Forum social du Gâtinais : l’agriculture dans le Gâtinais, par Julien Gozard (octobre 2003). Suivi de : Le Gâtinais, terre d’avenir ? par Philippe Lalik. Extrait de la Lettre d’attac 45 n°23, février-mars 2004

Forum Social Local du Gâtinais (25/10/03) :
l’agriculture dans le Gâtinais

Le forum social qui s’est tenu à Châlette sur Loing, le 25 octobre dernier avait 3 objectifs :

 redonner de la vigueur à la démocratie qui en a bien besoin,
 décloisonner les approches et les combats dans la mesure où, désormais, il n’existe pas plus de solutions catégorielles qu’il n’existe de solutions nationales,
 apporter une autre information étant donné que le quatrième pouvoir (les médias) ne joue pas le rôle que l’on est en droit d’attendre de lui. A moins que ce rôle soit de propager la pensée unique.

Nous avons choisi 3 thèmes qui nous paraissent majeurs : l’agriculture dont le rôle est primordial (nourrir la population), l’enseignement qui a pour fonction de transmettre des savoirs et la culture, et la santé qui a pour objectif de soigner les gens. Si les débats relatifs aux domaines de la santé et de l’agriculture nous ont donné satisfaction, nous sommes restés sur notre faim en ce qui concerne l’enseignement.
Le compte-rendu ci-dessous concerne l’agriculture, sujet qui avait été paticulièrement riche lors du premier FSL du Gâtinais. Par manque de place, n’ont pas été traités ici ni le comportement du milieu agricole et le manque de courage des pouvoirs publics, ni les solutions proposées.

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Le volet agricole du FSL fut enrichi des apports de trois exploitants du Gâtinais. Deux en « grandes cultures » (céréales principalement), M. Gaury de Ferrières en Gâtinais et
M. Cloarec de Montcorbon, et une maraîchère en agriculture biologique, Mme Spach. Le compte-rendu qui suit rassemble l’essentiel de leurs interventions, ainsi que de celles de l’assistance. Les notes de fin ont été rajoutées par les rédacteurs.

I situation et évolution de l’agriculture en gatinais

L’agriculture dans le Gâtinais correspond de nos jours majoritairement à celle que certains qualifient de « productiviste » : surtout des « grandes cultures » (céréales, colza, betteraves, …) sur de grandes exploitations (au moins 110 ha pour dégager un salaire). Des prix agricoles de moins en moins rémunérateurs obligent en effet à des économies d’échelles par concentration, et donc accroissement de la taille des exploitations, et par accroissement de la mise en commun de moyens (Coopératives d’Utilisation de Matériel Agricole). Ils obligent aussi à la réduction de pratiques pourtant bien ancrées dans les habitudes mais coûteuses comme le labour. Enfin on doit aussi leur attribuer une forte contribution à la diversification, agricole (cidre fermier, safran, …), mais surtout non agricole (second métier en ville, …).

Ces exploitations de moins en moins familiales, qui prennent de plus en plus des formes juridiques sociétaires, voient leurs besoins en capitaux augmenter considérablement. Ces entités sont donc de moins en moins faciles à transmettre à l’échelle familiale, et voient l’origine de ces capitaux s’éloigner du cadre territorial (on parle d’ « agrimanagers » à la place d’ « agriculteurs »).

A ces difficultés chroniques quant au revenu s’ajoute un manque de visibilité quant aux cours mondiaux des denrées agricoles, qui varient de plus en plus et de plus en plus vite, et quant à la réglementation, européenne notamment (Politique Agricole Commune), qui elle aussi change de plus en plus souvent (1992, 1996, 2000, 2003). Ce contexte ne peut qu’alimenter l’inquiétude de la profession.

A côté de cette agriculture majoritaire, d’autres types de production ont du mal à se développer. L’agriculture biologique par exemple ne compte toujours que 42 exploitations dans le département, pour environ 1000 ha de Surface Agricole Utile (SAU), ce malgré le dynamisme de structures locales, comme le Groupement des Agriculteurs Biologiques de l’ORléanais (GABOR) et Biociel, l’association des GAB de la Région Centre, soutenue par le Conseil Régional. Cette situation dépasse cependant le cadre local, puisque c’est la France en général qui accuse un retard en la matière : seulement 1,4% de la SAU en Bio, alors que 50% des produits Bio sont importés et que la demande s’accroît de 15 à 20% par an. D’autres paramètres caractérisent l’agriculture gâtinaise et son évolution.

L’accumulation de polluants dans les écosystèmes est un exemple de conséquence directe de l’agriculture intensive, majoritaire. Par exemple l’eau potable présente toujours localement un taux de nitrate qui frôle la limite autorisée (source DDASS). Ou encore une étude du CNRS en cours montre que des prélèvements d’eau de pluie contiennent des produits phytosanitaires (« pesticides ») une fois sur trois dans le Gâtinais. Or l’effet de cette accumulation sur la population agricole et sur la population dans son ensemble est peu connu, même si une tendance cancérogène est fortement présumée, faute notamment d’études adéquates et d’observatoire départemental.

