Le couvre-feu couve encore à Orléans, par Mourad GUICHARD (février 2006) Publié dans Libération, vendredi 17 février 2006

La mairie a reconduit cette mesure au quartier de la Source. Incompréhension dans la cité.

Florent Montillot est adjoint au maire UMP d’Orléans en charge de la sécurité. Après l’instauration d’un premier couvre-feu en novembre sur toute la commune pendant les émeutes de banlieues, puis l’annonce de quelques mesures sociales (à l’image des parents-relais rémunérés par la mairie et censés ramener l’ordre dans les cités), il savourait, non sans emphase, les fruits d’un retour au calme. Evoquant grâce à cette politique « des chiffres incroyables » et un « effondrement de la délinquance ».

Et voilà qu’à ses yeux, tout recommencerait. Le contraignant à reconduire mercredi soir un nouveau couvre-feu jusqu’au 5 mars pour les moins de 16 ans. Et à interdire la vente et le transport d’essence aux mineurs jusqu’au 31 mai. Deux mesures qui, cette fois-ci, ciblent uniquement le quartier populaire de la Source. « De nombreux incendies de poubelles et de voitures ont été provoqués en janvier et début février dans [ce] quartier et il a été signalé à de nombreuses reprises que des mineurs se livraient à un usage détourné de liquide inflammable », a déclaré le maire Serge Grouard dans un communiqué (1). Des incidents mineurs, aux dires de policiers locaux.

Surenchère.

A Orléans, beaucoup ne comprennent pas. Halil, un salarié de 23 ans, est attablé avec ses amis Husseyin et Oguz au bar le France, l’un des derniers bistrots animant la vie de quartier de la Source. Ils accueillent tous trois cette décision avec désarroi. « Les policiers passent déjà leur temps à nous contrôler, dénoncent-ils. Pour rien. » Un sentiment que partage Gérard Casadéi, unique agent immobilier de la Source : « Ce n’est pas un quartier à problèmes. Un exemple ? La revente des biens immobiliers y est aisée. Il faudrait simplement que les pouvoirs publics, les forces de l’ordre et les investisseurs portent un autre regard, insiste-t-il. Pourquoi aucun cinéma ne vient-il s’implanter ici ? »

Un effort que la municipalité semble reléguer au second plan, préférant stigmatiser « le 1 % de familles qui pose problème ». « Si l’on parle d’une quantité aussi négligeable de personnes à problèmes, pourquoi prendre un tel arrêté ? s’interroge Jean-Pierre Sueur, sénateur socialiste et habitant du quartier. Ce couvre-feu constitue une surenchère ultra-sécuritaire qui ne contribue pas à redorer le blason de la Source. » Un avis que partagent Halil et ses amis : « Ces mesures braquent les jeunes contre les policiers. Ce qu’il faudrait, c’est militer pour l’emploi et occuper les plus jeunes, au lieu de les montrer du doigt. »

Visite au « zoo ».

Pour justifier cet arrêté, les élus avancent un autre argument : « L’accélération du chantier du grand projet de ville (GPV) à la Source dérange une poignée de délinquants. » Une hypothèse que réfute Michel Ricoud, président de la Confédération nationale du logement : « Lorsque l’on augmente les loyers, que l’on enchaîne démolitions sur reconstructions, il ne faut pas s’étonner de certaines réactions. Quant aux vrais délinquants, ils sont trop heureux que l’on oublie leur quartier. Ce n’est pas leur intérêt d’attirer médias et policiers. » Une logique qui semble échapper aux élus orléanais. Et à la Source, chacun se rappelle les circonstances de leur dernière visite : « Ils sont venus nous voir comme au zoo, dans un bus protégé, des fois que nous, les animaux, ne les agressions ! » raconte un habitant.

(1) La mairie n’a pas souhaité répondre aux questions de Libération.