du méthane, puissant gaz à effet de serre, suite au dégel du permafrost. Les faits attestent de nombreuses inquiétudes, la banquise arctique a rétréci de 46% en 10 ans, les catastrophes climatiques sont six fois plus importantes en 30 ans, passant de 65 en 1970 à près de 400 en 2005. Cette dérégulation climatique violente conduit à des conséquences économiques dramatiques, évaluées à 350 G$[1] en 2005 (1% du PIB mondial), atteignant à l’horizon 2050 la somme de 5 500 G$ (10% du PIB mondial)[2]. Les causes doivent être recherchées dans la nature même de notre civilisation thermo-industrielle, marquée par un consommation excessive d’énergie. Tous les secteurs de la vie économique sont concernés, ainsi que tous les continents (tout en considérant de fortes variabilités).

La question énergétique. La consommation d’énergie ne peut être analysée sans prendre en considération l’évolution démographique de notre monde (1 milliard d’habitants en 1800, 1,5 milliards en 1900, 6 milliards en 2000 et 9 milliards à l’horizon 2050). La consommation d’énergie est très disparate selon les pays. La consommation annuelle par habitant est de 8 tep[3] aux Etats Unis, 4 tep en Europe, elle reste très faible en Chine 0,7 tep et en Inde 0,2 tep. Cette énergie consommée est à 90% d’origine fossile (pétrole, gaz, charbon). La consommation en pétrole est aujourd’hui de 83 millions de barils[4] par jour et les prévisions donnent une consommation de 138 millions de barils par jour en 2030. Cette consommation (demande) doit être confrontée à l’offre qui n’est pas inépuisable, les chiffres avancés sur la présence des ressources fossiles sont de 50 à 60 ans pour le pétrole et le gaz, et de 250 ans pour le charbon[5]. Les éléments dont on dispose montrent que la poursuite d’une telle croissance basée sur une consommation énergétique toujours plus importante conduit à aller droit dans le mur. Les effets en seront redoutables, économiques (prix à la hausse), écologiques (effets sur le climat et la biodiversité), politiques (dépendance, tensions, conflits armés) et sociétaux (inégalités, nouvelles fractures sociales, prix très fort à payer pour les générations futures).

Biodiversité. L’érosion de la biodiversité constitue le 3ème choc. Le mot est récent, il entre dans le domaine public au moment du Sommet de Rio en 1992. Il représente la richesse biologique de la planète. Cette richesse est largement sous-estimée, en attestent de récentes découvertes, soit dans des lieux inconnus (ex. fonds des océans), soit sur des sites connus mais non étudiés (ex. canopée des arbres). En terme d’espèces, on avance le chiffre de 14 millions. La biodiversité n’est pas uniforme, on recense environ 25 grands lieux sensibles (« hotspots »). Les travaux pour suivre l’évolution de la richesse biologique du monde vivant traduisent une érosion accélérée, ce qui suscite une vive inquiétude. Quelques chiffres peuvent situer l’ampleur de cette érosion : 37% en 30 ans dans les milieux continentaux humides, 7% en 50 ans dans l’Atlantique nord, 20% en 30 ans dans les récifs coralliens, 30 à 70 % de l’avifaune en Europe sur 30 ans. Si l’on veut donner un chiffre global, retenons une érosion de la biodiversité de 30% en 30 ans. Les causes sont multiples : causes anthropiques, occupation des espaces. La déforestation en est un exemple, surtout dans les zones tropicales, la surexploitation des ressources de pêche constitue un second exemple très marquant. La fin des pêches océaniques est programmée en 2050 par la FAO si l’on poursuit l’exploitation de la même manière pour les espèces consommées et la pêche minotière (conduisant à la farine de poisson pour alimenter les espèces cultivées en aquaculture). Les fortes pressions d’occupation des espaces représentent une cause très importante de cette érosion de la biodiversité, chaque jour en France 165 hectares d’espaces naturels disparaissent. En 2050, l’humanité aura besoin de doubler ses ressources biologiques. Depuis 1990, l’humanité puise dans les écosystèmes naturels plus que ceux-ci ne sont capables de produire. Que faire devant une telle situation ? Les solutions sont globales et autant locales. A l’échelle internationale, il faut à terme intégrer la biodiversité, comme le coût carbone, dans les règles de l’OMC pour les échanges internationaux. A des échelles nationale ou locale, introduire des outils de fiscalité adaptés et promouvoir le resserrement de l’habitat urbain. L’alimentation en eau potable de la ville de New-York constitue un exemple intéressant (préférence à la protection de bassins versants naturels permettant l’acheminement d’une eau naturellement propre à l’investissement sur des stations de dépollution massives). Il y a tout lieu de craindre les conséquences sur l’utilisation des agro-carburants prônés par l’Union européenne (bilan carbone douteux, perte de diversité biologique par l’extension industrielles de mono-cultures, mise en compétition d’une agriculture au service de l’énergie et non plus au service de l’alimentation, accentuation des inégalités sociales entre exploitations agro-industrielles et agriculture vivrière pour le monde paysan).

