Droit des travailleurs : "Thaïlande : Décathlon doit jouer le jeu", par le collectif de l’éthique sur l’étiquette (avril 2005) Extrait de la Lettre d’attac 45 n°30, avril-mai 2005.

Premier distributeur français d’articles de sport, quatrième au niveau mondial, Décathlon fait partie de ces géants de l’industrie textile qui ont le vent en poupe. Mais qu’en est-il du respect des droits fondamentaux ?

En 2004, son Directeur Général écrivait une réponse rassurante aux personnes qui l’avaient interpellé, par le biais d’une campagne du collectif « De l’éthique sur l’étiquette » , sur la qualité sociale des produits Décathlon : « Décathlon s’est engagé sur deux codes de conduite : un code de conduite interne (...), et le code de conduite de la FNCASL, Fédération Nationale du Commerce des Articles de Sport et de Loisir2 ». La lettre faisait ensuite référence à l’engagement de l’entreprise sur le « respect de droits fondamentaux », aux audits réguliers effectués par des « organismes externes indépendants » et au contrôle permanent des 2500 fournisseurs par les 400 « Responsables sous-traitant » qui sont sur place. A y regarder de plus près, tous ces « dispositifs » sont néanmoins très insuffisants. C’est malheureusement ce que constatent les ouvriers de l’usine thaïlandaise MSP Sportswear Co. Ltd., qui fabriquent des produits pour Décathlon. Victimes de répression syndicale, ils en appellent à la solidarité internationale pour que les principes publiquement affirmés se traduisent dans la réalité.

Chez MSP Sportswear, les conditions de vie et de travail correspondent hélas aux « standards » de l’industrie du sport : en plus des cadences intenables et des heures supplémentaires qui leurs sont imposées, les ouvrières subissent les insultes de l’encadrement, des fouilles au corps quotidiennes (qui s’apparentent parfois à du harcèlement sexuel), et boivent de l’eau de mauvaise qualité. En novembre 2003, des travailleurs créent une section syndicale pour être en mesure de défendre leurs droits. Dans un premier temps, la direction refuse le dialogue et licencie deux des responsables, mais la mobilisation des ONG locales et la Commission nationale des droits de l’Homme obligent la direction à faire marche arrière quelques mois plus tard. Dès lors, un processus de discussion commence et des améliorations sont obtenues. Cependant l’entreprise va à nouveau rompre le dialogue. En octobre 2004, le syndicat qui vient d’obtenir son enregistrement officiel se lance dans une campagne de recrutement. La direction n’apprécie pas et licencie brutalement trois dirigeants syndicaux le 29 du même mois. Les ouvriers sollicitent alors l’appui d’une ONG locale, le CLIST (Center for Labour Information Service and Training), et le soutien d’organisations internationales pour faire pression sur les deux principaux clients internationaux de MSP Sportswear. C’est ainsi que le réseau européen Clean Clothes Campaign entre en contact avec Nike dès le mois de novembre, tandis que le collectif français De l’éthique sur l’étiquette - membre de ce réseau - interpelle Décathlon pour en savoir plus.

UN MANQUE MANIFESTE DE VOLONTÉ

Les responsables de Nike acceptent de rencontrer les ouvriers, puis participent le 14 décembre à une réunion avec des représentants de MSP Sportswear et un conciliateur du Ministère du Travail. Mais le résultat n’est pas au rendez-vous : la direction refuse la réintégration des trois syndicalistes licenciés et manie la carotte et le bâton pour les réduire au silence. Elle leur propose par exemple une indemnisation pour qu’ils renoncent à leurs droits, puis licencie la mère de l’un d’entre eux ! Face à ce blocage, Nike choisit finalement la passivité et s’en remet à la procédure locale, alors que les principes de son code de conduite devraient l’obliger à faire tout ce qui est en son possible pour que son fournisseur respecte les droits syndicaux. Décathlon, quant à lui, a fait mener un audit chez MSP Sportswear en décembre 2004. Cet audit a été suivi en janvier 2005 d’une mission en Thaïlande de la Responsable de la qualité sociale, durant laquelle une rencontre a eu lieu avec le CLIST. Mais les informations issues de cette mission restent confidentielles et il semble bien qu’aucune suite favorable ne soit donnée aux revendications des ouvrières et de leurs partenaires internationaux.

PRESSIONS INTERNATIONALES CONCERTÉES

Principaux donneurs d’ordres de MSP Sportwear, Nike et Décathlon sont conjointement responsables de la situation sociale chez ce sous-traitant. Encore faudrait-il qu’ils consentent à agir dans ce sens. Face à leurs tergiversations, une campagne internationale est lancée. Une plainte a été déposée aux Etats-Unis contre Nike devant la Fair labor association (FLA), un organisme multipartite de « vérification de la qualité sociale » dont la multinationale est partie prenante. Cette possibilité n’existe pas pour Décathlon, qui n’appartient à aucun organisme de ce typeDans le même temps, une mobilisation est lancée auprès des consom’acteurs pour qu’ils interpellent les deux compagnies. Tandis que les organisations basées aux Etats-Unis se focalisent sur Nike, nos partenaires thaïlandais et internationaux comptent sur la mobilisation européenne - et en particulier française - pour faire bouger Décathlon. Afin que le n°1 du sport français ne se contente plus de déclarations de principe mais joue concrètement le jeu des droits de l’Homme.

1 Campagne « Jouez le jeu pour les JO » 2004
2 Aujourd’hui FPS, Fédération Professionnelle du Sport
3 Cf. Collectif de l’éthique sur l’étiquette, Entreprises et qualité sociale, Dossier 2004, janvier 2004, 55p.

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DE L’ÉTHIQUE SUR L’ÉTIQUETTE

Le collectif De l’éthique sur l’étiquette regroupe 43 ONG, syndicats et mouvements de consommateurs. Il agit en faveur du respect des droits de l’Homme au travail dans le monde et de la reconnaissance du droit à l’information des consommateurs sur la « qualité sociale » de leurs achats, c’est à dire l’ensemble des conditions de travail des personnes qui ont participé à la production d’un produit ou d’un service.
Pour progresser vers cet objectif, le Collectif mobilise l’opinion publique pour faire pression sur les décideurs économiques et politiques, notamment par le biais de campagnes de pression. Ainsi, dans le cadre de la campagne « Jouez le jeu », les militants locaux du collectif interpellent les responsables des magasins appartenant aux leaders français de la distribution (dont Décathlon) pour que ces derniers donnent des informations concrètes sur leur gestion de la qualité sociale.

Plus d’infos : Collectif ESE c/o ADM - 53 Bd de Strasbourg 75010 Paris -
WWW.ETHIQUESURETIQUETTE.ORG