Culture d’OGM : dix ans d’échecs planétaires ! par Florent Viallon (déc. 2006) Extrait de la Lettre d’attac 45 n°40, hiver 2006-2007

Compte-rendu du rapport des Amis de la Terre : « Qui tire profit des cultures génétiquement modifiées ? Analyse des performances des cultures GM dans le monde (1996 - 2006) »

La publication du rapport des Amis de la Terre offre un outil précieux d’analyse globale des cultures génétiquement modifiées (cultures GM) au niveau mondial ainsi que leurs conséquences tant environnementales qu’humaines. Depuis 1980, des manipulations génétiques sont réalisées en laboratoire dans le but « de nourrir le monde et d’abolir la malnutrition ». Ces organismes sont introduits pour la première fois dans l’alimentation humaine et animale en 1996 aux USA.

L’analyse de la première décennie de commercialisation montre que ce type de production concerne peu de pays et peu de produits. Aujourd’hui, 4 cultures représentent la quasi-totalité des superficies des cultures GM : soja, maïs, coton, colza. De 1996 à 2002, 90 % des superficies se partageaient entre les USA, l’Argentine et le Canada. A partir de 2004 se sont ajoutées les cultures de l’Inde, de la Chine et du Brésil ; ces 7 pays représentent 84 % des cultures GM mondiales. En 2006, 80 millions d’hectares sont des cultures GM, soit 1, 5 % des terres agricoles mondiales.

Les industries de biotechnologie (qui produisent les plantes GM) et des organisations comme l’ISAAA (service international pour l’acquisition d’applications biotechnologiques) préconisent l’adoption rapide des produits agricoles génétiquement modifiés dans le monde car ils sont :

1. avantageux pour l’environnement,

2. profitables pour les agriculteurs (petits et grands),

3. bénéfiques aux consommateurs,

4. un moyen de lutte contre la faim et la pauvreté.

En conservant ces arguments comme grille de lecture du rapport des Amis de la Terre, la conclusion n’est pas aussi positive que ne le laisse penser les publications de l’ISAAA...

1. Avantageux pour l’ environnement ?

La culture de plantes GM pour résister aux insecticides et aux herbicides (spécialement le glyphosate, principal composant du Round-Up®) entraîne une utilisation accrue de ces pesticides. De plus, la pollinisation croisée des plantes GM avec des espèces proches entraîne une résistance accrue des ces « mauvaises herbes » aux pesticides.

Autre effet pervers, les ravageurs habituels des plantes sont éliminés grâce à la modification génétique mais pas les ravageurs occasionnels. Ces derniers, sans concurrents, se développent et obligent les agriculteurs à épandre une palette plus large de produits sur les cultures...

Pour finir, en Amérique du Sud et notamment au Brésil, l’extension des cultures GM s’opère au détriment de la forêt équatoriale ; ce déboisement entraîne une érosion et un appauvrissement des sols, aggravé par un épandage massif de pesticides.

2. Profitables pour les agriculteurs ?

Les agriculteurs, spécialement en Amérique du Nord, sont soumis à une surveillance étroite des firmes biotechnologiques et agro-industrielles qui vérifient qu’aucune plante GM ne pousse sans avoir fait l’objet d’un contrat (de vente). La dissémination naturelle et la repousse spontanée de plantes GM entraînent des procédures judiciaires, en général onéreuses, pour les exploitants agricoles. Des producteurs de maïs bio se sont vus condamnés parce que des plants GM avaient germés sur leurs parcelles...

Les coûts liés à l’exploitation de plantes GM sont plus faibles dans un premier temps : l’application d’herbicides et d’insecticides est plus flexible dans le temps, entraînant une diminution de la main d’oeuvre, et donc des coûts. Toutefois, cette baisse est rapidement contrecarrée par des achats plus élevés de pesticides et le prix sans cesse croissant des semences GM. Au final, le coût de production de plantes GM est supérieur à celui de plantes classiques ! Seuls les plus gros exploitants peuvent supporter ces coûts croissants. Les plus petits s’endettent et sont rachetés par les grands propriétaires, impliquant une concentration toujours plus grande des terres arables entre sociétés agricoles de moins en moins nombreuses. Autre conséquence, endettement et concentration provoquent des troubles sociaux entre petits producteurs et gros propriétaires.

