Comment le Loiret se débarrasse de ses étrangers sans papiers, par Rémi Daviau (été 2006) Extrait de la Lettre d’ATTAC 45 n°37-38 (été 2006)

Projet de réforme de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, restriction du droit aux soins aux sans papiers, démantèlement du FASILD... la modernisation du pays des Droits de l’Homme va à un train d’enfer.

Attention. Vous désirez de l’aide concernant un titre de séjour ? Contactez l’ASTI (14 Rue Sainte-Anne, 45000 Orléans - 02 38 52 93 16) ou la Cimade (1 rue Parisie, 45000 Orléans - Tel : 06 07 30 11 87).

Localement, le Loiret n’a pas à rougir, car créer un département-forteresse, ça n’est pas facile ! Il suffit de se retourner pour voir le chemin accompli : 2004 - 2006, deux ans déjà de travail forcené pour André Viau, préfet du Loiret... Et un bilan dont il n’aura certainement pas à rougir ! Serviteur zélé du ministère de l’Intérieur, le préfet n’a cependant pas la tâche aisée : comment expulser à tour de bras sans faire de vagues sur le territoire ?

Le préfet du Loiret y a-t-il été nommé par hasard ? La quasi totalité de ses interventions dans les médias concernent les sans papiers, et il faut dire qu’ancien conseiller au cabinet de Raffarin entre 2002 et 2004, André Viau a eu un rôle-clef dans la coordination interministérielle qui a préparé les différentes lois durcissant les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France... Il a donc pour le moins, quand il arrive, une bonne connaissance du dossier "sans papiers". Dès le départ, il porte la plus grande attention à ceux qui vivent dans le Loiret, et aux moyens de les en faire partir ; il ciblera les adultes, mais aussi les mineurs étrangers isolés. Le premier de ses grands travaux aboutit fin 2004 : à l’issue d’un long conflit opposant d’un côté Préfecture et Mairie d’Orléans, et de l’autre la très active ASTI (1) d’Orléans, qui fournissait aide juridique et domiciliation postale à de nombreux demandeurs d’asile, celle-ci perd la majorité de ses financements et doit licencier la quasi totalité de ses salariés. A plusieurs reprises, elle avait été dénoncée nommément et publiquement par les mêmes comme attirant trop de demandeurs d’asile.

"Je souhaite effectivement que nous soyons à la fois fermes dans notre souci d’accueil, de traitement rapide des dossiers et d’intégration, mais également fermes dans la reconduite à la frontière si elle est nécessaire (...)", déclare alors le préfet (2). En février 2005, dans la même logique de "fermeté dans l’accueil" et sans perdre de temps, il met en place un élément clé de l’expulsion industrielle locale avec l’ouverture d’un centre de rétention administrative (sept places) à Cercottes, où transitent les étrangers sans papiers avant expulsion. Et quelques mois déjà après l’ouverture, "il fonctionne à plein régime" (3) ; rentabilité non démentie à ce jour.

Dans tout le département pleuvent interpellations suivies de rétentions puis d’expulsions, invitations écrites à quitter le territoire, aide financière au "retour au pays"... Mais trop de bonne volonté peut mener à une précipitation inconsidérée : c’est ainsi que la loi est plusieurs fois outrepassée par la préfecture du Loiret, censée pourtant la faire appliquer ! A Cercottes comme dans les milieux scolaires, des collectifs citoyens veillent, et différents cas sont annulés par le tribunal administratif d’Orléans : ainsi une famille angolaise en septembre 2005, une famille iranienne en décembre ; un refus de renouvellement de titre de séjour pour une Ivoirienne annulé en novembre, puis un congolais en janvier 2006 ; une famille de kosovars en mars, pour raisons de santé, et une famille malienne en mai dernier... On a même vu un cas de décision positive de l’OFPRA malgré l’avis négatif du préfet (une malienne et sa fille, en juillet 2005).

De nouveaux outils pour un travail plus efficace : la carotte et le bâton

En juin, N. Sarkozy, de retour au ministère de l’Intérieur, félicite les préfets de leur rentabilité ("dans les cinq premiers mois de 2005, 7 885 étrangers ont été éloignés, ce qui représente une progression de 22 % par rapport à la même période de 2004") avant de mettre un sérieux coup de cravache ("Je fixe à chacun d’entre vous un objectif ambitieux : augmenter de 50 % le nombre d’éloignements effectifs d’étrangers en situation irrégulière par rapport à 2004") (4). Dans le Loiret, selon les propres mots du préfet, on passe de 45 en 2003 à plus de 80 en 2005 ; ce qui, tout scrupule avalé, ne l’empêche pas de préciser : "Nous n’avons jamais fait du chiffre. Cette année pas plus" (5).