Débats. Le débat a été très varié, soit pour approfondir la situation décrite de la question environnementale, soit pour souligner des éléments de réponse à une telle situation. Sur la crise elle-même, des compléments ont été apportés, les craintes sanitaires par le développement d’agents pathogènes, de virus, lié autant au réchauffement climatique qu’aux conséquences d’une modification drastique de la richesse du vivant. Des interrogations sont émises sur les messages a minima du GIEC[6] concernant les conséquences du changement climatique, faisant dire que la réalité est toujours pire que les conclusions du GIEC. Par rapport à la biodiversité, il faudrait mettre en place une structure analogue, un GIEC « biodiversité » capable de faire ce travail d’analyse, de synthèse, d’expertise nécessaire devant les enjeux majeurs exposés précédemment. Il faut, pour certains, poursuivre la réflexion, par exemple évaluer le lien entre la déforestation et notre mode de vie. Il est suggéré également de faire soi-même un bilan carbone, ce qui peut constituer un bon point de départ pour une conscience écologique. Cette suggestion lance le débat entre l’action individuelle et l’action collective, sur lequel le consensus n’existe pas réellement. Il est rappelé le rôle que peuvent jouer les associations pour faire bouger les choses au niveau local. D’une manière très générale, la phase de dénonciation de la crise environnementale a été faite, suffisamment de textes, d’ouvrages, d’émissions dans les médias existent. La question à présent est la traduction politique que l’on peut en faire, sachant qu’il faudra être clair sur plusieurs idées fondamentales, comme la croissance et la décroissance (encore faut-il en définir clairement les termes). La traduction politique amène à s’interroger sur le sens des politiques libérales toujours poursuivies au niveau de l’Union européenne et les conséquences environnementales qu’elles entraînent. La même interrogation subsiste au niveau national, comment concilier la préservation de l’environnement dans une politique des territoires basée sur la compétitivité. La disparition de la DATAR indique qu’il n’existe plus une politique d’aménagement du territoire. La réflexion politique montre bien le lien étroit entre société et nature, entre social et environnement.

après-midi avec AURELIEN BERNIER.

L’après-midi a été l’occasion de donner la parole à un militant qui s’est interrogé sur l’un des fondamentaux d’ATTAC, comment la spéculation financière s’est emparée de la question environnementale.

