Mort de Steve Maia Caniço : un témoin et le téléphone au cœur de l’enquête Les dernières zones d’ombre autour de la mort du jeune homme, noyé dans la Loire un soir de Fête de la musique, pourraient se trouver dans son téléphone, que les enquêteurs tentent de « faire parler ».

Y a-t-il un moyen de lever les dernières zones d’ombre qui entourent la mort de Steve Maia Caniço, animateur périscolaire de 24 ans ayant péri dans la Loire, à Nantes, lors de l’édition 2019 de la Fête de la musique ? Est­il possible de savoir où le jeune homme se trouvait lorsque les policiers ont dispersé, samedi 22 juin 2019, peu après 4 heures du matin, la soirée techno qui se jouait quai Wilson,
site dépourvu de la moindre barrière de sécurité ? A ces deux questions, le juge rennais David Bénichou, en charge d’instruire l’information judiciaire ouverte contre X pour homicide involon­taire, espère pouvoir apporter une réponse affirmative.
Le magistrat a diligenté des expertises techniques, dont les conclusions sont attendues avant la fin du mois. En l’occurrence, il s’agit de « faire parler » le téléphone portable du défunt. « L’objectif, c’est d’obtenir une géolocalisation précise de Steve au moment du drame, précise sa sœur, Johanna Maia Caniço. S’il est établi qu’au moment des tirs de gre­nades lacrymogènes, mon frère se trouvait tout près du fleuve, alors il sera difficile de contester l’exis­tence d’un lien de causalité entre
l’intervention des forces de l’ordre et la chute qui a entraîné sa mort. »
« Quelqu’un se noie ! »
Neuf « sound systems » étaient encore en place le long du quai quand une vingtaine de policiers sont venus, cette nuit­là, signifier qu’il était l’heure de couper le son. Les DJ ont commencé à démonter les murs de son. Vers 4 h 25, le collectif Lunatek a fait résonner un hymne antifa. Le climat s’est aussitôt embrasé. Les policiers affirment avoir essuyé un tombereau d’injures et des jets de projectiles. En retour, ils « ont fait usage de trente­trois grenades lacrymogènes, de dix grenades de désencerclement et de douze tirs de lanceur de balle de défense », ainsi que le détaille le rapport de l’inspection générale de l’admi­nistration (IGA) remis à Christo­phe Castaner, en septembre 2019.
La riposte a semé confusion et panique. Aveuglés et perdus, au moins sept participants à la fête ont chuté dans la Loire. Le corps de Steve Maia Caniço, qui ne savait pas nager, a été retrouvé le 29 juillet. Une heure avant l’arrivée des policiers sur zone, le jeune homme avait prévenu ses amis qu’il allait se reposer sur le quai.
« Les proches de Steve Maia Caniço considèrent qu’a minima la police a violé une obligation de sécurité en faisant usage de grenades lacrymogènes en grand nombre dans la nuit, en bordure d’un fleuve et d’un quai non protégé, et en dehors d’une opération de maintien de l’ordre », énonce Cécile de Oliveira, avocate de la famille.
L’expertise menée sur le téléphone pourrait étayer un témoignage­clé : celui d’Alexis B., intérimaire de 23 ans, hanté par le dénouement tragique de la fête. « A aucun moment de la soirée, je ne me suis approché du bord de Loire, sauf de manière involontaire lorsque j’ai couru à l’aveugle après avoir respiré du gaz lacrymogène, et donc juste avant ma chute dans la Loire », a­t­il fait valoir aux enquêteurs le 4 juillet 2019. Le jeune homme soutient n’avoir vu « aucun policier, ni gyrophare » quand son groupe d’amis a subitement été pris « dans un nuage de lacrymogène ».
Parvenu à s’accrocher à une alvéole du quai après être tombé dans l’eau, l’homme révèle avoir porté secours à une silhouette masculine « se débattant, en agitant les bras ». Il a attrapé le malheureux par son pull, mais ce dernier, du fait de ses mouvements, a commencé à le « tirer vers le fond » et il a dû se résoudre à le lâcher. La silhouette est alors « partie en dérivant » tandis qu’il a hurlé : « Quelqu’un se noie ! »
« Manque de discernement »
Alexis B. certifie ne pas avoir identifié la silhouette en détresse parmi les rescapés secourus. Des déclarations confirmées par un membre de la Sécurité nautique Atlantique, mandatée par la ville de Nantes pour patrouiller sur la Loire jusqu’à 8 heures du matin : « D’emblée, on a reçu le signalement d’une personne ayant coulé. Des gens tentaient d’éclairer l’eau avec leurs téléphones, mais on n’y voyait rien. »
Depuis la fin du mois de mars, M. Bénichou instruit deux autres informations judiciaires relatives à l’opération policière menée quai Wilson : l’une concerne les plaintes déposées par 89 participants à la fête ; l’autre a trait à des violences sur les policiers. Aucune mise en examen n’est pour l’heure notifiée dans le cadre des différentes enquêtes.
L’IGA a pointé « un manque de discernement dans la conduite de l’intervention de police » menée par le ommissaire Grégoire Chassaing. Et ce, d’autant que la mairie de Nantes et la préfecture assurent ne pas avoir fixé d’horaire limite de fête. M. Chassaing a fait l’objet d’une procédure de mutation – mais il n’a été visé par aucune sanction – dans l’intérêt du service et il est désormais affecté à un poste d’auditeur, dépendant de la direction centrale de la sécurité publique.
Sollicités, le ministère de l’intérieur et la direction départementale de la sécurité publique de Loire­Atlantique se refusent à tout commentaire sur l’affaire. Des proches de Steve Maia Caniço annoncent un rassemblement pacifique devant la préfecture de Nantes, dimanche 21 juin.
yan gauchard

Voir en ligne : L’article original du Monde

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