Le même été, le Loiret fait partie des tout premiers départements en France à bénéficier d’une nouvelle dotation du ministère : une "police de l’immigration" - six policiers spécialisés (300 pour toute la France) mis à disposition du préfet du Loiret dans le cadre de la Police de l’air et des frontières pour intensifier le repérage des sans papiers, par le biais de l’identification des filières d’immigration et des réseaux de maintien sur place (secteurs professionnels privilégiés, etc). Michel Bègue, secrétaire général de la préfecture du Loiret qui ne fait pas de chiffre, déclare alors : "nous sommes en train de vider le stock de demandeurs d’asile" (6). A partir de ce moment, d’importantes forces militaires quadrillent et contrôlent régulièrement des zones bien précises (comme les sociétés de maraîchage), interceptant ainsi des sans-papiers sur leur lieu de travail (en août, 70 gendarmes interpellent 15 maliens à St-Cyr et St-Denis en Val ; le mois suivant, 25 gendarmes interpellent cinq africains à St-Hilaire ; en mars 2006, 10 africains sont interpellés à Gien...).

En bon manager, N. Sarkozy fait le point aux préfets en septembre 2005 sur les objectifs fixés en juin, gronde les moins performants et en remet une couche sur le rythme des "éloignements" ("sur huit mois, 56 % des objectifs ont été atteints. Il vous reste donc cinq mois pour accentuer l’effort. J’observe d’ailleurs que, d’une préfecture à l’autre, les résultats sont inégaux") (7). En France (mais pas dans le Loiret), quelques policiers vont protester : "on est à peu près à 54 % de l’objectif de reconduites qui nous a été fixé par le ministère de l’Intérieur pour la Moselle. Soit autour de 700 mesures d’éloignements pour un total de 1 300 à atteindre sur l’année (en 2003, la PAF de Metz a procédé à 650 reconduites, ndlr). On est donc loin du compte. On expulse à tour de bras, on fait les fonds de tiroir. On va chercher tout ce qui peut traîner comme étranger en situation irrégulière. On « fait » beaucoup de familles. Une famille, ça peut faire six personnes. Souvent, ce sont des gens qui sont là depuis plusieurs années. Même les collègues les plus durs chez nous ne comprennent pas" (8).

Accrochée au bâton, il y a la carotte. En effet, au même moment, le Loiret est un des 21 départements choisis pour mettre en place la nouvelle - mais pas novatrice - "aide au retour" des étrangers en situation irrégulière. Gérée par le préfet et la toute nouvelle ANAEM (Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations), cette nouvelle formule propose 3500 € pour un couple, 2000 pour un adulte, 1000 par enfant mineur (jusqu’au 3ème : 500 pour les suivants). le ministère, bon prince et néanmoins futé, précise : "cette somme est versée sur un an, en plusieurs fractions, au moment du départ, et dans le pays de retour du bénéficiaire. Elle s’accompagne d’une prise en charge, pour le bénéficiaire et sa famille, des frais de voyage depuis la ville de résidence en France, jusqu’à la destination de retour dans le pays d’origine" (9).

Pour pimenter le tout, des personnes se réclamant d’une association jusqu’ici inconnue dans le Loiret (le "collectif respect"), en possession d’une liste visiblement bien informée, se présentent alors chez des résidents étrangers pour leur présenter le dispositif et les inciter, avec des arguments décrits comme « menaçants » à s’y soumettre (10). Qui sont donc ces gens, qui les a mandatés et qui leur a fourni les listes ? On apprendra quand même que le fameux collectif, conventionné par la préfecture du Loiret pour effectuer un « accompagnement personnalisé » (11), a été créé au lendemain du match qui avait vu siffler la Marseillaise et possède un président par ailleurs exerçant des responsabilités à l’UMP-Paris. Signe de leur incontestable légitimité, la préfecture, le 22 juin, confirmera leur mission « d’explication sur cette aide (au retour) » (12). Et il ont du pain sur la planche : fin juin, selon nos informations, seulement une vingtaine de dossiers auraient été déposés : ersatz de générosité républicaine, la maigre carotte ne séduit pas.

Résistance citoyenne, avant qu’il ne soit trop tard

Pendant ce temps, dans le Loiret comme partout ailleurs, les mobilisations nées dans les établissements scolaires et centralisées par le Réseau Education Sans Frontières vont grandissantes, alertant l’opinion sur la situation des enfants dont les parents sont sans papiers - mais aussi des mineurs étrangers isolés : dans le Loiret par exemple, sur 75 d’entre eux à être arrivés seuls en France, 26 doivent quitter le pays fin juin s’ils seront majeurs, sinon à la date de leur 18 ans. Bon anniversaire ! C’est indéniablement grâce à cette pression nationale (pétitions, manifestations, repas et spectacles solidaires, etc...) que N. Sarkozy publie une circulaire aux préfets (31 octobre) suspendant les expulsions des parents sans papiers d’enfants scolarisés et des jeunes majeurs scolarisés jusqu’aux vacances d’été 2006.