Une autre conséquence, non exclusive, de cette accumulation est l’effondrement de la biodiversité non domestique en zone de grande culture. Un comptage régulier des oiseaux communs mené à l’échelle nationale par le Muséum National d’Histoire Naturelle démontre par exemple bien cette chute entre 1990 et 2000. D’autres facteurs liés à l’intensification de l’agriculture peuvent aussi être incriminés dans cette dégradation. L’homogénéisation du paysage compte parmi les principaux.

II facteurs d’orientation de l’agriculture en gatinais

A) Dépendance vis à vis des partenaires économiques

1) Amont (fournisseurs)

La fourniture de produits agricoles est un des leviers de l’orientation de cette activité. On peut entre autre citer la pression qu’exercent nombre de semenciers auprès des professionnels en faveur des semences génétiquement modifiées (OGM), même si elle n’est pas propre au Loiret. Or non seulement certaines d’entre elles obligent au désherbage chimique, polluant (voir plus haut), mais elles menacent l’existence même de cultures non-OGM, par diffusion de pollens et fécondation croisée. C’est par exemple une menace directe sur les productions « Bio » : le colza « Bio » n’existe déjà plus au Canada, pays autorisant les OGM, pour cette raison. Par ailleurs, que penser de la promotion dont bénéficient les techniques simplifiées de travail du sol, économes en action mécanique et donc en pollution énergétique associée, de la part de fournisseurs de glyphosate (herbicide) et d’OGM résistants à ce dernier ?

2) Aval (distribution)

En aval de la production agricole domine en situation de quasi-monopole la grande et moyenne distribution (pour le marché intérieur). Elle ne se prive donc pas de tirer les prix toujours plus bas au profit de ses propres marges, en contournant la réglementation existante (« marges arrières »). Elles poussent ainsi les producteurs à produire toujours moins cher, souvent au prix de la qualité et du respect de l’environnement. Par exemple le pain industriel qu’elles commercialisent nécessite une farine particulièrement riche en azote, et dont la production implique donc plus de pollution par les nitrates que celle d’une farine « normale ». Dans la même optique elles hésitent rarement à préférer des produits d’origine lointaine, sources de transports polluants, au détriment des produits locaux, si cela leur permet d’augmenter leurs marges, et ce malgré le surcoût du à ce transport.

Cette chaîne de production-distribution n’aurait pas d’intérêt financier sans son extrémité : le consommateur. Or celui-ci est d’autant plus enclin à lui aussi réclamer des prix toujours plus bas que son propre pouvoir d’achat l’est aussi. L’existence scandaleuse d’une classe défavorisée sert même à justifier les pratiques agricoles les plus intensives ! Outre la question du pouvoir d’achat, nombre de consommateurs semblent aussi souffrir d’un manque d’information sur la question et d’éducation à l’alimentation. Une prise de conscience quant à ces enjeux ne pourrait en effet que favoriser un comportement plus responsable de leur part.

B) Concurrence étrangère

A travers le secteur aval de la production agricole s’exprime aussi un autre facteur des mutations qui affectent cette activité : la concurrence étrangère. On peut en effet s’étonner de ce que des régions entières voient certaines de leurs principales productions disparaître. Le Gâtinais fut ainsi le premier producteur français de lapins. Qui le sait actuellement ? Or l’évolution de la consommation n’explique pas tout. Autre exemple, celui de l’élevage ovin, dont 60% de la viande consommée est d’origine étrangère en France. Or cet élevage permettait de valoriser des « mauvaises » terres, aujourd’hui abandonnées (déprise) ou bien « intensifiées », mais au prix d’un surcroît d’intrants (engrais notamment) ou de travail du sol.

On est alors en droit de se demander ce qui rend des produits aux origines lointaines plus intéressants que leurs homologues locaux, et ce encore une fois malgré le surcoût prévisible dû au transport. Or il n’est pas malaisé de constater qu’à l’extérieur de l’hexagone ou de l’Union européenne, la production agricole, comme d’autres d’ailleurs, est souvent soumise à une réglementation plus souple qu’à l’intérieur. C’est par exemple en Europe que les OGM sont pour l’instant encore interdits de commercialisation, pas sur le continent américain. Même chose en ce qui concerne les garanties sociales, et les normes de qualité (traçabilité).

Or pour couronner le tout, la réglementation commerciale internationale, par la voie de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) notamment, n’a de cesse de peser en faveur d’une ouverture toujours accrue des marchés nationaux aux produits étrangers, exacerbant ainsi cette concurrence et ses effets. C’est l’essentiel du contenu de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS).

Julien Gozard
Attac 45

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LE GATINAIS : TERRE D’AVENIR ?

