L’insertion des jeunes en quartiers défavorisés : témoignage orléanais (févr. 2006) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°35, février-mars 2006.

La personne qui s’exprime ci-dessous travaille dans un quartier prioritaire du Loiret.

« Pour moi, il est évident que ces jeunes ne remettent pas du tout en cause la société de consommation : ils demandent à y accéder. Il ne faut pas non plus s’étonner de les voir désabusés devant leurs grands frères et sœurs, diplômés, qui ne trouvent pas de travail : les promesses comme « passe des diplômes, acquiers des qualifications, et tu auras du boulot », ça ne fonctionne plus automatiquement !

Par ailleurs, de nombreux parents d’origine étrangère ont été accusés de démissionner face à leurs enfants. Souvenons-nous que ce sont des gens qui ont parfois très peu d’autonomie administrative, géographique, professionnelle et sociale, et qui ont peu accédé à ce qu’ils attendaient de la France : niveau de vie correct, éducation... Je crois que ça joue sur la vision qu’ils ont d’eux-mêmes et de la légitimité de leur autorité sur leurs enfants. Les pères sont venus travailler comme bêtes de somme dans les fonderies, les usines, le bâtiment ou l’agriculture, ils en sont sortis sans qualification reconnue, cassés du dos, et toujours analphabètes : ils sont maintenant considérés comme inemployables, alors qu’ils ont travaillé autant qu’on a voulu les faire trimer... Ils ne se reconnaissent pas l’autorité du père nourricier qui fait vivre sa famille ; par ailleurs, les mères n’ont pas souvent légitimité à assurer l’autorité, étant souvent issues d’une culture où le rôle des femmes n’est pas de commander. Lorsque les enfants sont les seuls à savoir lire, à parler correctement français, ils font le lien avec l’extérieur et s’octroient l’autorité. On a un renversement du rôle de chacun dans la famille. Les familles où « ça marche » sont celles où les parents ont conservé cette légitimité, et donc exercent leur autorité. Ceci dit, ce type de situation pourrait changer car nous ne sommes bientôt plus à la seconde mais à la troisième génération.

J’entends régulièrement des jeunes se plaindre de la discrimination à l’emploi ; et c’est vrai qu’il arrive d’avoir des remarques un peu bizarres quand on appelle une entreprise pour présenter la candidature d’un jeune... Il y a aussi ce qu’on appelle les « incivilités policières », dans le quartier : les bras d’honneur de la part de la police, les regards trop insistants, les amendes sur les voitures qui ne changent pas assez souvent d’emplacement, simplement parce que leur propriétaire n’a pas de travail... Du point de vue du rôle de la police, les îlotiers ont disparu, ces policiers qui patrouillaient à pied dans le quartier, apaisaient les situations, discutaient avec la population de tout âge, expliquaient la loi sans systématiquement verbaliser... On est passé en quelques années de manière évidente d’une police de proximité à une police de répression, éloignée de la population.

En ce qui concerne l’accompagnement des jeunes vers la formation et l’emploi, et donc une insertion professionnelle durable, après avoir « cassé » le programme TRACE mis en place en 1998 par un gouvernement dit de gauche, dans le cadre de la loi contre les exclusions en direction des jeunes les plus en difficultés, le gouvernement propose deux ans plus tard le contrat CIVIS* (contrat d’insertion dans la vie sociale) dans son plan de cohésion sociale. A l’heure actuelle il y a effectivement plus de personnel pour accompagner les jeunes ; mais il manque encore des locaux équipés, du matériel, internet pour consulter les annonces... Autant dire que c’est un démarrage lent ! Il faudrait aussi que les antennes emploi lies aux mairies, ANPE, quelquefois aux Missions Locales, dans les quartiers dits prioritaires, dans les communes, bénéficient de moyens stables en proportion de la population locale.

Les publics les plus fragiles sont laissés de côté : peu de stages sont prévus (temps plein, rémunérés) pour les jeunes (français) qui ont de grosses difficultés avec la lecture et l’écriture ; ces problèmes sont aujourd’hui considérés comme faisant partie de l’insertion sociale, et non plus de l’acquisition classique de connaissances ; du coup, d’anciens financeurs se sont retirés, et ceux qui ont compétence à gérer l’insertion sociale refusent, arguant que ce n’est pas de leur ressort... Avec la décentralisation, chaque institution ou collectivité demande à l’autre de payer… Les étrangers qui ont besoin d’apprendre la langue française et les repères de la société dans laquelle ils sont amenés à vivre sont dans la même impasse : avec la suppression progressive de toutes les formations appropriées, il ne va bientôt plus rester que les cours animés par des bénévoles : peu de formation des animateurs, peu de moyens, peu d’heures à offrir au public... ou bien l’Université pour la minorité qui peut y accéder. Plus d’action dans le dispositif de formation professionnelle !

Pour les jeunes - comme pour les autres d’ailleurs, on assiste à une raréfaction de la diversité de l’offre de formation publique : les stages axés sur l’idée de développement, d’épanouissement personnel, afin de prendre (ou reprendre) des repères et une confiance en soi, d’acquérir des compétences utiles dans la vie sociale mais également indispensables sur le marché du travail, ne sont pratiquement plus financés hors du programme CIVIS (qui ne s’adresse qu’aux moins de 26 ans, de niveau inférieur à bac+2. Si vous n’êtes pas dans la bonne case …). De manière générale, avec la décentralisation, c’est à qui ne paiera pas ! Dans beaucoup de localités, on assiste à des bras de fer entre l’Etat, le Conseil Régional, et le Conseil Général. Le discours du Conseil Régional, qui est censé être maintenant l’initiateur principal en terme de formation, c’est : L’Etat nous a attribué les compétences, mais pas le budget en conséquence ! En fait, la diminution des moyens, ajoutée à l’option idéologique de l’emploi comme seul moyen d’être utile socialement, fait que les crédits sont concentrés sur les publics qui paraissent les plus vite employables ; il faut un retour à court terme sur l’investissement formation ! »

* TRACE : Suivi plus fréquent des jeunes de 18 à 24 mois , possibilité d’une allocation entre deux périodes d’emploi ou de formation rémunérée. CIVIS : suivi plus fréquent des jeunes (période d’un à 10 ans), avec une dotation plus importante en personnel, possibilité d’allocation comme dans TRACE mais somme diminuée de moitié, possibilité d’accéder à des actions de formation complémentaires à celles financées par le Conseil Régional.