Dans le Loiret, depuis la rentrée 2005 et jusqu’à aujourd’hui, de nombreuses actions de soutien rayonnent à partir des établissements scolaires concernés ; plusieurs manifestations réunissent à chaque fois des centaines de personnes. On comprend donc la réaction du préfet du Loiret, dont la tâche est contrariée par tous ces jeunes qui s’éveillent à la solidarité : "je suis très critique sur les manifestations organisées avec la participation d’enfants et d’adolescents. J’aimerais qu’on évite de les faire intervenir dans les débats publics et les manifestations" (13). Car le vrai travail du préfet, humaniste et républicain, est fait dans la modestie et la discrétion. Sans rire : "(...) je procède à des régularisations comme un certain nombre de personnes pourraient le dire mais je demande qu’aucune publicité ne soit faite" (14).

Expulsions cassées par les tribunaux, mobilisation citoyenne grandissante : ça commence à sentir le roussi... Heureusement que l’été, temps béni des coups fourrés, arrive ! Le préfet annonce donc, début juin, la suppression du financement de nuitées en hôtel pour personnes en difficulté (500 chambres quotidiennes sur le Loiret, dont 69 à des familles déboutées) et la mise en place d’un nouveau système, toujours bien pratique pour faire le tri : "(...) les étrangers en situation irrégulière, au terme de toutes les procédures, ne pourront pas bénéficier de ce suivi. On ne bâtira pas de projet avec eux. Nous leur proposerons l’aide au retour" (15). On le voit, le cas des adultes sans enfants est ficelé. Mais celui des jeunes scolarisés, et de leurs parents ?

Ca tombe bien, N. Sarkozy se fend, au même moment et de son côté, d’une seconde circulaire aux préfets, annonçant un (très très) relatif assouplissement sur les conditions de délivrance d’un titre de séjour aux parents ayant un enfant scolarisé. Mais bien entendu, rien n’est réglé, comme avait prévenu notre préfet. Il ne s’agit évidemment pas de martyriser des enfants : seulement de rendre la vie un peu plus difficile à leurs parents... Toute famille concernée, au moment de se voir jeter de sa chambre d’hôtel, va s’entendre proposer, une fois de plus et en détail, le retour au pays (dont la prime, au passage, double) ; et la réponse est attendue avant la rentrée, histoire sans doute de pouvoir libérer quelques places dès septembre dans des classes surchargées... Mais si les intéressés persistent ? Il faudra alors déposer une nouvelle demande qui, peut-être, puisque la méthode du cas par cas est toujours de mise, permettra de bénéficier d’un titre de séjour de toute façon temporaire ; car le ministre insiste "sur le caractère ponctuel de ces dispositions d’admission exceptionnelle au séjour" (16) et renvoie au "pouvoir discrétionnaire", c’est-à-dire au bon vouloir du préfet - et donc, en conséquence, de la température locale. A bon entendeur...

Au fait, et vous, vous faites quoi, cet été ?

Rémi Daviau,
ATTAC 45.

Notes :

1 - Association de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés

2 - Entretien avec André Viau, la République du Centre, 24 novembre 2004

3 - Idem, 29 juin 2005

4 - Voir discours encadré

5 - Idem, 26 août 2005

6 - Libération, 19 août 2005

7 - Voir discours encadré

8 - Roland Gatti, gardien de la paix à la Police aux frontières (PAF) de Metz et secrétaire départemental du syndicat général de la police (SGP) Force ouvrière. A la suite de cette interview, la direction du SGP-FO s’était désolidarisée de ses propos... Lire Libération, 20 septembre 2005

9 - Communiqué de la préfecture du Loiret, 08 octobre 2005

10 - La République du Centre, 17 mars 2006

11 - Idem

12 - Communiqué de la préfecture du Loiret du 22 juin 2006

13 - La République du Centre, 09 juin 2006

14 - Idem

15 - La République du Centre, 09 juin 2006

16 - Circulaire du 13 juin 2006

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Quand Sarkozy booste son team de préfets

En 2005, notre ministre de l’intérieur harangue à deux reprises les préfets. Les sans papiers constituent une bonne partie de ses préoccupations, et on n’est pas loin des séances de motivation d’équipes d’un vulgaire Mac-Do... Il faut lire ces allocutions en entendant la voix mâle, le ton volontariste, l’accent va-t-en-guerre du candidat aux prochaines présidentielles. Morceaux choisis.

