Faucheurs d’OGM : un été 2004 dans le Loiret, par Jean-Pierre Masson (oct. 2004) Extrait de la Lettre d’attac 45 n°27, octobre-novembre 2004

ACTE 1 : 25 juillet à Neuville aux Bois

A l’appel d’Attac45, environ 70 militants venus de tout le Loiret et des environs (Eure et Loir, Essonne...) se retrouvent sur la place du marché à midi pour se rendre à la parcelle de maïs "présumée" OGM, dont on connait la superficie mais pas... la localisation ! Grâce aux patients efforts des copains d’Attac45 pour dénicher la parcelle, nous savons où nous diriger. Pourtant, toute expérimentation OGM en plein champ fait l’objet d’une "information publique" que le citoyen lambda peut trouver en mairie, mais, nous l’avions vérifié, qui est un exposé technique signé Monsanto, et qui oublie de préciser sur quelle parcelle elle est conduite...

Après avoir fait un mini-sondage express de quelques commerçants de la place ("vous savez ce qui se passe aujourd’hui ?" ; "vous êtes au courant des essais OGM sur votre commune ?") qui vaut ce que valent les sondages, mais qui donne de belles images aux journalistes présents, notre cortège de manifestants, qui commence à avoir faim, se forme et part pour quelques kilomètres. Pique-nique festif devant la parcelle "présumée" OGM, où se mêlent militants et citoyens de tous âges, de tous métiers, urbains et ruraux, sous le regard paisible des gendarmes, rassurés de savoir que nous ne transgresserons pas la loi française basée sur... la propriété privée ! Cet après-midi-là à Neuville, seuls tomberont des coups de soleil.

Cette manifestation de protestation « symbolique » s’achève dans le calme et la bonne humeur, des connaissances sont faites, des contacts sont pris... L’utile est joint à l’agréable, et de plus, l’action sera très correctement couverte par les médias locaux.

ACTE 2 : 14 août près de Pithiviers

Le collectif des faucheurs d’OGM appelle à l’action de "neutralisation" de 2 parcelles d’OGM, simultanément, dans le Loiret et dans le Puy de Dôme. Répondent présents des militants d’attac, des Verts entre autres, et aussi des citoyens tout simplement concernés. Malgré une date propice pour les vacances, nous sommes environ 150 manifestants ; certains sont venus de Normandie, de Bretagne, de Vendée, du Larzac aussi ! Les parisiens ne sont pas en reste. Nous nous retrouvons dans la salle des fêtes de Dadonville, accueillis pas le Maire en personne et déjà surveillés par les forces de l’ordre, pour nous organiser avant de nous rendre sur place.

Aussitôt partis, nous avons droit à une escorte de gendarmerie, renforcée par un hélicoptère, tous armés... de caméras et d’appareils-photos. Après avoir piétiné pacifiquement les plants de maïs "indésirables", nous envisageons de récidiver sur une autre parcelle, voisine de quelques kilomètres. Mais dès la sortie du premier champ, un escadron renforcé de gendarmes nous stoppe et relève les identités de conducteurs, de faucheurs et d’observateurs. Malgré un soleil de plomb et une longue attente, tout se passe dans le calme et, dans la mesure du possible, la détente (1).

Après plusieurs hésitations, nous décidons de changer de stratégie : neutraliser une parcelle ou bien deux, ça ne change pas la portée de notre action ; nous choisissons plutôt de nous rendre à la gendarmerie de Pithiviers pour réclamer la libération immédiate de nos camarades mis en garde à vue à Clermont. Visiblement, ça a été la surprise la plus complète, et il fallait voir le branle-bas de combat devant l’entrée de la gendarmerie, défendue par une cohorte de CRS armés jusqu’aux dents, comme aux temps de mai 1968 ! Nous leur avons expliqué que nous n’étions pas là pour en découdre, mais le commandant nous a averti d’un ton menaçant (ou affolé ?) : "attention, vous êtes entrés par infraction dans une enceinte de l’Armée Française, je vous laisse 30 secondes pour sortir, après quoi je donne l’ordre de charger". En bon non-violents (et pas masos !) nous obtempérons, calmement.

Patients, nous siégeons sur le trottoir jusqu’à la tombée de la nuit, après qu’une délégation de militants ait été reçue par le sous-préfet. A la suite de quoi nous nous sommes excusés auprès des CRS, pour avoir retardé leur dîner. Quelques sourires discrets de leur part nous laissent à penser que si on leur enlève l’uniforme et tout le barda militaire, on pourrait discuter tranquillement avec eux...

ACTE 3 : rentrée des classes à Pithiviers

Sur une durée de 15 jours, retour à la gendarmerie pour 74 des faucheurs et observateurs, mais cette fois-ci nous ne sommes plus indésirables, puisqu’il s’agit d’un interrogatoire sur convocation. Bonne humeur et solidarité encore une fois (à l’extérieur de l’enceinte), grâce à une permanence, un accueil et un suivi assurés par une poignée de militants courageux et dévoués. La stratégie, fixée à l’avance, est simple : chaque faucheur reconnaît les faits de base, en toute transparence, mais n’a rien à déclarer de plus. Et chaque observateur se contente de dire qu’il n’a pas fauché, et qu’il n’a rien à déclarer.

ET MAINTENANT : soutien aux inculpés, information sur les enjeux.

La saison des fauchages étant achevée, vient le temps des représailles judiciaires. Les faucheurs ne s’étonnent pas d’être inculpés : ils l’ont voulu, pour porter le débat sur la scène publique. Nous savons maintenant que non seulement Jean-Emile Sanchez, porte-parole de la Confédération Paysanne, et François Dufour, vice-président d’attac, mais aussi apparemment d’autres personnes présentes avec nous le 14 seront jugés le 19 janvier 2005 à Orléans. En face, et dès les lendemains du fauchage, un collectif s’est constitué, qui a d’ores et déjà commencé à envisager des actions d’information et de sensibilisation grand public, et qui coordonnera la mobilisation en soutien aux personnes mises en examen à Orléans. Attac45, est-il besoin de le souligner, fait partie des organisations qui soutiennent et accompagnent la résistance.

Alors, à nous, à vous de faire en sorte que le mouvement s’amplifie pour obtenir un vrai débat citoyen sur cet enjeu de société. L’Histoire montre qu’il suffit qu’un petit pourcentage de la population, soutenu par des citoyens solidaires, fasse acte d’objection de conscience pour forcer le destin et s’opposer à l’injustice. Nous allons perturber le pouvoir au point de le faire renoncer aux peines « exemplaires » prévues par des lois répressives, nous allons obtenir un vrai débat démocratique et transparent.

Jean-Pierre Masson,
Attac 45, Membre du « Collectif des faucheurs volontaires d’OGM » depuis le 14 août 2004.

1 - Du côté de Clermont-Ferrand, il en va tout autrement : l’appareil répressif de la police et d’une milice civile pro-OGM s’oppose avec violence aux anti-OGM. Bilan : quelques blessés parmi les anti-OGM, avec gardes à vue. Les blessés sont accusés d’avoir déclenché les hostilités, les médias accréditent cette thèse. Seule TF1 s’était déplacée, trop heureuse d’en découdre avec la Conf’ Paysanne, qui avait menacé quelques semaines auparavant de démonter le site télé-réalité de la "Ferme".