OUI, MAIS A UNE AUTRE EUROPE ! Par Bruno Delaveau (févr. 2005) Extrait de la Lettre d’attac 45 n°29, février-mars 2005

A croire les médias et les principaux partis politiques, le traité constitutionnel serait une avancée majeure pour l’Europe. Une opportunité pour le bonheur et le bien-être des citoyens français en particulier et européens en général qui ne se représentera pas de sitôt. Une chance historique que nous ne devrions pas manquer. Il faudrait ovationner ce texte. Sauf qu’à regarder de plus près le texte on a très vite fait de déchanter. Mais encore faut-il avoir le courage de lire un texte pas toujours facile d’accès d’environ 800 pages ! Plutôt long pour une Constitution qui veut taire son nom quand on sait que la Constitution française ne fait, elle, que 25 pages. Mais il est vrai que l’objectif non avoué n’est pas que le traité constitutionnel soit lu par les citoyens, mais qu’il soit approuvé par eux. Avec pour faire passer la pilule une armada de propagande médiatico-politique.

Ainsi, l’Espagne où vient de se tenir un référendum sur le traité n’a connu aucun débat. Ce qui l’a remplacé n’a été qu’une propagande grossière. Avec des stars de football en campagne pour le oui ! Avec un document largement diffusé qui ne comportait que les deux premières parties ! Camouflant ainsi aux citoyens espagnols la partie la plus importante, la plus volumineuse, la troisième partie, qui est le concentré des politiques néolibérales. La partie IV où sont détaillées les procédures de révision a elle aussi été dissimulée aux électeurs. Malgré toutes ces manipulations, le résultat du référendum est bien loin des espérances des partisans politiques espagnols de la Constitution. Un oui massif, affirment les médias ! Alors que seulement 42% des électeurs espagnols se sont déplacés, et que moins d’un tiers (32%) des électeurs inscrits ont répondu oui au traité ! Peut-on, donc, raisonnablement parler d’acceptation de la part des citoyens espagnols de ce traité ? Nous sommes bien loin des espoirs d’un Jacques Chirac déclarant que l’Espagne allait « montrer la voie en prononçant un oui, un oui massif » et de ceux d’un François Hollande certain que les Espagnols « allaient montrer aux Français le chemin du oui ». Et s’il n’y a pas eu de débat, c’est bien parce que le texte de ce traité ne peut qu’entraîner la désapprobation quand on en connaît la teneur.

L’Union offre à ses citoyens...

La teneur de ce traité… Il est impossible dans un court article d’en dévoiler toutes les facettes. Mais nous pouvons tout de même nous faire une idée juste de ce qu’est ce « traité établissant une Constitution pour l’Europe ». Une bible juridique imposant comme valeur suprême une doctrine néolibérale. Ainsi « L’Union offre à ses citoyens (…) un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » (Art.I-3). Au moins cela est clair ! Tout ce qui pourra fausser un marché hautement concurrentiel, comme nos services publics pour ne prendre qu’un seul exemple, sera anticonstitutionnel si ce traité passe. Malgré ce que peuvent affirmer les partisans du oui à gauche. Sur les seuls services publics nous pouvons notamment lire : « Les Etats membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire » (Art.III-148). Néolibéralisme, valeur fondamentale de ce traité constitutionnel qui va jusqu’à l’absurde absolu : « Les Etats membres se consultent en vue de prendre en commun les dispositions nécessaires pour éviter que le fonctionnement du marché intérieur ne soit affecté par les mesures qu’un Etat membre peut être appelé à prendre en cas de troubles intérieurs graves affectant l’ordre public, [ et ] en cas de guerre,… » (Art.III-131). Ainsi, même en cas de guerre ou de troubles intérieurs graves (comme mai 68 en France pour ne pas chercher bien loin…) dans l’un des Etats membres de l’Union européenne, ce qui passe en priorité, c’est le marché ! Peu importe le reste ! Cela en dit long sur l’esprit de ce traité constitutionnel… Comment assurer un « bon » fonctionnement du marché dans ces conditions ? Mystère.. L’Armée est-elle appelée en renfort en cas de troubles intérieurs comme mai 68 ?

Développement harmonieux

Toutefois l’orthodoxie néolibérale ne s’arrête pas aux frontières de l’Europe, puisque « dans ses relations avec le reste du monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts. » (Art.I-3,4) Soulignons le mot « intérêts ». Là encore on ne peut être plus clair et cynique ! Certes, suivent dans cet article des valeurs généreuses mais purement décoratives (ce traité constitutionnel abonde d’articles généreux mais purement décoratifs). Car en allant chercher plus loin dans la partie III, on voit que « l’Union définit et mène des politiques communes et des actions (…) afin d’encourager l’intégration de tous les pays dans l’économie mondiale, y compris par la suppression progressive des obstacles au commerce international. » (Art.III-292,2,e). Et que pour cela : « l’Union contribue, dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres. » (Art.III-314). Développement harmonieux pour les multinationales ! Exit, donc, les contraintes que pourraient être des lois sociales et environnementales. Voici l’OMC et L’AGCS constitutionnalisées.

Enfin, pour faire plaisir à Bush… « La politique de l’Union (…) respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre » (Art.I-41,2) et « les engagements et la coopération dans ce domaine [politiques de sécurité et de défense] demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre. » (Art.I-41,7). L’OTAN étant sous contrôle américain, exit l’Europe de la paix indépendante. Nous voilà dans une Euro-Amérique belliciste : « les Etats membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires. » (Art.I-41,3)

Dernière sortie avant autoroute

Cet article est très loin d’être exhaustif. Il ne met en lumière que quelques exemples mais malheureusement très représentatifs de ce qu’est le traité constitutionnel qu’on nous présente comme une grande avancée européenne et nous n’abordons pas tous les thèmes. D’ailleurs, Traité ou Constitution ? Texte hybride qui aura valeur de Constitution et qui primera le droit de chaque Etat membre de l’Union européenne (Art.I-6). Seule la Charte des droits fondamentaux déroge à cette règle. Certains partisans du oui au PS et chez les Verts nous disent que ce traité constitutionnel pourra être modifié et amélioré : c’est rendu impossible puisqu’il faudrait pour cela l’unanimité des 25 Etats membres actuels. Et bientôt plus ! Un seul Etat membre pourra en effet empêcher toute modification par un veto (Art.IV-444,3). Quant à la modification de la seule partie III, « le conseil européen statue à l’unanimité » (Art.IV-445,2). D’ailleurs, ce traité constitutionnel a été élaboré pour une durée d’une cinquantaine d’année au moins - si l’on s’en tient aux propos de Giscard. Nous pouvons du reste lire que « le présent traité est conclu pour une durée illimitée » (Art.IV-446). Alors mobilisons nous, en tant qu’européens convaincus, pour que ce traité constitutionnel ne passe pas ! La victoire du non est plus que possible. En témoignent les récents sondages montrant une nette avancée du camp du non. Parce que nous ne voulons pas de cette Europe-là et parce qu’une autre Europe est possible, nous voterons non !

Bruno Delaveau,
Attac 45