Rapports entre l’économie et l’environnement. Trois périodes essentielles peuvent être dégagées depuis la révolution industrielle. Si l’école des physiocrates au 17ème siècle place la nature, la préservation des ressources naturelles, au sein de la théorie économique sous la forme de cercles concentriques (natureà société à économie), l’économie néo-classique balaie toute préoccupation environnementale, considérant les ressources naturelles comme illimitées. Le marxisme fera de même. Une seconde période intervient au début des années 1970, marquées par les interrogations du club de Rome à la fin des années 60 (« halte à la croissance »), et la tenue de la première conférence mondiale sur l’environnement à Stockholm en 1972. Les Nations Unies veulent travailler alors sur la base d’un nouveau concept, celui de l’éco-développement. Ce concept est condamné par les Etats-Unis (H. Kissinger) qui lui substitue celui qui va devenir le développement durable, développement basé sur la technoscience et la responsabilité individuelle des entreprises[7]. Les 3 cercles traduisant l’économie, le social et l’environnement dont la partie commune symbolise le développement durable, ne présentent aucune hiérarchie. Cette phase, construite à grand renfort de plaidoyer médiatique, n’a abouti qu’à « verdir » les activités des entreprises et à organiser et structurer de puissants lobbies industriels. On ne peut que penser à la réflexion du « Guépard [8] » face à la transformation de la société sicilienne au moment de l’indépendance italienne : « tout doit changer pour que rien ne change ». Le mot d’ordre des lobbies est simple : pas de réglementation, pas de taxes environnementales. Ces mots d’ordre trouvent leur consécration avec la mise en œuvre des politiques néo-libérales à la fin des années 1970 en Grande Bretagne avec M. Thatcher (TINA = « there is no alternative ») et au début des années 1980 aux Etats-Unis avec R. Reagan (« l’Etat n’est pas la solution, c’est le problème »). L’Union européenne emboîte le pas des politiques néo-libérales avec l’adoption de l’Acte Unique en 1985, la présentation d’un traité constitutionnel pour l’Europe (TCE) en 2005 et aujourd’hui le traité de Lisbonne. Durant cette période, 20 ans, on peut observer un infléchissement de tous les indicateurs environnementaux. Non seulement, les problèmes environnementaux ne sont pas résolus, mais ils s’aggravent et le point d’orgue, pourrait-on dire, est la menace d’un grave dérèglement climatique (rapport du GIEC en 2001). La troisième période, commence à partir des années 2000, celle qu’Aurélien Bernier intitule l’écolo-libéralisme, celle qui prône la mise en œuvre de la « croissance verte » (on peut tirer de nouveaux profits, non plus en polluant, mais en dépolluant) et financiarise la crise environnementale avec la mise en œuvre du Protocole de Kyoto.

Sur quelle théorie économique s’appuyer ? L’économie de l’environnement est la gestion des externalités qui peuvent être positives (ex. les abeilles d’un apiculteur qui butinent rend ainsi un service aux agriculteurs par la pollinisation des plantes) ou négatives (ex ; la dépollution d’un cours d’eau est à la charge de la collectivité). Cette gestion des externalités (essentiellement négatives) est théorisée par Cecil Pigou (économiste anglais) dans les années 1920 en proposant l’instauration de taxes, ce qui nécessite l’intervention de l’Etat (il prend comme exemple les effets des escarbilles des locomotives à vapeur qui peuvent déclencher des incendies dans les champs et forêts à proximité des voies ferrées : la compagnie des chemins de fer paie une taxe à la hauteur des effets négatifs sur l’environnement voisin, pouvant induire une politique de prévention du rejet des escarbilles à l’extérieur des locomotives). Quarante ans plus tard, un autre économiste anglais Donald Coase démolit la thèse de Pigou, estimant que le système n’est pas efficace, du fait de l’intervention de l’Etat. Il est en effet préférable d’affirmer un droit à l’environnement (celui de ne pas brûler les champs et les forêts sous l’effet des escarbilles), mais de laisser les parties prenantes (chemin de fer et propriétaires riverains) s’engager dans une négociation qui aboutira à déterminer un coût minimum des atteintes à l’environnement. Cette approche met en place un marché des droits sur l’environnement. Donald Coase est ainsi en quelque sorte le père fondateur du marché des droits à polluer.

