Historique : la Suisse rogne son secret bancaire

Historique : la Suisse rogne son secret bancaire

secret bancaire | Face à la pression la Suisse supprime la distinction entre fraude et évasion fiscale. Celle-ci ne sera plus à l’abri. Le secret bancaire est-il enterré ? Non, il survivra pour ceux qui ne sont pas visés par de légitimes soupçons. Les capitales étrangères saluent ce virage et la Suisse est moins isolée. Mais des menaces planent encore.

XAVIER ALONSO, ROMAIN CLIVAZ ET PHILIPPE RODRIK | 14.03.2009 | 00:03

Peur de la liste noire ? « Oui », a répondu laconiquement Hans-Rudolf Merz. La Suisse figurait bien sur le projet de liste noire des paradis fiscaux. De quoi pousser le Conseil fédéral à reprendre, hier, les standards de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière d’assistance administrative fiscale. En clair : la Suisse transmettra aux fiscs étrangers les informations sur leurs contribuables soupçonnés de fraude fiscale. Le virage est historique. Et nécessaire.

Les mauvais élèves qui figureront sur la liste noire des « paradis fiscaux » de l’OCDE s’exposent à des sanctions économiques du G20 (soit les principales puissances économiques), qui se réunira le 2 avril à Londres. Hans-Rudolf Merz, aujourd’hui dans la capitale britannique pour une rencontre informelle du Fonds monétaire internationale (FMI), informera ses homologues du changement de pratique. Après Andorre, le Luxembourg, la Belgique et le Liechtenstein, la Suisse a cédé.

 ?MORT DU SECRET ?

Berne est prêt à abandonner la distinction entre fraude et évasion fiscale vis-à-vis de tous les pays qui le souhaitent, a confirmé Hans-Rudolf Merz. Une véritable révolution. Jusqu’ici, en Suisse, omettre de déclarer au fisc une partie de sa fortune ou de ses revenus est une évasion fiscale, une simple infraction administrative. La fraude fiscale suppose, elle, l’usage de faux ou encore une tromperie et relève du droit pénal. Seul ce cas fait l’objet d’une transmission d’informations aux autorités étrangères, car l’acte doit être punissable dans les deux Etats. En décidant de reprendre les standards de l’OCDE, cette distinction disparaît, et les échanges de renseignements seront facilités. Le secret bancaire est-il pour autant mort ? « Non, il est préservé pour les contribuables résidant en Suisse », a insisté Hans-Rudolf Merz, qui a rappelé l’opposition du Conseil fédéral à l’échange automatique d’informations.

 ?QUE NÉGOCIE-T-ON ? ?

La Suisse a conclu à ce jour plus de 70 accords de double imposition. Avec les Etats-Unis, les pays de l’UE ainsi que d’autres Etats (Russie, Chine, etc.). Le but de ces accords ? Eviter qu’une personne qui a des revenus dans deux pays soit doublement imposée. Une disposition des accords définit les critères de l’entraide administrative en cas de fraude fiscale. Or la Suisse distinguait donc évasion et fraude, ne donnant des informations que dans le dernier cas. Les critères de l’entraide administrative sont ainsi à renégocier. Mais les demandes d’informations seront traitées au cas par cas, a souligné Merz : « Pas de procédure de masse comme pour les 52 ?000 noms, clients d’UBS, exigés récemment par Washington. Le pays étranger devra fournir le nom du client, celui de la banque où l’argent est déposé et les circonstances qui étayent le soupçon de fraude. Des informations difficiles à réunir. »
En clair, la Suisse collaborera davantage, mais n’entend pas transformer sa place financière en self-service pour les fiscs étrangers.

 ?QUEL CHOIX AVAIT BERNE ? ?

