POUR LA REFONDATION DÉMOCRATIQUE DE L’EUROPE : déclaration d’Attac-France ; déclaration des Attac d’Europe (été 2005) Extrait de la Lettre d’Attac 45 n°31-32, été 2005

POUR UNE REFONDATION DEMOCRATIQUE DE L’EUROPE

Déclaration adoptée à l’unanimité par le Conseil d’administration d’Attac-France, le 5 juin 2005

Le rejet du traité constitutionnel européen par le peuple français le 29 mai, suivi, trois jours plus tard, par le « non » d’un autre Etat fondateur de la Communauté économique européenne (CEE), les Pays-Bas, indique sans ambiguïté que les fondements mêmes de la construction européenne sont désormais en question. Ce sont eux qu’il convient de remettre à plat en vue de bâtir une Europe solidaire, tant en son sein qu’avec le reste du monde et avec les générations futures. Une Europe démocratique, sociale, écologique et féministe. Une Europe internationaliste et réellement indépendante des Etats-Unis.

L’inscription des politiques européennes dans la mondialisation libérale, tout particulièrement depuis l’Acte unique (1986) et le traité de Maastricht (1992), provoque, de manière délibérée, une situation d’insécurité économique et sociale généralisée. Le primat de la concurrence « libre et non faussée » sur toute autre norme, ainsi que la liberté absolue accordée aux mouvements de capitaux, de biens et de services, ont abouti à faire de l’Union européenne un espace de « tout-marché », seulement doté de quelques correctifs à la marge.

En l’absence des mesures de solidarité et d’accompagnement financier de grande envergure qui s’imposaient, l’incorporation de 10 nouveaux Etats membres, le 1er mai 2004, a constitué un simple élargissement du marché. Elle encourage et même organise le dumping social et fiscal, ainsi que les délocalisations. Et cela au seul bénéfice des entreprises et du capital financier. Ce sont les bases de cette Europe-là que le traité prétendait constitutionnaliser. Ce sont elles que le peuple français a massivement désavouées.

Par leur niveau de participation sans précédent à un scrutin européen, les citoyennes et les citoyens ont également signifié qu’ils n’acceptaient plus d’être dépossédés de la maîtrise de leur avenir par des mécanismes de décision européens sur lesquels ils n’ont aucune prise réelle. Ils ont très bien compris que les politiques néolibérales conduites au niveau national par les gouvernements français depuis deux décennies et celles décidées au niveau de l’Union étaient une seule et même chose, et ils ont voulu leur donner un coup d’arrêt.

Une bonne partie des classes populaires, celles qui, par le chômage, la pauvreté et la précarité de masse, sont les premières victimes de ces politiques, ont pris conscience du caractère historique du vote du 29 mai et, à cette occasion, dans l’espérance d’un changement, elles ont retrouvé le chemin des urnes. Il en va de même pour les jeunes qui se sont majoritairement prononcés pour le « non ». C’est là une grande victoire de la démocratie, mais elle témoigne en même temps de la très grave crise de la représentation politique en France et en Europe. Tout indique en effet que certaines ratifications parlementaires du traité, souvent acquises à la sauvette, sont en complet décalage avec l’opinion des citoyens. C’est en particulier le cas de l’Allemagne.

Comme le lui reprochent véhémentement les partisans du « oui », Attac a joué le rôle de fer de lance de la campagne référendaire, aussi bien dans la production des analyses et argumentaires que dans l’action sur le terrain. Les adhérents et les structures de l’association, agissant « tous ensemble », se sont mobilisés pour expliquer le contenu et les enjeux du traité. En particulier, les comités locaux d’Attac, tant par leurs initiatives propres que par leur participation à des collectifs plus larges, ont eu un rôle décisif dans le succès du « non ». Une dynamique unitaire originale, associant militants altermondialistes, syndicaux, associatifs et politiques, ainsi qu’un très grand nombre de citoyennes et citoyens sans affiliation, s’est créée à l’occasion de cette campagne. Cette alchimie étonnante a été l’une des causes fondamentales de la victoire.

