Il y a 60 ans, la sécu : une idée de société égalitaire, par Charles Huard (oct. 2005) Extrait de la Lettre n°33, octobre-novembre 2005

C’est dans le contexte particulier de la libération que la Sécurité sociale est créée en octobre 1945. Elle était, avec la nationalisation d’importants secteurs de l’économie, l’une des principales revendications du Conseil National de la Résistance et fera l’objet du compromis négocié par le Parti communiste pour faire déposer les armes aux milices populaires et « retrousser les manches » aux travailleurs. Elle sera ainsi l’une des contreparties à la restauration de "l’État bourgeois", concédé face à la menace de poursuite de la libération du territoire vers une révolution sociale.

Mais dès sa création elle devenait pour le patronat une conquête sociale à abattre, car elle manifestait l’existence dans une société dominée par les valeurs capitalistes de valeurs alternatives : socialisation des moyens et satisfaction égalitaire des besoins.

Depuis, les attaques contre la Sécu n’ont pas cessé :

 Les Ordonnances de 67 notamment remettent en cause la gestion par les représentants élus des salariés (3/4 du Conseil d’administration, le 1/4 restant aux élus des employeurs) en instituant le paritarisme - moitié Salariés, moitié Employeurs - (1)et en instituant la séparation en 3 gestions distinctes - Maladie, Famille, Vieillesse (2).
 Depuis les années 70, le niveau des prestations n’a cessé de diminuer (taux de remboursement Maladie, allocations familiales, pensions de retraites). Ainsi, la France est aujourd’hui l’un des pays d’Europe où les dépenses de santé restant à la charge de l’assuré sont les plus lourdes.
 La tutelle de l’État introduit par les Ordonnances de 67 n’a cessé de se renforcer jusqu’aux Ordonnances Juppé en 94 imposant le vote du budget de la Sécu au parlement et la mise en place des ARH (Agences régionales d’hospitalisation).

Mais la contre réforme Chirac-Raffarin-Douste Blazy de 2003 a une plus grande ampleur que ce qui s’était fait jusque là Elle vissait un démantèlement complet de l’Assurance maladie par la mise en place d’un système à 3 niveaux :

 Un premier niveau pour la couverture minimale (sur le modèle de l’actuel CMU), en régime de sécurité sociale obligatoire couvrant les maladies graves ;
 Un second niveau, en régime complémentaire facultatif, pour les soins les plus courants ;
 Un troisième niveau couvrant les soins non pris en charge par les deux premiers niveaux : une sur-complémentaire pour ceux qui en auront les moyens.

Avec l’instauration de ces 3 niveaux de couverture Maladie, ou les plus riches seront les mieux soignés, c’est le principe égalitaire d’accès aux soins gratuit pour tous, que la Sécu tentait de réaliser, qui se trouve remis en cause (3).

Ces objectifs poursuivis par l’actuel gouvernement s’inscrivent dans sa logique libérale :

 Réduire le coût du travail en allégeant les cotisations Employeurs pour les reporter sur les salariés (4). Ainsi il ne restera que la part Employeur du régime obligatoire (1er niveau).
 Diminuer la part du salaire socialisé (cotisations sociales) au profit du recours individuel à l’assurance (dans une logique comparable à la réforme des retraites avec la capitalisation), mais aussi au profit de la fiscalisation (la CSG institué par la Gauche - PS/PC/Vert - a été le premier coin enfoncé dans le système).
 Combiner cette contre réforme avec celle de l’hôpital public, dont le financement est à 100% pris en charge par la Sécu. Ainsi le projet « Hôpital 2007 » se résume à confier au Privé les soins les plus rentables et au Public les plus coûteux.

Charles Huard
Attac 45

(1) Avec les Ordonnances de 67, les représentants ne sont plus élus mais désignés par les syndicats ouvriers et par les organisations patronales. Les élections sont rétablies en 82 mais celles devant avoir lieu en 1989 sont toujours reportées...

(2) Une séparation pour affaiblir la Sécu car, compte tenu de son budget, elle était plus puissante que l’État (malgré un secteur nationalisé encore important). En effet, qu’aurait-on à objecter si les assurés, qui géraient eux-mêmes la Sécu, demandaient à contrôler la finalité de la production, de l’enseignement, à revoir les fondements de la hiérarchie sociale, de la répartition des richesses ?

(3) Dans les faits, ce principe est déjà mis à mal par les réformes successives qui ont précédé. Ainsi les fondateurs de la Sécu seraient bien dépités de constater qu’aujourd’hui l’espérance de vie moyenne (en tant que finalité de l’Assurance maladie) est plus important à Nice qu’à Roubaix, pour les cadres que pour les ouvriers, et que cet écart a augmenté.

(4) Ces cotisations, dites patronales, représentent pourtant du salaire différé. Ainsi cet escamotage de salaires dégradera davantage encore l’état de la répartition des richesses qui en 30 ans à fait passer la part revenant au travail de 10% à 8%. Les récentes annonces d’une nouvelle charrette de déremboursement de médicaments (près de 150 aujourd’hui , plus de 250 il y a quelques mois, et plusieurs centaines cumulés précédemment) illustrent cette logique libérale. Ainsi en excluant du remboursement ces médicaments, le gouvernement en fait supporter la charge financière aux mutuelles, dès lors que ces médicaments restent prescrits, et finalement à l’assuré car les mutuelles répercutent ces remboursements dans les cotisations. Le patronat peut ainsi poursuivre sa course à l’allégement des « charges » (en fait la part du salaire socialisée que représente la cotisation Employeur) et les trusts pharmaceutiques poursuivre leur politique commerciale de surconsommation médicale.

(5) Le déficit de la Sécu à été de 6 milliards d’euros en 2002 et de 10 milliards en 2003. Il est à mettre en correspondance avec le détournement de 20 milliards d’euros par an qu’opère l’État (taxes sur le tabac et l’alcool, sur l’industrie polluante, sur les primes d’assurance Auto) et les exonérations massives de cotisations sur les bas salaires dont bénéficient les patrons. En 2004 et 2005 de nouveau des déficits « abyssaux » ont été annoncés. Cette situation illustre bien le fait que la contre réforme de la Sécu n’a pas pour objectif de combler le trou mais plutôt vise son démantèlement. A ce propos, signalons aussi que les dépenses de soins correspondent, pour près des trois quarts, aux honoraires des médecins qui se sont vu augmenter par ceux-là même qui feignent de s’alarmer du déficit de la Sécu !