Les fondements de la décroissance, par Philippe Lalik (juil. 2005)

Je fais partie d’un courant de pensée que l’on qualifie en général de radical dans la mesure où il remet en cause la religion la plus répandue actuellement sur la planète : le développement. Cette idéologie est partagée aussi bien par les libéraux, les communistes, les catholiques, les Tiers-mondistes et même par la plupart des écologistes qui ont inventé un oxymoron qui a pour nom développement durable. Il est difficile de trouver une association d’aide qui n’ait pour objectif le développement.

Les personnes qui illustrent ce courant radical sont Ivan Ilich, François Partant, Serge Latouche, François de Ravignan, Gilbert Rist, Rajid Rahnema, Nicholas Georgescu-Roegen Eduardo Galleano ou encore Edward Goldsmith, Eugène Drewermann, Agnès Bertrand ou Albert Jacquard.

Je reprend à mon compte la formule de Partant selon laquelle nous, occidentaux, ne vivons pas dans des pays riches mais dans des pays en voie d’enrichissement permanent. En effet, à aucun moment nous ne pouvons nous dire : nous sommes suffisamment riches, cela nous suffit. Non. La croissance est nécessaire sinon le système économique s’effondre.

Je précise tout cela car je vais à présent m’interroger sur des idées qui semblent être évidente pour bien des adhérents d’ATTAC (n’oublions pas que le Monde Diplomatique est fervent adepte du Développement) mais qui ne le sont pas forcément pour moi.

Quelques exemples :

Afin de contester les fonds de pension, ATTAC a un argument de bon sens : si le taux de croissance est identique dans les 40 années à venir à celui que nous avons connu entre 1960 et aujourd’hui, le problème démographique qui met la retraite par répartition telle qu’elle existe aujourd’hui en danger est solutionné. C’est exact. A ceci près qu’une telle croissance met en péril les équilibres écologiques nécessaires à la vie ...

J’entends souvent que la valeur ajoutée dégagée par les entreprises profitent davantage aux actionnaires qu’aux salariés. En 20 ans, les premiers se sont accaparés de 10% de la valeur ajoutée au détriment des seconds. Cela est bien sur une injustice. Mais le second reproche c’est que ce phénomène nuit à la croissance, car l’argent gagné par les actionnaires n’est pas consommé mais rejoué en bourse pour la majeure partie. Alors que si les salariés en disposaient, ils consommeraient eux ! Dois-je en déduire que cette répartition inique de la valeur ajoutée préserve la planète ?

Quel est le meilleur élève au monde en matière de lutte contre le dérèglement climatique ? La Russie. Grâce à son effondrement.
Qui a bénéficié de la crise financière du Sud-Est asiatique de 1998 ? Les forêts tropicales. Baisse importante du pouvoir d’achat = préservation des écosystèmes. Un an de répit.

Bernard Maris (Oncle Bernard) démontre, à l’instar de Partant, que la science économique se trouve à un stade identique à celui dans lequel se trouvait la médecine à l’époque de Molière.

C’est pourquoi, aucun économiste ne peut répondre à la question suivante : le libéralisme est-il le stade ultime du capitalisme ? Ou en d’autres termes, le capitalisme mondial peut-il survivre sans la phase libérale qu’il traverse actuellement ? N’est-ce pas grâce au recul de ses limites externes (ouvertures des parts de marché par l’élimination des frontières et démantèlement des services publics ...) et internes (médicalisation de la procréation, clonage, brevetage et marchandisation du vivant ...) que la croissance, pour une large part, existe. Illich estime quand à lui que c’est la réparation des dégâts engendrés par la croissance qui permet la croissance : Polluer l’eau puis la dépolluer créé de la richesse. La préserver n’en créé aucune !

Nous savons tous à ATTAC, que 20% de la population mondiale s’accapare de plus de 80% des richesses produites et que si chacun sur la planète devait par l’intermédiaire du développement parvenir à un niveau de consommation similaire à celui qui est le notre, il nous faudrait 4 ou 5 planètes. Alors pourquoi, dans ces conditions, parler de droit au développement ? Probablement parce que ce n’est pas notre raison qui parle dans ce cas mais nos espérances, nos croyances irrationnelles. Plusieurs études récentes ont montré que 40% de la richesse produite par la nature était accaparée par une seule espèce (sur les quelques millions qui peuplent la Terre) : la notre. Ce chiffre va encore augmenter.

Un exemple parmi d’autre sur lequel je me suis penché : la consommation mondiale de papier annuelle et par habitant est de 46 kg. Aux U.S.A. elle est de 390 kg, en Europe de 290 Kg, en Inde de 3 Kg. Merci aux Indiens de ne pas vous développer trop vite car une problème insurmontable pour les forêts et tout ce qui y vit va se poser. Certains applaudissent au développement économique de la Chine. Mais lorsque le pouvoir d’achat augmente et permet à de plus en plus de Chinois de se payer de la viande, cela pose un gros problème car la production de ces denrées est dévoreuse d’espace. Et si la Chine se développe sur le modèle californien elle devra importer la totalité de la nourriture dont elle a besoin.

Sachant qu’un enfant français a, de par sa consommation, un impact sur la nature équivalent à celui exercé par 40 enfants africains, est-il logique que l’ ?tat favorise la naissance du troisième enfant ? Au niveau de l’impôt, les deux premiers enfants ne comptent que pour 1/2 part, et à partir du troisième enfant pour une part entière. Les allocations familiales augmentent dans de fortes proportions à partir du troisième enfant... alors que chacun sait que c’est le premier qui coûte le plus cher aux ménages. L’aberration est à son comble lorsqu’une mère de 3 enfants a la possibilité de devenir maîtresse d’école maternelle sans le BAC, ce qui est refusé aux mères d’un ou deux enfants. Les pays riches doivent réduire leur emprise écologique. On évoque généralement la surpopulation dans les pays du Sud et l’on ignore trop souvent que ceux du Nord le sont aussi de par leur consommation.

Voilà les quelques réflexions que j’avait à livrer. Il y a davantage de questions que de réponses. Je n’ai aujourd’hui aucune certitude sinon celle-ci : les multinationales ne sont pas responsables de tous nos problèmes. Si c’était le cas, je serais beaucoup plus optimiste que je le suis. Je pense que les multinationales sont les structures les plus à l’aise dans le système actuel et qu’elle font tout ce qui est possible pour qu’il perdure mais qu’elles ne maîtrisent absolument pas la situation. D’ailleurs, elles s’absorbent, fusionnent, disparaissent parfois.

Philippe LALIK
Attac 45