Mise en place du marché des droits à polluer. Le système se met réellement en place aux Etats-Unis avec la mise en œuvre (d’une manière moins contraignante par rapport au texte initial) de la loi sur la qualité de l’air (Air Pollution Act), en instaurant un marché national des émissions de dioxyde de soufre (SO2). Il est versé à deux industriels A et B des allocations de droits d’émissions correspondant aux objectifs à atteindre. Si A investit et réduit ses émissions, il a possibilité de revendre ses droits à l’usine B qui a dépassé son quota. Au final, les deux usines adoptent des stratégies différentes, mais l’objectif global (performance de A+B) est atteint. Fort de cette expérience, une nouvelle fois les Etats-Unis impose leur manière de faire au moment de la négociation du Protocole de Kyoto[9] en 1997, dont l’objectif est de lutter contre le dérèglement climatique, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre (CO2). Le Protocole de Kyoto est intéressant à considérer à deux titres, son objectif totalement insuffisant par rapport aux enjeux réels, la financiarisation de sa mise en œuvre.
L’objectif est largement insuffisant. Le GIEC demande de réduire d’un facteur 2 les émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’horizon 2050 pour éviter un dérèglement climatique majeur. Kyoto affiche comme objectif une diminution de 5,2% pour 2012 (par rapport aux émissions de l’année 1990 considérée comme référence). En fait, pour les pays signataires du protocole (qui s’applique à partir de 2008), l’engagement de réduction est déjà atteint dans la décennie des années 1990, avec l’effondrement des économies (souvent très polluantes) des pays de l’Europe de l’Est[10]. En réalité, Kyoto vise, au mieux, à stabiliser les émissions de GES (ce qui n’est même pas le cas comme cela est montré par la suite).
La mise en œuvre du Protocole (pour le faible objectif qui lui est assigné) est basée sur deux mécanismes distincts : le marché des droits à polluer et la mise en place de développement propre. Les deux mécanismes sont distincts mais concourent au même objectif. Le marché des droits à polluer se met à place sur la base des permis d’émissions globales attribués à chaque Etat. Celui-ci distribue ces droits d’émission aux grandes entreprises polluantes (ciment, chimie, sidérurgie, production d’énergie,…), que l’on traduit par un plan national d’allocation des quotas (PNAQ). Ces allocations de quotas sont gratuites (ceci instaure d’une certaine manière un droit de polluer). Ce sont des titres interchangeables (comme on l’a vu précédemment). Se crée ainsi un marché et un système de bourse « carbone » et cette logique comptable est intégrée dans le bilan des entreprises. Le second mécanisme est celui du développement propre (MDP). Il concerne notamment et surtout (parce que le plus juteux) des investissements dans les pays non concernés par le Protocole de Kyoto (pays émergents comme la Chine, l’Inde, la Corée, le Brésil, et pays en développement) pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cette politique d’investissement hors du champ direct des pays concernés par le Protocole de Kyoto, permet aux entreprises de bénéficier de crédits carbone. L’entreprise peut utiliser ces crédits carbone pour sa propre utilisation (elle peut donc continuer à polluer) ou les revendre (on entre cette fois dans la spéculation financière). Par les deux procédés PNAQ (droits d’émissions gratuits) et MDP (crédits carbone suite à des investissements dans des pays tiers), la mise en place d’une bourse carbone (négociation des titres) aboutit à donner une valeur à la tonne de carbone. L’Union européenne a créé son propre marché carbone en 2005 (pour une mise en jambe du Protocole de Kyoto qui débute en 2008). Le prix de la tonne de carbone se négocie au départ autour de 20 à 25 €. En 2006, on réalise que les allocations gratuites, attribuées par les Etats (PNAQ), ont été trop généreuses, la demande s’effondre, le prix également et la tonne de carbone finit fin 2007 à 0,02 €, le prix de la transaction. Le prix de l’environnement est devenu égal à zéro !! Malgré tout, le système est mis en place, on spécule sur la hausse de la tonne de carbone (diminution probable des droits d’émissions des PNAQ), l’investissement MDP est très intéressant dans les pays émergents[11] (la réduction d’une tonne de carbone correspond à un investissement d’environ 3 € en Chine, alors qu’il est de 80 € en Europe). Le système se consolide, la Banque mondiale crée le premier fond de pension « carbone » (investissement de 2 milliards €). D’autres fonds apparaissent, visant à spéculer sur la bourse carbone. Quel résultat dans ce contexte de financiarisation de l’environnement : les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté de 35% en 10 ans (1997 – 2007).

