Les médicaments génériques chez Wal-Mart : évidemment ! Par Jean-Claude Salomon (décembre 2006) Extrait de la Lettre d’attac 45 n°40, hiver 2007

Par Jean-Claude Salomon

médecin, directeur de recherches au CNRS

Membre du Conseil scientifique d’Attac

Réseau Princeps

Wal-Mart est la plus grosse compagnie au monde. Elle emploie 2 millions de personnes et aura en 2006 un chiffre d’affaire de 315 milliards de dollars. Cette chaîne de grandes surfaces est aussi le plus gros détaillant aux États Unis, au Canada et au Mexique.
Wal-Mart est en conflit permanent avec les syndicats de salariés états-uniens. L’implantation d’une grande surface Wal-Mart dans une localité est en général une catastrophe pour le petit commerce alentour. Sa politique des prix les plus bas est peut être profitable aux consommateurs, mais perturbe considérablement l’emploi et le marché. Wal-Mart suit enfin la logique de consommation la plus excessive, tout en exploitant, sans état d’âme, dans des limites extrêmes, la main d’œuvre à bas prix du Tiers Monde.

Tout ceci est bien expliqué dans le film Wal-Mart : The High Cost of Low Price (Le coût élevé des prix bas) de Robert Greenwald. Wal-Mart a lancé en septembre dernier un programme de vente de médicaments génériques à 4,00 $/boîte. Ce programme est en application dans 3800 points de vente aux USA. Auxquels il faut ajouter les 1300 points de vente du programme concurrent lancé aussitôt par la chaîne Target, au même prix unique de 4,00 $/boîte. Pour être en règle avec la loi et ne pas vendre à perte, là où c’est interdit, certains de ces médicaments génériques sont vendus 9,00 $/boîte.
Target et Wal-Mart ont chacun mis sur le marché environ 300 médicaments génériques.
Après quelques premières semaines, il ne semble pas que ce lancement spectaculaire ait bouleversé le marché. Cela suffit il pour assurer que le bouleversement ne surviendra pas ? On doit s’interroger.

Les lecteurs de cette note ont tous été au courant de notre tentative pour lancer une coopérative de distribution de médicaments essentiels et génériques à des prix proches du prix de revient. Jusque là cette tentative n’a pas réussi. Nous croyons qu’il est prématuré de dire qu’elle a échoué.
Entre les opérations Wal-Mart et Target d’un côté et notre coopérative de l’autre, existe une analogie : la vente au coût le plus bas de médicaments génériques. Wal-Mart et Target ne sont pas des philanthropes et ils apportent les preuves, si besoin est, qu’une telle démarche commerciale est possible. Sans doute aux USA, l’existence d’une population de 45 millions de personnes totalement dépourvues de toute assurance maladie, fournit un marché plus immédiat pour ces génériques. Alors qu’en France les organismes d’assurance maladie semblent disposés à maintenir le statu quo, laissant le bénéfice de la solidarité entre citoyens profiter entièrement aux multinationales de la pharmacie et à une coalition la plus incivique parmi les officines pharmaceutiques. A moins que Wal-Mart n’ait décidé de donner une leçon de solidarité à notre Sécurité Sociale et aux Mutuelles. Ce qui serait assez surprenant.

Nous n’avons pas manqué d’entendre les détracteurs du projet de coopérative, décrire avec conviction les obstacles que ne manqueraient pas de dresser sur son chemin les toutes puissantes entreprises multinationales de la pharmacie. Seraient elles absentes de la scène nord américaine ? Comme du reste l’opposition insurmontable que les pharmaciens d’officine susciteraient face à la coopérative. Comment les chaînes d’officines américaines voient elles les choses ? Parions que les mêmes “ experts ”, si on leur avait demandé d’évaluer la faisabilité du lancement des génériques à 4,00 $ par Wal-Mart, auraient, compétence oblige, déclaré le projet chimérique. Évidemment les obstacles aux USA et en France ne sont pas les mêmes. Évidemment la puissance financière de Wal-Mart est considérable. Évidemment les obstacles des deux côtés de l’Atlantique ne sont pas de nature réglementaire ou commerciale. Évidemment il n’y a pas beaucoup de similitudes entre la démarche d’un grand prédateur et celle d’un petit groupe de gens décidés à sortir du marché une partie des produits de santé. Ici la volonté ou son contraire, l’inertie, sont de nature politique.

Mais cette entrée fracassante de Wal-Mart dans le champ des médicaments génériques appelle à la réflexion les “ décideurs ”, qui en l’occurrence brillent surtout par leur laisser faire. Où se trouve la capacité d’anticiper une évolution “ inéluctable ” ? Qui d’eux ou des promoteurs de la coopérative agissent le mieux pour la solidarité et pour accroître la sécurité des patients en favorisant l’usage des médicaments essentiels ? Quand donc ces fameux décideurs consentiront-ils à corriger leur myopie. Peut être après que la grande distribution aura implanté en France et en Europe les génériques pour en contrôler souverainement le marché, sans préoccupation superflue pour l’intérêt commun. Évidemment.