Au Brésil, le soja GM cultivé résiste mal à la chaleur et à la sécheresse : les rendements chutent. Cette situation est aggravée par la baisse du cours mondial du soja et la hausse du prix des pesticides. Un nombre croissant d’agriculteurs brésiliens connaît un endettement de 60 à 90 %. C’est aussi le cas des petits producteurs de coton GM en Afrique, en Amérique du Sud et au Mexique. L’endettement de ces derniers est provoqué par deux facteurs : le subventionnement du coton US et la chute du cours mondial (- 54 % depuis le milieu des années 90). Ils sont donc soumis aux pressions des firmes biotechnologiques et agro-industrielles pour planter davantage de coton GM... alors que la cause de leur endettement est liée à un système économique qui bénéficie aux agriculteurs subventionnés, indépendamment du mode de production (conventionnel ou non).

3. Avantageux pour le consommateur ?

Les aliments produits à partir de plantes GM n’apportent pas d’amélioration de la qualité des aliments. Ils sont refusés par beaucoup de consommateurs et subissent des contraintes légales de plus en plus fortes de pays de plus en plus nombreux...

4. Un moyen de lutter contre la faim et la pauvreté ?

Le rendement des cultures GM est inférieur à celui des cultures conventionnelles ! Le soja, produit dans des pays comme le Brésil, est avant tout destiné à l’alimentation du bétail, vendu pour fournir la viande des pays riches.

Alors, à qui profitent les cultures GM ?

Comme on peut le constater, le tableau idyllique sur les cultures GM brossé par l’ISAAA dans son rapport annuel n’est qu’un trompe l’oeil : conséquences environnementales alarmantes, endettement et spoliation des agriculteurs, pas de conséquences bénéfiques pour les consommateurs et aucun effet visible sur la lutte contre la faim dans le monde.

Les cultures GM profitent évidemment aux firmes biotechnologiques et aux entreprises agro-industrielles. Aujourd’hui, quatre hectares sur cinq de cultures GM sont prévus pour résister à l’application d’herbicides spécifiques vendus par la même entreprise qui commercialise les semences GM. Le profit est donc énorme, d’autant plus plus que le volume d’herbicides répandus sur ces mêmes cultures est en constante augmentation. De surcroît, ces sociétés interdisent aux paysans de garder, vendre ou replanter les semences brevetées, ce qui leur assure un gain financier conséquent. Les petits agriculteurs, notamment dans les pays en développement ne peuvent faire face à ces dépenses et s’endettent, ce qui les rend fragiles face aux pressions des multinationales de l’agro-industrie.

D’autre part, le secteur de l’agro-industrie tend à se concentrer : Monsanto a ainsi le projet de racheter Delta&Pine, n° 1 mondial de la semence de coton. Il en résulte un risque réel et sérieux de voir diminuer la disponibilité de semences traditionnelles et de voir leur coût s’accroître. Enfin, on peut craindre l’application systématique de la technologie Terminator (les graines produisent des plantes stériles) aux semences vendues par les entreprises de biotechnologie.

...mais ce profit est à relativiser !

En effet, le soja connaît un échec relatif en Amérique du Sud : rendements faibles et ruine de nombreux agriculteurs ont entraîné une baisse sérieuse des profits. En Inde, le coton GM vit des heures sombres suite au procès en cours des ministres de l’agriculture des 7 régions cotonnières qui reprochent à Monsanto des redevances excessives. En Indonésie, Monsanto a été condamné pour avoir soudoyé de nombreux fonctionnaires (Il est à noter que, bizarrement, ce pays a disparu du jour au lendemain des rapports de l’ISAAA...). Le coton GM australien a subit un échec suite aux sécheresses et aux faibles cours mondiaux, forçant les entreprises agro-industrielles à revoir leurs prix à la baisse. Enfin, ces industries, Monsanto en tête, peinent à s’introduire sur le marché européen, gênées par les législations (interdiction totale en Suisse, moratoires) et les actions citoyennes : arrachages, refus des consommateurs.

Le rapport des Amis de la Terre qui analyse dix ans de cultures génétiquement modifiées dans le monde est donc un constat d’échec. Promesses fallacieuses, ruine économique et environnementale, le bilan est accablant pour les firmes agro-industrielles. Et pendant ce temps, financée par ces firmes et considérée par de nombreux gouvernements comme une source officielle d’évaluation des performances des cultures GM, l’ISAAA continue sans faille de chanter les louanges de la transgénèse...

La conclusion du rapport est évidemment toute autre :« Le monde a besoin d’approches agricoles durables. Il serait grand temps que les gouvernements et les spécialistes de l’agriculture consacrent leurs énergies à mettre en place des méthodes et des politiques agricoles qui garantissent aux gens une nourriture saine et qui défendent les petits agriculteurs du monde. »

Par Florent Viallon,
Attac 45.