Une situation inextricable mais aussi des solutions possibles. Aujourd’hui, les pays riches n’arrivent pas à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, les produits fabriqués dans les pays du Sud, mais consommés dans les pays du Nord pèsent 20% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. On ne peut que constater l’impuissance à sortir d’un tel système. Ceci est largement du à la prise du pouvoir des multinationales grâce au libre échange international. Les solutions possibles ne peuvent passer que par la rupture avec le libre échange intégral, la remise en place de barrières tarifaires, la nécessité de réintroduire le coût des externalités. Au niveau national, un grand nombre d’outils existent et peuvent être mis en place (fiscalité environnementale, taxation, conditions d’attribution des marchés publics (15% du PIB), conditionnement des aides publiques aux entreprises. La mise en question des politiques de l’Union européenne ne doit plus être une question taboue.

Débats. La longueur des débats a clairement montré que la question environnementale n’est plus une question écologique, elle est transverse à toute politique et touche aux domaines économique et social. Plusieurs questions ont été débattues : la traduction politique de la question environnementale, le rôle de l’Etat, la question européenne, les effets de la crise financière, le problème de la démocratie, la question des échanges commerciaux et le protectionnisme, les problèmes de souveraineté alimentaire, les mécanismes des droits échangeables à polluer sur nos comportements individuels. Tout cet ensemble a donné lieu à des échanges variés, suscitant des points d’accord et de désaccord.

Rôle de l’Etat : on ne peut que constater l’impuissance (ou la complicité) de l’Etat vis-à-vis des multinationales qui dictent les règles du jeu actuel. Si l’Etat a pour vocation d’incarner le bien commun, il a perdu la main.

Crise financière : la violence prévisible de la crise financière et économique va modifier la situation actuelle et risque fort de perturber les institutions de l’Union européenne. Tout est possible. Sur la question environnementale du climat, la Conférence de Poznan qui vise à préparer le post-Kyoto (Conférence de Copenhague, fin 2009) n’a rien donné. Le seul élément tangible pour les mois à venir va dépendre des décisions qui seront prises aux Etats-Unis avec la nouvelle administration américaine.

Rôle de l’Union européenne : cette question est prépondérante. Le paquet « climat - énergie » voté en décembre 2008 pour lutter contre le réchauffement climatique, symbolisé par le 3 x 20[12], est déjà mis à mal par la crise financière et économique (l’environnement redevient secondaire, A. Merkel affirme que rien ne sera accepté qui pénaliserait l’économie allemande, déclarations similaires en Italie et dans les pays de l’Est). Mais le paquet « climat – énergie » ne remet en aucune façon en cause la financiarisation du système (marché carbone) et suscite des craintes sur le développement des agrocarburants (conséquences sur la crise et la souveraineté alimentaire des pays du Sud). Le paquet « climat – énergie » reste fondamentalement une déclaration d’intentions, sans contraintes. Les quotas d’émission, envisagés payants initialement, continueront à être gratuits pour les activités hautement concurrentielles. Les seuls quotas payants concerneront les producteurs d’électricité, sommes qui seront réintroduites dans la facture des usagers. La politique environnementale de l’Union européenne pose question. Toutefois, la question du maintien ou de la sortie de l’Union européenne ne fait pas consensus, surtout par les temps qui appellent à un non isolement. Mais cette interrogation sur la sortie de l’Union européenne représente pour d’autres une pensée audacieuse et forte. L’Union européenne a été construite pour que la souveraineté populaire ne puisse s’exprimer. La question de la démocratie est également posée dans les institutions actuelles.