Intervention du 20 juin 2005

" (...) Je mesure les efforts déjà accomplis pour atteindre les objectifs fixés. Entre 2002 et 2004*, les reconduites effectives ont augmenté de 72 %. Et dans les cinq premiers mois de 2005, 7 885 étrangers ont été éloignés, ce qui représente une progression de 22 % par rapport à la même période de 2004. La mise en place de pôles d’éloignement autour des préfets constitue à cet égard un réel succès, qui servira d’ailleurs de modèle pour d’autres expériences liées à la réforme de l’Etat. (...)

Je fixe à chacun d’entre vous un objectif ambitieux : augmenter de 50 % le nombre d’éloignements effectifs d’étrangers en situation irrégulière par rapport à 2004, ce qui permettra de reconduire cette année 23 000 étrangers en situation irrégulière. Pour cela, j’attends de vous toute l’énergie nécessaire. (...)

Privilégier une immigration de travail, adaptée aux besoins de notre marché suppose aussi de mieux réguler l’immigration familiale. Aujourd’hui, moins de 5 % des immigrés viennent pour répondre à des besoins précis de l’économie, ce qui n’empêche pas les autres, issus de l’immigration familiale, de peser sur le marché du travail. 20 % des étrangers en France sont au chômage et il n’y a aucun sens à faire venir des masses de migrants si on ne peut leur proposer ni emploi durable, ni logement décent pour éduquer leurs enfants. L’immigration familiale est en outre à l’origine de nombreuses fraudes. Je vous demande donc d’être particulièrement attentifs au respect des règles qui conditionnent le regroupement familial. (...) "

* Précédent passage de N. Sarkozy au ministère de l’Intérieur.

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Intervention du 09 septembre 2005

" (...) La lutte contre l’immigration irrégulière doit constituer le deuxième axe majeur de votre action.
Lors de notre dernière rencontre, je vous ai fixé des objectifs chiffrés, en vous demandant de procéder, au minimum, à 23 000 éloignements d’étrangers en situation irrégulière cette année. Je constate qu’à la fin du mois d’août, 12 849 étrangers avaient fait l’objet d’une mesure effective d’éloignement : sur huit mois, 56 % des objectifs ont été atteints. Il vous reste donc cinq mois pour accentuer l’effort. J’observe d’ailleurs que, d’une préfecture à l’autre, les résultats sont inégaux.

Or, j’attends de tous une entière mobilisation. Et j’invite les préfets dont les résultats sont inférieurs à la moyenne à se rapprocher du Centre national de l’animation et des ressources (CNAR) pour bénéficier d’un appui opérationnel. (...)

Plus encore qu’une obligation de moyens, c’est une obligation de résultats qui vous est fixée. Votre implication personnelle, aux côtés des agents des bureaux des étrangers, des policiers et des gendarmes, est une nécessité. Il est de votre responsabilité de mobiliser vos collaborateurs. (...)

Il vous faut aussi ne pas hésiter à utiliser toutes les marges de manœuvre autorisées par la loi. Elles sont réelles. Vous devez ainsi faire usage des pouvoirs que vous donne le code de l’entrée et du séjour des étrangers, quelles que soient les sollicitations locales. Je vous demande de savoir résister aux pressions de tels ou tels "collectifs" ou "coordinations", qui ne représentent qu’eux-mêmes. (...)

Je rappelle, de même, que la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais reconnu un quelconque droit de chacun à mener sa vie familiale où bon lui semble ! La jurisprudence est plus nuancée et en cas de contentieux devant le juge administratif ou le juge des libertés et de la détention, vous devez pouvoir défendre efficacement des dossiers bien préparés, si nécessaire en recourant au service d’avocats. (...)

Pour faciliter les éloignements, j’ai également décidé d’accélérer encore le programme de rétention administrative. (...) Le nombre total de places, qui était de moins de 1000 en juin 2002, atteindra 1800 en juin 2006. Des crédits importants sont affectés à cet effort. (...)

Parallèlement et à ma demande, le ministère des affaires étrangères a engagé la procédure permettant de sanctionner les pays non coopératifs en matière de délivrance de laissez-passer, en limitant le nombre de visas de court séjour que la France délivre à leurs ressortissants. (...)

Je vous demande, en outre, de mener dans chacun de vos départements, d’ici la fin de l’année, une opération exemplaire de lutte contre le travail illégal et les filières d’exploitation d’étrangers en situation irrégulière. Vous vous appuierez sur l’office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titre. Vous me rendrez compte des résultats produits par ces opérations de contrôle. (...)
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* Textes intégraux sur le site Internet du Ministère de l’intérieur.