Les retraites : interview express de Jean-Marie Harribey (févr. 2003) Extrait de la Lettre d’attac 45 n°17, février 2003

Jean-Marie Harribey est professeur de Professeur agrégé de sciences économiques et sociales, Maître de Conférences en sciences économiques à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV (Centre d’Economie du Développement). Docteur habilité à diriger des recherches en sciences économiques, il est également Membre du conseil scientifique d’ATTAC, de la Fondation Copernic et de la rédaction de la revue « Le Passant Ordinaire ».

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A l’occasion de son passage à Orléans, Attac 45 a posé quelques question à Jean-Marie Harribey1 sur le thème des retraites. Interview :

1. Quels sont les vrais et les faux enjeux du débat sur les retraites ?

Le principal enjeu est de savoir comment se répartira la richesse produite dans les prochaines décennies. Le patronat et le gouvernement veulent figer la masse salariale en dépit de l’accroissement de la productivité du travail (sans doute un doublement dans les 40 prochaines années). En augmentant de 5 à 7 ans la durée de cotisation ( de 37,5 ans à 40 puis 42 et 45 ans), ils sont sûrs que la majorité de ses salariés ne pourront jamais prendre leur retraite à taux plein. Le discours sur la nécessité d’augmenter le taux d’activité est une escroquerie intellectuelle car l’accroissement de la durée de cotisation n’augmente pas le taux d’activité lorsque le chômage reste élevé et qu’il n’y a pas de création d’emplois. Le vrai choc ne sera donc pas démographique mais social.

2. A qui profite la réforme de 1993 ?

Elle a introduit trois dispositions catastrophiques : l’allongement de la durée de cotisations pour les salariés du privé, calcul de la pension sur les 25 meilleures années au lieu des 10, indexation sur les prix au lieu des salaires. La baisse du niveau des pensions qui va en résulter sera d’au moins 20%. A qui cela profite-t-il ? Bien entendu aux détenteurs de capitaux dont les revenus vont pouvoir s’accroître à un rythme plus élevé que celui du produit total. C’est ainsi que la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée a reculé de près de 10 points de PIB depuis 20 ans (à comparer avec les 0,3 point nécessaires pour revenir tous à 37,5 annuités). Le pari de la classe dominante est que cet accaparement perdurera.

3. Y a-t-il des chances pour que l’on puisse contrecarrer les projets de réforme libéraux alors qu’on n’a rien pu faire en 1993 ?

Elles sont modestes. Mais en 1993, il n’y avait pas encore le renouveau du mouvement social. C’est celui-ci qui peut constituer notre seule chance. A nous de la jouer. Vite. Le temps presse. Mais les manifestations du 1er février sont un bon signe. Ne nous laissons pas intoxiquer par les sondages disant que les Français souhaitent passer à 40 ans de cotisations alors qu’on leur a posé une question biaisée : « Souhaitez-vous l’égalité entre le public et le privé ? » Qui ne le souhaiterait pas ? Posons-leur la question : « Souhaitez-vous que la durée soit pour tous de 37,5 annuités si les richesses produites sont suffisantes ? » La réponse ne fera aucun doute. Tout l’argumentaire libéral sur les retraites est faux de A jusqu’à Z. Encore un exemple : il serait paraît-il
impossible de relever les taux de cotisations vieillesse alimentant les caisses de la Sécurité sociale à cause du niveau trop élevé des prélèvements obligatoires alors que cela le deviendrait pour aller grossir les fonds de pension. Un dernier exemple : si la capitalisation était une solution, pourquoi les fonds pension anglais ont-ils réclamé le recul de l’âge de la retraite à 70 ans ? Ont-ils compris ce que le salariat dit depuis deux siècles : seul le travail crée de la valeur ?

Sur les retraites, consulter :