Hans-Rudolf Merz a balayé la critique de l’attentisme. « Mais qu’auriez-vous dit, si en décembre déjà, alors que les Etats-Unis nous mettaient sous pression, nous avions répondu en assouplissant le secret bancaire. Avant de négocier et faire des propositions, il faut connaître les exigences. »

Le président de la Confédération a évoqué une décision prise « pour le bien de notre pays », à lire « dans un développement dynamique international pour améliorer la situation économique. » En clair, la crise économique actuelle motive les Etats à vouloir récupérer un maximum de cet argent devenu si rare. Pourtant de nombreuses voix à Berne, dans le milieu diplomatique, disent que la sonnette d’alarme avait été tirée depuis des mois. La Suisse pouvait-elle échapper à cette lame de fond ? Non, répond Hans-Rudolf Merz, qui se considère « comme le sauveur du secret bancaire ».

 ?UNE SAGE DÉCISION ? ?

Les partis politiques accueillent sans enthousiasme la décision du Conseil fédéral. Le PS salue « un signe capital à l’intention des nombreux pays qui, à juste titre, critiquent les critères suisses à l’égard de l’évasion fiscale ». Le Parti libéral-radical regrette que « les grands pays placent la force au-dessus du droit » et n’acceptera ces nouveaux accords que sous de strictes conditions. Le PDC juge que la décision du gouvernement est un « moindre mal », mais attend que toutes les places financières soient régies par les mêmes règles. L’UDC hausse le ton : « Le Conseil fédéral a cédé à un chantage grossier et accepté de compromettre des milliers d’emplois dans le secteur financier. » L’UDC combattra la modification des accords de double imposition.

L’Association suisse des banquiers (ASB) exprime sa satisfaction : « L’entraide administrative restera toujours soumise à des conditions claires et strictes. Le secret professionnel du banquier suisse demeure donc garanti pour les clients étrangers n’ayant rien à se reprocher. » L’ASB souhaite désormais que les critiques ou les menaces cessent et exige une égalité de traitement entre les places financières.
Le premier secrétaire du Groupement des banquiers privés genevois, Edouard Cuendet, se montre tout aussi nuancé : « Les mesures annoncées par Hans-Rudolf Merz s’avèrent décevantes dans le sens où nous avons dû les accepter sous la pression. Elles se révèlent néanmoins satisfaisantes, car le cadre fixé pour les négociations reste strict. »

« Le secret bancaire sera maintenu »

Grégoire Bordier (photo Jean-Paul Maeder/2000), associé de la Banque Bordier & Cie, se prépare déjà à la négociation d’un nouvel accord bilatéral sur la fiscalité de l’épargne avec l’Union européenne.

Les mesures annoncées par le Conseil fédéral vous paraissent-elles satisfaisantes ou décevantes ?

Je soutiens ces mesures dans le contexte actuel. Cette déclaration d’intention de négocier chaque convention de double imposition avec chaque partenaire prévoit certes un échange d’informations à la demande, dans certains cas d’évasion fiscale. Mais cela s’inscrit dans un cadre encore à définir. Nous devons donc rester une place financière toujours aussi compétitive vis-à-vis de nos concurrents, y compris les Etats-Unis, Londres, Singapour, Hongkong et d’autres places financières elles aussi critiquées récemment par le G20. Il s’agit d’assurer une égalité de traitement.

Ne peut-on rien entreprendre en Suisse même ?

De notre côté, il sera important de mener une réflexion interne pour renforcer notre place financière. Notamment à propos du droit de timbre et de la manière de rendre la gestion de fonds alternatifs fiscalement plus attrayante. Nous devrons aussi nous préparer à négocier durement le nouvel accord bilatéral sur la fiscalité de l’épargne avec l’Union européenne.

Le risque de voir la Suisse figurer sur la liste noire des paradis fiscaux de l’OCDE vous inquiète-t-il ?

Nullement. J’estime ne pas avoir à m’inquiéter de figurer sur une liste noire tant qu’y sont mentionnés tous les pays pratiquant un secret bancaire similaire à celui de la Suisse. Il s’agit par exemple de l’Etat américain du Delaware, des trusts pratiqués en Grande-Bretagne et de plusieurs autres Etats membres de l’Union européenne.

Un éventuel scrutin populaire sur un assouplissement du secret bancaire constitue-t-il un atout ou une menace ?

Le secret bancaire est soutenu par 80% de la population suisse. Cet élément fondamental du droit et de la culture helvétiques sera donc maintenu.

Philippe Rodrik

Voir en ligne : La Tribune de Genève

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