France 3 Centre met les magistrats en ébullition, par Mourad Guichard (juin 2006) Publié dans Libération, jeudi 29 juin 2006

Un reportage sur le procès des anti-OGM trop partial selon les juges.

Les OGM seraient-ils dangereux pour la liberté de la presse ? C’est la question qui court depuis la fin de semaine dernière dans le Loiret. L’affaire remonte au 17 mai. Il est 19 heures lorsque Xavier Naizet, journaliste à France 3 Centre, présente son compte-rendu du procès en appel, à Orléans, de faucheurs de maïs transgénique. Evoquant la mise en délibéré et après s’être appuyé sur l’exemple d’Outreau pour souligner « à quel point la justice est fragile », il conclut en ces termes : « La cour d’appel est composée d’un président et de deux magistrats. [...] Ça nous rappelle à quel point la justice est rendue par des hommes. [...] Mais il paraît que dans les ministères, à Paris, on s’intéresse de très près à l’arrêt qu’ils vont rendre et ils ne seront peut-être pas si seuls, finalement... »

Perquisition.

Une sentence que les magistrats orléanais prennent pour une provocation. Jacques Marion, premier président de la cour d’appel, parle de « propos haineux et venimeux ». Il alerte Gervaise Taffaleau, la procureure générale, qui elle-même demande la copie des bandes à Dominique Delhoume, rédacteur en chef de France 3 Centre. Celui-ci refuse. Les bandes sont alors saisies au cours d’une perquisition. Quelques jours plus tard, une motion de l’assemblée générale des magistrats du siège est adressée au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), aux médias locaux et à l’Agence France Presse. Elle parle de « commentaires malveillants voulant convaincre le téléspectateur que la décision finale pourrait être dictée par le gouvernement ». Elle demande que « le droit à l’information s’exerce avec plus de rigueur ». Puis, plus rien. Jusqu’à ce vendredi 23 juin, date à laquelle Dominique Delhoume et Xavier Naizet sont convoqués par la police judiciaire pour s’expliquer sur ces fameux commentaires jugés tendancieux. « On nous a informés que nous étions poursuivis pour discrédit public jeté sur une procédure judiciaire, rapporte le rédacteur en chef. Lorsque le commentaire d’un journaliste ne plaît pas, il y a sûrement d’autres moyens de le faire savoir. » La procureure générale « regrette » que les deux parties en soient arrivées là : « Si la direction de France 3 Centre avait répondu à cette motion, les choses se seraient certainement apaisées. » Pour l’heure, aucune décision judiciaire n’a été prise. « La procureure de la République peut soit classer l’affaire sans suite, soit poursuivre les deux journalistes en correctionnelle », indique la procureure générale.

« Enjeux ».

Xavier Naizet, lui, ne retire pas le moindre mot à son commentaire : « Pourquoi ne pas m’avoir attaqué en diffamation ? Là, c’est toute la machine judiciaire qui se met en branle contre nous. » Gervaise Taffaleau s’interroge : « Que faire lorsqu’un journaliste mord le trait ? Nous n’allions pas le convoquer au palais. C’eût été maladroit... » Pour l’intersyndicale de France 3 Centre et les journalistes incriminés, cette affaire trouve son origine dans des « enjeux qui dépassent les simples rapports entre une rédaction et le parquet ». En attendant d’être fixé sur son sort, Dominique Delhoume se dit extrêmement choqué par cette procédure : « Je suis rentré à France 3 en 1980. En vingt-sept ans, je n’ai jamais vu de telles manières. » Patrick de Carolis, président de France Télévision, pourrait prochainement s’exprimer sur la question.