Etats généraux, procès des faucheurs : Orléans, siège de la RÉSISTANCE aux OGM pendant 2 jours, par Jean-Pierre Masson (mars 2007)

Deux événements simultanés ont eu lieu les 26-27 février 2007 : le procès de 32 faucheurs et la tenue des Etats Généraux pour un moratoire sur les OGM. 

Moratoire : l’appel d’Orléans

Ces Etats Généraux se sont conclus par le texte « appel d’Orléans » qui se trouve sur le site http://www.moratoireogm.fr ; on peut le signer, le faire signer, par le maximum de gens, mais aussi par les élus :
 députés, que le gouvernement prive de leurs droits de débattre, de leur pouvoir de décision en prenant par décrets les mesures qui auraient dûes être prises par la loi ;
 maires, qui se voient imposer des OGM sans même en être informés ;
 conseillers généraux et régionaux, dont les conseils peuvent déclarer leurs départements / régions "sans OGM".

Un procès pas comme les autres.

 le Tribunal d’Orléans a marqué les esprits en relaxant des faucheurs pour la 1ère fois, en octobre 2005 (jugement non confirmé par la Cour d’Appel en mai 2006) ;
 parmi les 32 faucheurs prévenus, la moitié comparaissent pour un autre « délit » : le refus de prélèvement d’ADN ;
 l’un des objectifs majeurs des faucheurs - la mise en place d’un moratoire sur les cultures et expérimentations d’OGM en plein champ – est débattu simultanément à quelques centaines de mètres du Palais de Justice.

La nuit du 14 août 2006

Une soixantaine de militants anti-OGM se sépare en 2 groupes ; l’un se rend à Santilly (28), l’autre à quelques kms de là, à Villereau (45). La parcelle située dans le Loiret fait l’objet d’une surveillance régulière par les gendarmes : c’est la raison pour laquelle 32 faucheurs sont arrêtés et mis en garde à vue, tandis que les 27 faucheurs d’Eure et Loire ne sont pas inquiétés (bien qu’ils se soient énoncés le lendemain !).

Qu’avons-nous fait, et pourquoi ?

Nous avons « neutralisé » à mains nues des pieds de maïs transgéniques résistants à un herbicide, de la firme Monsanto, leader mondial des biotechnologies (et aussi des pesticides).
Nous alertons la société sur le coup de force de quelques firmes multinationales semencières qui veulent s’accaparer le marché mondial de l’alimentation sans se soucier des conséquences sociales, sanitaires et écologiques.

L’enjeu est immense, qui fait dire à notre avocat, François Roux : « les marchands d’armes, à côté, passent pour des enfants de chœur. Une nouvelle arme est en train de naitre : l’arme alimentaire. »

Quels sont les dangers ? Brevetage du vivant, perte de biodiversité, ruine des paysans (ceux qui ont fait le choix de la qualité et du respect de l’environnement), mépris à l’encontre des consommateurs qui rejettent massivement les OGM dans leur assiette, irréversibilité de la pollution génétique qui ne connaît aucune frontière naturelle, conséquences sanitaires incertaines.

Les pro-OGM considèrent qu’il n’y a aucun risque de dissémination génétique car des « barrières naturelles » sont mises en place… ça fait un peu penser au nuage de Tchernobyl que les autorités françaises avaient officiellement réussi à stopper à la frontière !

Que nous reproche-t-on ?

 Fauchage collectif de maïs OGM = « Destruction du bien d’autrui commis en réunion ».
 Peine officielle = 75 000 euros d’amende et 5 ans de prison ferme (excusez du peu !) ; avec, « en prime », le refus de prélèvement d’ADN pour la moitié d’entre nous.
 Les deux « délits » sont traités ensemble.

Le déroulement du procès.

Nous, les 32 prévenus, défilons à la barre pour affirmer que nous assumons le risque pénal en toute lucidité et en toute conscience.
Nous invoquons l’état de nécessité, le principe de précaution, nous espérons empêcher l’invasion « totalitaire » des OGM dans la nature.

Le Président du tribunal s’evertue à « sonder » notre respect de la démocratie. L’atmosphère devient pesante : nous passons pour des gens qui s’octroyons le droit de refuser toute loi qui ne nous parait pas correcte, en d’autres termes nous rejetons la démocratie.

Lorsque vient mon tour j’explique que l’exercice de la démocratie n’est pas si limpide : « les 2 voies normales pour prendre des décisions démocratiques sont la voie législative et la voie référendaire ; l’une ou l’autre peuvent aboutir à des résultats différents, ça a été le cas pour le Traité Constitutionnel Européen. En effet si le Président de la République avait convoqué le Congrès (Sénat + Assemblée Nationale), les parlementaires auraient voté pour le TCE à 80% (d’après les sondages de l’époque), alors que le peuple a voté contre à 55% ! Cela pose la question de la représentativité des parlementaires… Mais il existe une 3eme voie pour faire évoluer le Droit : la désobéissance civile, à utiliser avec modération et discernement ! »

Deux de nos témoins développent ce sujet : Jean-Marie Muller (écrivain spécialiste de la non-violence) explique « la distinction à établir entre délinquants et dissidents ».