Attac France a bénéficié d’une solidarité exceptionnelle de la part des autres Attac d’Europe. Les « Volontaires européens » venus d’une douzaine de pays, et qui ont sillonné la France de meeting en meeting, méritent notre reconnaissance particulière. Démentant par leur présence fraternelle les allégations calomnieuses des partis du oui, ils ont authentifié le sens de l’engagement d’Attac pour une autre Europe à construire ensemble. S’est ainsi renforcé un début d’espace public européen appelé à s’élargir.
La campagne du « oui » a été relayée par une propagande d’Etat, dotée de considérables moyens financiers venant du gouvernement français et de la Commission européenne, et agissant de conserve avec la quasi totalité des médias. Ces derniers, faisant preuve d’une partialité inouïe, ont tenté de dénaturer le sens de l’engagement d’Attac et des autres partisans du « non » démocratique, en présentant le référendum comme un plébiscite pour ou contre l’Europe, alors qu’il s’agissait, à la faveur de la question posée, de dire oui ou non au néolibéralisme.

Les grands médias ont présenté le « non » comme une démarche pathologique, et répercuté à satiété quelques-unes des injures tirées du bestiaire de certains ténors du « oui » : « moutons noirs », « singes savants », « serpent », etc. Le plus extraordinaire est qu’ils continuent sur le même registre depuis le 29 mai, comme si le peuple français n’avait pas tranché ! Leur fiasco a été total. Non seulement ils ont piteusement échoué à convaincre, mais ils ont été contraints, comme l’ensemble du camp du « oui », ou bien de fuir les débats contradictoires « traité en main » ou bien de se battre à contre-emploi sur les thèmes imposés par notre campagne : droits sociaux, services publics, démocratie - en un mot la question néolibérale - et indépendance envers les Etats-Unis. A la crise de la représentation politique, s’ajoute de manière spectaculaire la crise de la représentation médiatique. Il n’est désormais plus possible d’occulter le rôle du système médiatique dans la promotion active du modèle néolibéral.

Malgré l’arsenal déployé à son service, le néolibéralisme a subi un échec cuisant. De tous les pays d’Europe et des autres régions du monde, affluent les témoignages de joie et de sympathie provenant des Attac et d’autres mouvements sociaux. Ils considèrent légitimement que notre victoire est aussi la leur. Un grand espoir est né, qui dépasse largement le cas de la France, et le premier devoir de toutes celles et tous ceux qui ont contribué à la victoire du « non » démocratique, antilibéral et européen - majoritaire au sein du camp du « non » -, est de ne pas le décevoir. Dans les jours, semaines et mois à venir, Attac mettra tout en oeuvre pour être à la hauteur de ce défi - celui d’une refondation démocratique de l’Europe -, aussi bien dans ses activités spécifiques que dans celles auxquelles elle participera dans des collectifs unitaires.
(...)

Attac, Montreuil, 5 juin 2005.

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POUR LA REFONDATION DEMOCRATIQUE DE L’EUROPE

DECLARATION DES ATTAC D’EUROPE

Bruxelles, le 16 juin 2005.

Une réunion des Attac d’Europe s’est tenue le 16 juin 2005 à Bruxelles à l’occasion du dernier Conseil européen de la présidence luxembourgeoise. Une déclaration a été adoptée, qui prévoit la mise en place d’une Convention des Attac d’Europe et la mise en oeuvre d’un Plan ABC pour l’UE. Cette déclaration fixe le contenu et le calendrier des actions communes des Attac d’Europe pour les mois à venir.

La Convention des Attac d’Europe et un Plan A B C pour l’UE

Les « non » français et néerlandais au traité constitutionnel, et l’impact positif qu’ils ont eu sur les opinions publiques en Europe, signifient un rejet catégorique des politiques néolibérales menées depuis des décennies au niveau européen. Cette situation constitue une opportunité historique pour lancer un vaste débat démocratique sur la nature du projet européen que nous voulons. Pour donner un contenu concret à l’immense espoir suscité par l’échec que le néolibéralisme a essuyé les 29 mai et 1er juin, les représentants des Attac d’Europe réunis à Bruxelles le 16 juin 2005, à l’occasion de la tenue du Conseil européen, annoncent la mise en place d’une Convention des Attac d’Europe. Cette Convention propose un Plan ABC qui va se développer dans le court et le moyen terme. Son programme de travail démarre dès aujourd’hui. Il suivra l’agenda institutionnel de l’Union européenne, tout en élaborant le sien propre.