Le commerce international : le discours néo-libéral attribue la dégradation de l’environnement à la pauvreté qui doit être combattue par le développement du commerce. Les règles du libre échange de l’OMC ignorent la question environnementale (hors de son champ de compétence). Par rapport à une logique purement marchande du monde, il existe des biens publics mondiaux qu’il convient de préserver. L’accès aux droits fondamentaux (habitat, eau, santé, éducation) doit être réaffirmé et par rapport à ceux-ci, il n’y a rien à attendre de l’OMC qui ne traite que du commerce. Il est probablement nécessaire d’envisager un retour à un certain protectionnisme et les peuples sont parfaitement capables d’en comprendre les enjeux.

La souveraineté alimentaire : la question agricole, la crise alimentaire, la souveraineté alimentaire sont étroitement liés à la façon dont la question environnementale est traitée : conséquences du dérèglement climatique, spéculation sur l’occupation des espaces, développement des mono-cultures intensives pour la production des agrocarburants. Le compte-rendu de la délégation Via Campesina[13] à la conférence de Poznan apporte un éclairage. Parmi les sujets discutés, la forêt est incluse dans les mécanismes de commerce du carbone. Ceci signifie que les pays du nord ont la possibilité d’acheter des droits à émettre du carbone en donnant de l’argent à des projets de reforestation. En d’autres termes, des entreprises vont prendre un pouvoir de contrôle sur les forêts dans les pays du sud pour vendre des crédits carbone vers les pays développés du nord. Les plantations d’arbres sont considérées comme des forêts et les droits des populations sur les territoires de forêts ne sont pas reconnus (malgré la protestation des représentants indigènes). Ce mécanisme mène dores et déjà à des expropriations et conduit à une spéculation énorme sur les forêts. De manière analogue, la banque mondiale demande que les terres agricoles soient également incluses dans le mécanisme de commerce du carbone. Cela peut tout autant mener à des expropriations massives de terres, ce qui est très inquiétant pour les paysans dans le monde entier. Des entreprises proposent déjà de l’argent aux ONG pour soutenir ce mécanisme, en prétendant que les paysans pourront profiter de la vente des crédits carbone. Tous ces mécanismes de commerce du carbone discutés à Poznan signifient que les pays industrialisés vont pouvoir continuer comme avant. Le marché du carbone ouvre un énorme nouveau marché pour l’investissement et le monde des affaires considère que l’économie verte soutenue par les crédits carbone pourrait relancer l’économie et le « développement » dans le cadre néo-libéral actuel.

Conséquences sur nos comportements individuels : la question de la financiarisation des droits à émissions des gaz à effet de serre pour les collectivités (universités, hôpitaux), les transports et nos comportements individuels (droits à polluer) a de quoi inquiéter. Cette approche, en droit fil de la logique des mécanismes d’échanges et d’achats des droits à polluer, a déjà fait l’objet d’un débat au parlement britannique et constitue une formidable machine à inégalités.

Traduction politique : il faut à présent politiser la question de l’environnement, dont la crise actuelle n’est qu’une des facettes de l’ensemble des crises qui secoue la planète : financière, économique, sociale, alimentaire. Le front écologique qui s’est constitué en vue des élections européennes, noie la réflexion politique par une alliance du centre droit au courant altermondialiste. La majorité du mouvement des Verts soutien le processus du marché des droits à polluer, par rapport aux taxes. Ce front risque d’être très inefficace par rapport à la gravité de la question environnementale. Les libéraux ont réussi à faire croire que la crise écologique n’était pas liée au libéralisme . En réalité, il faut lier la crise écologique avec le libéralisme et exiger des décisions politiques. La question politique centrale est probablement la sortie du capitalisme pour sauver la planète comme l’indique le dernier ouvrage de H. Kempf. La « croissance verte » constitue un leurre du système actuel. On ne parle plus guère d’économie d’énergie. La tendance n’est pas générale, le parti de gauche (PG) intègre par exemple le scénario « négawatt » dans son programme. En tout état, aujourd’hui, il n’est plus possible de dissocier l’écologie de la question politique.