André Cicolella (responsable du secteur santé chez les verts et chercheur en éco-toxicologie) insiste sur la nécessité de protéger juridiquement les citoyens « lanceurs d’alerte ».

Des lois ont été votées dans les pays anglo-saxons, un projet de loi a été déposé au Sénat.

La procureur a été choquée par les propos de Jean-Marie Muller, qu’elle a jugée dangereux et intolérables ( ?)

J’écris ces lignes au lendemain du décès de Lucie Aubrac, qui expliquait ainsi son choix de résistante : « Nous avons agi pour la liberté et la dignité des hommes. Si l’on devait faire un parallèle entre hier et aujourd’hui, ce serait pour souligner que, dans l’idée de résistance, il y a, au départ, une obligation de désobéissance à ce qui paraît insupportable. ».

A plusieurs reprises au cours du procès, nous ferons un rapprochement avec la Résistance à la dictature nazie. Avec toutes les précautions et réserves nécessaires : les situations sont tellement différentes ! Pourtant, si l’on n’y prend garde, le fonctionnement de nos institutions démocratiques va continuer à dégénérer. Jusqu’où ?

L’histoire de la législation pour le prélèvement d’ADN est édifiante.
Deux de nos témoins, Maurice Rajsfus (président de l’Observatoire des Libertés) et Hélène Franco (secrétaire générale du Syndicat de la Magistrature) expliquent : en 1998 est créé le FNAEG (Fichier National des Empreintes Génétiques) qui concernait la criminalité sexuelle. En 2001 il est élargi à tous les graves crimes.

En 2003 Sarkozy l’élargit à tous les délits. Les abus sont nombreux, le prélèvement est effectué au moment de la garde à vue alors que la personne n’est pas encore jugée (donc présumée innocente) ! Si une personne relaxée souhaite la désinscription à ce fichier, c’est un vrai « parcours du combattant ». Madame la procureur s’indigne des propos de notre témoin, à qui elle reproche de ne pas respecter son obligation de réserve !

Précision : tous les présumés délinquants ne sont pas assujettis à ce fichage. Ceux « en col blanc » échappent à ce contrôle social. Abus de biens sociaux, fraude fiscale, … ça n’est pas pareil qu’un… vol de scooter !
Le plus grave, dans cette histoire, c’est le risque qu’un tel fichier puisse être utilisé à des fins inavouables de contrôle social : l’excès de zèle en matière de sécurité entraîne toujours la société vers un régime totalitaire.

Nos avocats attirent l’attention sur le manque d’encadrement de ce type de fichier par la Justice, sur les erreurs qui se sont déjà produites… Brrr, ce n’est pas rassurant !

NB : Tous les prévenus qui ont accepté le prélèvement d’ADN sont solidaires de ceux qui ont refusé. Dans certains cas, le prélèvement a effectué de force, ou sous la menace !

Morceaux choisis.

Un prévenu  : « (…)et puis, si j’ai refusé de donner mon ADN, c’est aussi parce que j’ai peur que Monsanto s’en empare pour mettre au point des plantes transgéniques qui résistent aux faucheurs d’OGM ! ». Rire dans la salle… La procureur crie au scandale : « nous ne sommes pas au cirque, vous méprisez le tribunal ! ».
Je me dis, intérieurement : « c’est vrai, la Justice n’est pas un cirque, mais c’est un théatre où les rôles sont sans surprise, le scénario déjà écrit, les improvisations quasi-nulles. »

Frédéric Jacquemard, témoin (membre de la CGB, Commission du Génie Biomoléculaire) : « la CGB rend des avis très partiels sur les expérimentations d’OGM en plein air ; les dossiers présentés par les firmes ne permettent pas d’avoir une vision globale, en particulier sur l’impact sur l’environnement. D’alleurs il n’y a pas d’expert écologue à la CGB !

La CGB n’a aucun moyen de contrôle sur les données fournies.En définitive, l’Etat se sert des avis de la CGB pour rassurer l’opinion publique.Il conclue en remettant au président un courrier écrit de la CGB, signé par tous les membres, visant à dégager les responsabilités de la CGB s’il survenait des problèmes liés aux OGM ( !)

Plusieurs prévenus  : « je suis paysan biologique, si des OGM sont cultivés près de mon exploitation je suis fichu, je dépose mon bilan. ». Le président : « votre exploitation ne se situe pas à proximité de la parcelle que vous avez détruite. Vous n’êtes donc pas menacé. » Réponse : « si j’attends que les OGM soient cultivés un peu partout, et donc à côté de chez moi, il sera trop tard pour réagir. ».