Plan A : des actions et des mobilisations contre les politiques libérales européennes

Une refondation démocratique de l’Europe implique dans l’immédiat une série de mesures urgentes de rupture avec les politiques néolibérales :

1.Demande du Conseil à la Commission de retirer tous les projets de directives européennes de libéralisation en cours (notamment la directive Bolkestein, celle sur le temps de travail, sur les transports ferroviaires...), ainsi que le plan d’action sur les aides d’Etat.

2.Réunion d’urgence de l’Eurogroupe pour exiger de la Banque centrale européenne une modification substantielle de la politique monétaire incluant la baisse des taux d’intérêt.

3.Engagement de développer une véritable politique pour l’emploi, passant notamment par la remise à plat du pacte de stabilité.

4.Progression substantielle du budget européen pour mener une politique sociale et pour augmenter le montant des fonds structurels à destination des pays nouveaux entrants afin de les aider dans leur développement, au lieu d’encourager le dumping social et fiscal, ainsi que les délocalisations.

5.Organisation d’une relance économique européenne, y compris par l’emprunt, fondée sur des investissements dans les infrastructures publiques contribuant à améliorer l’environnement, les transports ferroviaires, l’éducation, la santé..., et visant à la création d’emplois.

6.Moratoire sur les négociations de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) à l’OMC.

7.Mise en place de mesures visant à la suppression des paradis fiscaux et à la promotion des taxes globales et de l’harmonisation fiscale en Europe.

8.Remise à plat de l’ « agenda » de Lisbonne (Conseil européen des 23 et 24 mars 2000) et de l’agenda social 2005-2010, en vue de les mettre au service du progrès social et écologique.

9.Accroissement de l’aide publique au développement à 0,7 % du PIB des Etats membres de l’Union ; engagement plus fort dans les « Objectifs du millénaire » et annulation de la dette des pays pauvres.

10. Fin du soutien à l’occupation de l’Irak et retrait immédiat des troupes de pays membres de l’Union.

Ce plan A comportera une série d`actions menées au niveau national et européen, et qui culmineront à Bruxelles en décembre 2005 par une grande mobilisation à l’occasion du dernier Conseil européen sous présidence britannique.

Plan B : pour des institutions européennes réellement démocratiques

Les Attac d’Europe sont attachés à l`existence d`institutions européennes authentiquement démocratiques, ce qui n’était pas le cas dans le projet de traité constitutionnel. Il faudra, en particulier, donner un rôle important aux Parlements nationaux, tout en élargissant celui du Parlement européen ; retirer à la Commission le monopole de l’initiative législative, ainsi que les pouvoirs exorbitants dont elle dispose en matière de concurrence ; donner aux citoyens un droit véritable d`initiative populaire ; faciliter les coopérations renforcées. Tous les Attac d`Europe discuteront en leur sein et entre eux du contenu d`un nouveau traité portant exclusivement sur les institutions européennes. La première réunion de la Convention des Attac d`Europe prévue en décembre 2005 fera le bilan de ces propositions.

Plan C : pour une autre Europe possible

Si importantes qu’elles soient, les mesures de démocratisation institutionnelle du Plan B ne répondent que très partiellement aux attentes des vastes secteurs populaires qui veulent aussi donner un contenu démocratique, politique, pacifique, social, culturel, écologique et féministe à la construction européenne. C’est l’ensemble des politiques de l’Union qui doit faire l’objet d’une remise à plat.

L’ambition du Plan C est de permettre la naissance d’un vaste chantier démocratique pour une alternative à l’Europe néolibérale. Il s’agit d’élaborer un projet européen de solidarité : solidarité au sein de l’UE ; solidarité entre l’UE et le reste du monde ; solidarité avec les générations futures. Les mesures demandées dans le Plan A en constituent une première étape indispensable.

Toutes les composantes de chaque Attac d’Europe seront associées à l’élaboration de ce plan C : structures nationales, régionales, et locales. Dès cet automne, cette dynamique partant de la base convergera vers la préparation de la réunion de la Convention des Attac d’Europe de décembre 2005. Ce travail se prolongera ensuite sur une plus longue période.

La Convention des Attac d’Europe examinera également la manière de s’associer aux diverses initiatives qui pourront être prises par les différents mouvements sociaux et réseaux européens, notamment dans le cadre du Forum social européen d’avril 2006.

Une autre Europe est possible. Nous la construirons ensemble !