Informations complémentaires. Le Président bolivien, Evo Morales, souhaite organiser en Bolivie (février ou mars 2009) une réunion internationale avec des mouvements sociaux sur le changement climatique. Le réseau « Climate Justice Now » (CJN) a été créé à la Conférence de Bali sur le climat en décembre 2007, à l’initiative notamment de Via Campesina, 160 organisations sont signataires de sa déclaration de principe. Si les membres de CJN sont d’accord pour dire que Kyoto est un échec et que ce qui est en négociation est insuffisant pour arrêter le dérèglement climatique, l’unanimité n’est pas faite pour dénoncer le commerce du carbone.

Commentaire personnel : un regret, cette journée n’a pas été l’occasion de traduire une action militante Attac, à l’occasion des enjeux des futures élections européennes.

[1] G$ = milliard de dollar

[2] rapport Stern

[3] tep = tonne équivalent pétrole

[4] baril = 137 litres de pétrole

[5] de tels chiffres doivent être pris avec la prudence qu’il convient, l’importance des réserves de pétrole sont à considérer également en fonction du prix que l’on est prêt à payer pour continuer à avoir cette énergie fossile (exemple schistes bitumineux de l’Amérique du nord).

[6] GIEC = groupe d’experts intergouvernementale sur l’évolution du climat (ce groupe représente environ 2000 experts).

[7] Il est intéressant de faire le parallèle entre cette attitude des Etats-Unis dans les années 1970, avec le même refus de ratifier la Charte de La Havane en 1948 qui prônait l’institution d’une Organisation internationale du commerce, basée sur une politique de coopération et non de concurrence et de libre échange. , aboutissant à ce que nous connaissons, l’organisation mondial du commerce (OMC) à laquelle s’est ralliée l’Union européenne.

[8] Référence au livre de Lampedusa ou au film de Visconti avec Burt Lancaster, Alain Delon et Claudia Cardinale.

[9] Au tout début la Commission européenne défendait une position basée sur des taxes (application en quelque sorte de la théorie de Pigou). La délégation américaine, conduite par Al Gore (vice président des Etats-Unis à l’époque de Clinton, candidat ensuite malheureux au moment de l’élection de G.W. Bush, et auteur à succès du film « La Vérité qui dérange », ce qui lui vaudra d’obtenir le Prix Nobel de la Paix !!) imposait une nouvelle fois une position unilatérale des Etats-Unis dans le cadre d’une négociation internationale, et cei avec le soutien des grands lobbies industriels (une nouvelle fois, les Etats-Unis impose leur vision unilatérale des affaires du monde (rappel des notes précédentes sur la Charte de La Havane pour le commerce international, ou l’instauration du concept du développement durable à la place de celui de l’éco-développement).

[10] Les objectifs de Kyoto s’adressent aux pays qui ont ratifié le Protocole (hors Etats-Unis et Australie) et qui sont soumis à l’objectif chiffré (-5,2%). Ces pays ne représentent que 40% des émissions mondiales de CO2. L’objectif réel de diminution des gaz à effet de serre est donc ramené à 2,08% des rejets mondiaux. Sachant que les émissions de CO2 , pour les pays concernés du Protocole avaient déjà chuté d’environ 4,8% durant la phase de négociation du Protocole (1990-1997), l’effort de réduction demandé n’est plus que de 0,4%, sur une cible représentant 40% des émissions mondiales. L’effort de réduction demandé sur la période de mise en œuvre du Protocole (2008-2012) ne sera donc que de – 0,16%.

[11] Les investissements (MDP) pour un développement propre se font essentiellement dans les pays émergents, les pays africains (notamment au sud du Sahel) ne bénéficie de quasiment aucun investissement, ce qui montre bien un processus purement spéculatif du MDP et non l’objectif officiellement avancé (aide au développement).

[12] 20% de diminution des émissions de gaz à effets de serre, 20% de diminution de la consommation énergétique, 20% d’énergie renouvelables, avec 10% d’agrocarburants

[13] Ce rapport a été communiqué par Albert Ody (Confédération paysanne, Attac Laval), le jour de la formation.

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