J’exprime mon écoeurement  : « notre société laisse circuler dans la nature des produits dangereux, les OGM : elle fait ainsi preuve de laxisme. En revanche elle expulse des personnes étrangères demandeuses d’asile, sans se soucier des risques qu’elles courent à retourner dans leur pays d’origine : notre société fait alors preuve d’intransigeance. C’est exactement le contraire qu’il faudraitt faire !!! Nous marchons sur la tête. »

Les plaidoiries

L’avocat de Monsanto : « je ne tiens pas à reprendre le débat pour savoir si les arguments sont pertinents. Je me contenterai des faits.
Le préjudice dû à la destruction s’élève à 313 000 euros. ». Pas fatigant, comme méthode.

La procureur ne tient aucun compte des arguments développés par les prévenus ni même nos témoins. Son discours nous assimile à des gens obscurantistes et qui ne respectent pas les institutions ; plus étonnant, elle se lance dans une justification politco-économique des cultures d’OGM : « Si la France met un terme aux essais, ils se poursuivront ailleurs. (…) Les pays du tiers-monde sont très intéressés par ces cultures. (…) La France ne doit pas se replier sur une agriculture passéïste et perdre sa place de 1er producteur agricole. … »

Difficile de résumer la plaidoirie de notre avocat, François Roux. « Je défends depuis 35 ans des prévenus pour faire évoluer la loi et j’entends le procureur qui accuse ces prévenus de perturber la loi. Je suis petit-fils de procureur général ; J’ai été élevé dans l’idée que la justice doit protéger le faible du fort. Madame la Procureur, vous protégez le fort contre le faible. Les sociétés semencières accaparent le vivant. 78% de la population est contre les OGM. L’enjeu est considérable ; il faut rendre hommage à ces citoyens, des gens responsables qui ont pris le risque de s’insurger. Droit et devoir d’insurrection figurent dans la déclaration des droits de l’homme.

La désobéissance civile a fait avancer le Droit devant les tribunaux : droit du travail, droit de l’objection de conscience, loi sur l’avortement… On peut citer des personnalités qui ont dit qu’ils désobéiront à la loi pour empêcher l’expulsion d’enfants sans papiers. (…)
Les scientifiques doutent et c’est pour ça qu’il faut appliquer le principe de précaution. Dans la restauration scolaire, la région Centre refuse l’utilisation des OGM par principe de précaution. La compagnie d’assurances AGF a envoyé un avenant aux lycées de cette région excluant les dommages dus aux OGM. Des agriculteurs viennent de recevoir un avenant de Groupama disant que sont exclus du contrat les dommages crées ou subis par les OGM. 
Monsanto a le droit de faire du profit mais il met actuellement dans l’environnement des produits qui peuvent passer chez les voisins sans leur consentement. Monsanto a reconnu la dissémination en cour d’appel (mai 2006).

Les experts disent qu’il y a un risque de dissémination dans les cultures en milieu confiné mais qu’il est acceptable. Ce risque devient danger pour l’environnement en milieu ouvert. (…) Le tribunal peut rendre une décision de relaxe ; il en a les moyens, c’est une question de volonté. Il faut revenir au fait de l’abus de droit ; comment les procureurs peuvent-ils laisser diffuser les OGM ? C’est une violence à l’environnement.(…) Deux pays ont décidé de faire un moratoire : l’Autriche et la Hongrie, et la France a donné son accord. La directive européenne n’a pas été transposée car ç’aurait été la fin des essais OGM. 
Une plainte a été déposée contre Monsanto par un agriculteur du sud-ouest pour publicité mensongère ; Elle a mis 10 ans pour aboutir ! (…).

L’Etat refuse les arrêtés anti OGM pris par les maires et conseillers municipaux. La France décide par décrets, par directives ; n’est- ce pas une remise en cause de la démocratie ? Les faucheurs ont choisi la désobéissance civile par rapport au danger général représenté par les OGM (références à Jésus-Christ, à Gandhi). Ce n’est pas un acte de violence.(…) Ces gens sont des résistants modernes. Les tribunaux peuvent dire qu’ils ont le droit de résister. Allez vous résister ou capituler ? »

Les peines requises.

Elles sont parmi les plus lourdes dans l’histoire de tels procès. Selon les cas (réitérants* ou pas, refus de prélèv. ADN ou pas). Les 2 extrèmes sont :
 au pire : 6 mois de prison dont 3 avec sursis, 3000 euros d’amende et 2 ans de privation de droits civiques et familiaux.
 au mieux : 3 mois de prison avec sursis, 1500 euros d’amende et un an de privation de droits civiques et familiaux ;

Je passe sur les 2 cas intermédiaires.

La procureur demande également la mention de la condamnation au volet 2 du casier judiciaire (mesure visant les fonctionnaires).
Le jugement sera rendu le 24 mai (après les présidentielles !!!)

J.-Pierre Masson (SNE-FSU)
Pour le collectif de faucheurs volontaires d’OGM

* On parlerait de « récidivistes » si la condamnation de procès antérieur était définitive, mais le tribunal de cassation n’a pas encore siégé.