Pour une écologie sociale et politique, par Geneviève Azam (printemps 2007) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°41 (printemps 2007)

L’accélération et l’approfondissement de la crise écologique, son impact sur les sociétés, engagent notre responsabilité politique comme mouvement d’éducation populaire. La reconnaissance du caractère largement anthropique du dérèglement climatique est à cet égard un point d’appui essentiel. Ce que l’action des humains, pris dans des rapports sociaux particuliers et souvent portés par des espoirs d’émancipation fondés sur la possibilité d’accroissement infini des richesses matérielles, a pu provoquer, l’action des humains doit aussi pouvoir le défaire...

Cela suppose de définir un nouveau champ d’émancipation humaine qui ne saurait se réaliser contre ou au mépris de la nature, mais qui ferait sienne l’idée de limites à l’expansion infinie des richesses matérielles. Ces limites ne sont pas des limites naturelles imposées par la rareté des ressources, elles sont les limites politiques que les sociétés ont à choisir collectivement compte tenu de ces contraintes écologiques. Les alternatives que nous proposons, les valeurs d’égalité, de justice et de solidarité que nous portons, ne peuvent se concevoir et se réaliser en dehors d’un cadre environnemental qui se trouve menacé et dont la dégradation fragilise d’ores et déjà les plus démunis.

Voilà pourquoi, le groupe de travail « Ecologie et Société » du Conseil Scientifique a proposé au Conseil d’administration d’Attac-France de lancer une vaste réflexion sur ce thème avec comme première étape le séminaire « les mouvements sociaux confrontés à la crise écologique ». Le Conseil d’administration a décidé d’en faire un axe important de réflexion et de mobilisation.

Pour Attac, cela signifie approfondir et enrichir la réflexion sur les effets d’un capitalisme néolibéral, à la fois et indissociablement prédateur de la nature et des humains. Nous avons à faire apparaître comment la globalisation financière accélère aussi la crise écologique. C’est notre apport spécifique dans la construction des convergences entre mouvements sociaux et mouvements écologistes. La privatisation des biens communs (eau, vivant), la poursuite de l’expropriation de la terre de millions de paysans, posent en même temps et de manière inséparable, la question sociale et la question écologique. Le cœur même de la nature, sa capacité à se reproduire entre dans le champ de l’accumulation capitaliste et la détention des brevets est un atout essentiel de développement du patrimoine financier des investisseurs.

La globalisation financière conduit à la déterritorialisation des activités, à la négation du territoire comme construit politique, social et culturel et comme environnement naturel. Elle favorise les délocalisations, l’allongement des circuits de production et de consommation et le dumping social et écologique, elle engage la déconstruction systématique des services publics qui pourtant irriguent le territoire et évitent la polarisation des activités, avec d’une part des zones désertifiées et d’autre part des agglomérations excluantes et polluantes. Elle favorise la spéculation immobilière qui majore la crise du logement et la destruction de l’espace urbain. De même, la priorité accordée à la finance est à l’origine du développement sans précédent des paradis fiscaux qui hébergent des flottes sous pavillon de complaisance échappant à toute réglementation : 65% de la flotte mondiale navigue ainsi et 50% du pétrole transporté. Enfin, la domination de la finance globale donne pour seul horizon indépassable la valeur pour l’actionnaire. Alors que l’opinion publique est en grande majorité opposée à la culture d’OGM en plein champ, tout va bien tant que Monsanto et Syngenta se portent bien en bourse : le cours de Syngenta a été multiplié par quatre entre 2002 et 2006 et les actionnaires ont reçu 889 millions de dollars de dividendes en 2006.

Ces quelques exemples montrent comment l’ouverture inconditionnelle des marchés, la libéralisation financière, la tentative de marchandisation de l’ensemble des ressources et des activités humaines, engagent un même mouvement de prédation de la nature et des humains. La course à la réduction des coûts produit le travail précarisé, désocialisé, déréglementé, réduit à une ressource exploitable et jetable après usage, tout comme la nature est conçue comme réservoir de ressources à exploiter et poubelle pour les déchets.

La crise écologique n’est pas un élément de plus dont il faudrait se préoccuper pour faire bonne mesure. Son accélération procède de la mise en œuvre d’une idéologie et d’un projet politique selon lesquels, non seulement la société n’existe pas selon le bon mot de Mrs Thatcher, mais la nature elle-même n’existe pas car elle pourrait toujours être reproduite ou améliorée en recréant une seconde nature débarrassée des limites présentes. Notre combat contre la marchandisation et la manipulation du vivant est à cet égard emblématique.

La globalité de cette crise exige des réponses globales et un changement des représentations qui ne pourront advenir que par la mobilisation de tous les niveaux des sociétés, du local au global. Elle exige de nouvelles formes de coopération entre les peuples. Le mouvement altermondialiste peut être le creuset de ces nouvelles exigences et de propositions alternatives. C’est dans ces directions que nous avons à poursuivre notre travail, à l’intérieur d’Attac et dans toutes ses composantes, et avec nos partenaires.

L’université d’été sera également un moment fort pour ce travail et ces échanges puisqu’une filière est consacrée à ces sujets.

Geneviève Azam,
membre du Conseil scientifique et du C.A. d’Attac-France