A l’heure de la mondialisation et du développement des communications, à une époque où certains rêvent de coloniser la planète mars, nous avons tendance à négliger une dimension cachée (1) de la vie sociale : le territoire. Le pédopsychiatre, Marcel Rufo estime que l’endroit où l’on passe son enfance est aussi important pour l’individu que ses propres parents ! L’endroit où l’on grandit est donc capital dans la construction de la personne. Ceci n’est pas seulement valable pour l’individu mais également pour l’ensemble de la communauté qui forge son identité dans sa relation à l’espace géographique.

Une tendance observée chez certains d’entre nous veut que l’on soit citoyen du monde avant être Français, Allemand ou Japonais. Mais si l’on n’est pas enraciné sur un territoire, ne risque-t-on pas d’être citoyen de nulle part ?

A l’ère d’Internet, le déracinement territorial est d’autant plus préoccupant qu’il se double d’une absence d’enracinement historique. Comme le souligne l’historien Éric Hobsbawm (2), la jeunesse vit dans une sorte de présent permanent, sans passé et sans avenir. Ce phénomène explique d’ailleurs en partie les conflits inter-générationnels devenus particulièrement aigus ces dernières années. Certains auteurs annoncent la fin de la géographie après que d’autres aient déclaré la fin de l’histoire. Cependant, si l’évolution technologique a radicalement transformé la manière de penser l’espace en abolissant les distances, cela ne signifie pas pour autant que la géographie n’a plus de sens.

Le territoire est un espace approprié, support d’une identité collective. Il témoigne "d’une appropriation à la fois économique, idéologique et politique par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire." (3)

Aujourd’hui, dans la compétition économique mondiale, le Gâtinais se trouve dans une situation singulière. Bien qu’administrativement situé en Région Centre, il demeure sous l’influence économique de l’Île de France où se trouve d’ailleurs son bassin naturel (le bassin parisien). Le nombre d’habitants y travaillant est considérable ; ce sont en effet des centaines de personnes qui s’y rendent quotidiennement. Il est difficile de savoir si cette proximité constitue un avantage ou un inconvénient. Le Gâtinais est-il sauvé de la désertification rurale par la dynamique économique de ses voisins où au contraire en pâtit-il en choisissant une solution de facilité qui l’empêche de développer ses propres forces ?

Toujours est-il que Paris ne procure pas seulement des emplois. En matière de délinquance juvénile, de trafics en tous genres, de prostitution rurale par exemple, la capitale joue un rôle néfaste qu’un éloignement géographique atténuerait certainement.

Zone géographique sans relief, ni caractère, le Gâtinais manque d’une identité forte. Appendice de la Beauce aux yeux des critiques de l’agriculture intensive, région peu chaleureuse aux dires de nombreuses personnes la quittant, notre image n’est dans l’ensemble pas positive. Certaines entreprises à la recherche d’une main d’œuvre peu revendicative sont toutefois d’un autre avis : Le Loiret fait partie des départements où la proportion des contrats particuliers (CDD, intérim...) par rapport à l’ensemble des contrats de travail est la plus forte.

L’est de notre département est un secteur que les jeunes bacheliers quittent pour poursuivre leurs études et dans lequel il ne reviennent que rarement. Ils s’en éloignent d’autant plus facilement qu’ils sont souvent contraints de se rendre à Tours ou à Orléans plutôt qu’à Paris. D’autre part, à cause du manque d’attrait, cadres et médecins ne sont pas tentés de s’y installer durablement.

L’absence d’une grande ville susceptible de tirer économiquement et culturellement le Gâtinais peut être considéré comme un handicap dans la mesure où les régions prospères bénéficient généralement du rayonnement d’une ville phare. Le fait qu’aucune université n’y soit implantée ne favorise pas la vie intellectuelle, ni le changement de mentalités souvent conservatrices voire réactionnaires.

Les écoles formant les professionnels de l’agriculture et de la gestion forestière (4) pourraient néanmoins combler ce vide à condition qu’une prise de conscience de ce rôle potentiel soit encouragée. Il est tout à fait possible d’assumer sa ruralité sans être rétrograde pour autant. La présence de nombreux paysans dans les luttes sociales en cours plaident en ce sens.

Dépourvu d’atout majeur (montagne, mer, musée, monument, technopole, grandes écoles...), le Gâtinais est condamné à des évolutions importantes s’il veut exister. A l’heure du vide conceptuel le plus total, il doit saisir des opportunités. Ainsi une structure participative de la prise de décision de gestion du territoire et la mise en oeuvre d’une véritable démocratie locale vigoureuse pourraient concourir à développer une conscience territoriale et à donner à notre région une nouvelle aura. Car à défaut d’innover socialement, le Gâtinais semble condamné à cumuler les difficultés de la Beauce et celles des banlieues.

Philippe Lalik
Attac 45

(1) Edward T. Hall : La dimension cachée (Éditions du Seuil, 1966)

(2) Éric J. Hobsbawm : L’Age des Extrêmes (Éditions Complexes 1999)

(3) Guy Di Meo : Géographie sociale et territoire (Éditions Nathan, 1998)

(4) Lycée agricole du Chesnoy et École des Barres